Traitements psychiatriques chez l'enfant : la grande misère

Par le 24 avril 2023, actualisé le 24 Avr 23.

Un rapport récent du Conseil de l'enfance et de l'Adolescence s'inquiète de la dégradation des soins aux enfants en souffrance psychique et de la forte croissance des prescriptions de médicaments à visée psychiatrique chez les enfants. À juste titre.

Moins de soins pour les enfants en souffrance psychique

Comme le montre le rapport du Conseil de l'Enfance et de l'Adolescence daté de mars 2023, les soins disponibles pour les enfants sont en forte diminution.

  • Le nombre des pédiatres a diminué. 70% des consultations d'enfants sont réalisées par des généralistes, et les pédiatres se concentrent sur la petite enfance (0 à 2 ans).
  • Dans le même temps, comme chacun sait, le nombre de médecins généralistes a diminué et ils ont de moins en moins de temps à consacrer aux consultations complexes.
  • D'autres recours destinés aux enfants en détresse psychique sont la Protection maternelle et infantile (PMI) et la médecine scolaire. Ces deux institutions ont de moins en moins de moyens et de personnels, et ne parviennent plus bien à assurer leurs missions.
  • Les services psychiatriques (Centres médico-psycho-pédagogiques ou CMPP et Centres d'action médico-sociale précoce ou CAMPS) sont débordés et de moins en moins accessibles.
    Au total, l'offre de soins psychiatriques pour les enfants et adolescents est insuffisante et saturée. Et la situation va en s'aggravant.

Plus d'enfants en détresse

Dans le même temps, le nombre d'enfants en détresse augmente. Sur ce point, les études sur des populations (données épidémiologiques), les sondages et les rapports d'experts sont unanimes. On observe en particulier une augmentation des dépressions. Et aussi une augmentation jugée "très inquiétante" des hospitalisations d'enfants en urgence pour des symptômes de souffrance psychique, et notamment pour des suicides ou tentatives de suicide chez des enfants ou adolescents. Et aussi les addictions.
Les origines de ces augmentations sont multiples. Mais parmi les principaux facteurs de risque de détresse psychique chez les enfants, on trouve : la pauvreté, la précarité, les facteurs liés au système scolaire, l'exposition aux polluants (plomb par exemple) ou aux drogues, la naissance prématurée, les maltraitances, les facteurs de stress, les discriminations. Ces facteurs de risque sont à l'évidence plus élevés chez les personnes socialement et économiquement défavorisées. Et en France, la pauvreté augmente.

Forte augmentation des prescriptions de médicaments psychiatriques aux enfants

En parallèle, les prescriptions de médicaments psychiatriques aux enfants sont en forte augmentation. Selon le rapport, en France, la consommation de médicaments psychotropes par les enfants a doublé entre 2010 et 2021. Ce niveau de consommation est nettement plus élevé que la moyenne européenne. Et chaque année, la consommation augmente.

Pour la seule année 2021, les médicaments psychotropes vendus en pharmacie pour des mineurs ont augmenté de
16 % pour les anxiolytiques (ou tranquillisants), soit + 86 576 ;
224 % pour les hypnotiques (ou somnifères), soit + 167 894 ;
23 % pour les antidépresseurs, soit + 98 923 ;
7,5 % pour les antipsychotiques, soit + 34 791.
Vous avez bien lu : les ventes de somnifères destinées aux mineurs ont été multipliés par 3 au cours de la seule année 2021, et 20 000 jeunes de plus ont été traités par somnifères en 2021 par rapport à 2020.

Enfant pleurant en Inde
Les souffrances psychiques des enfants demandent d'abord des soins psychologiques, pédagogiques et sociaux. Ce qui nécessite du temps et la collaboration de divers professionnels.
Les remplacer par des médicaments d'efficacité douteuse n'est pas une démarche adaptée.

De nombreuses prescriptions "hors cadre"

Plusieurs études ont montré qu'un très grand nombre de ces prescriptions de médicaments psychiatriques chez des enfants se font en dehors de l'autorisation de mise sur le marché des médicaments.
Autrement dit, elles ne correspondent pas à des indications officielles. Bien sûr, il est parfois justifié de prescrire en dehors du cadre légal : la réglementation va parfois plus lentement que les données médicales.
Mais dans le cas des médicaments psychiatriques, le phénomène semble massif. Par exemple, dans une étude menée dans un hôpital pédiatrique parisien en 2009, l'immense majorité des médicaments psychiatriques étaient prescrits en dehors du cadre légal (a).

a- Plus précisément, les prescriptions hors autorisation de mise sur le marché dans cet hôpital pédiatrique représentaient : 
100% des médicaments antiparkinsoniens, 100% des hypnotiques (somnifères), 92% des antidépresseurs, 69% des antipsychotiques, 65% des anxiolytiques (tranquillisants), 51% des antiépileptiques et 30% des psychostimulants.

Les médicaments psychiatriques peu étudiés chez les enfants

Selon le rapport, les médicaments antidépresseurs ont été étudiés dans plus de 1000 essais cliniques comparatifs, contre des placebos ou contre d'autres antidépresseurs. Mais les essais aux résultats peu probants ont souvent été dissimulés ou passés sous silence, laissant croire à une bonne efficacité. En réalité, l'efficacité des antidépresseurs est globalement faible.
De nombreux médicaments ne sont tout simplement jamais étudiés chez les enfants. Rien n'oblige les laboratoires pharmaceutiques à conduire des études et à demander une autorisation de mise sur le marché. Dans de nombreux cas, les médecins prescrivent aux enfants sur la base de l'évaluation des médicaments chez les adultes. Ce qui est inadéquat, notamment parce que les risques ne sont pas les mêmes.

Les traitements non médicamenteux en premier

Dans beaucoup de cas, un traitement non médicamenteux est indiqué en premier. Autrement dit, le premier traitement devrait être une prise en charge psychologique, éducative et sociale. Ce qui suppose la collaboration de plusieurs professionnels : médecins, psychothérapeutes, ergothérapeutes, psychomotriciens, assistantes sociales, système scolaire, etc. Mais les structures de soins étant débordées, le système est incapable de traiter les enfants comme il convient.
La facilité est de prescrire un médicament. Mais c'est une facilité dont l'efficacité est douteuse et les effets indésirables sévères. Sans parler du fait qu'elle aboutit parfois à ne pas rechercher les causes et à ne pas traiter les problèmes de fond.

Fausse controverse

Comme on pouvait s'y attendre, ce rapport a entraîné un certain nombre de critiques et de protestations. Par exemple, des praticiens hospitaliers (dont un certain nombre de professeurs de médecine) ont signé une tribune dans le journal Le Monde pour déclarer, de manière assez vague : "En psychiatrie, se priver de molécules ayant des effets bénéfiques est un choix regrettable".
Ils n'ont pas déclaré leurs conflits d'intérêt, comme le veut la Loi. Et lorsqu'un lecteur attentif (moi) les leur a demandé, ils ont expliqué qu'ils n'en avaient pas l'obligation, car ils ne défendaient aucun médicament précis. Chacun appréciera…

En pratique

La prise en charge de la plupart des souffrances psychiques des enfants repose, non pas sur des médicaments, mais sur une approche globale : psychologique, sociale, pédagogique. Les médicaments sont parfois utiles. Mais un médicament ne peut remplacer une mise en sécurité ou une diminution des facteurs de stress.
Cette approche demande beaucoup de temps et d'attention.
Il est urgent que cesse la réduction des services de soins aux enfants et de leurs personnels.


Lire aussi :


Sources
- Conseil de l'enfance et de l'Adolescence, Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) "Quand les enfants vont mal : comment les aider ? (Rapport)" 7 mars 2023, 172 pages.
- Ponnou S et Briffaut X "Santé mentale et soins psychiques de l'enfant : la surmédication dépasse toutes les bornes scientifiques" et "Santé mentale et soins psychiques de l’enfant : les impasses du « tout biologique" Site internet The Conversation, 13 mars 2023 et 21 mars 2023
- Chaumette B et coll. "« En psychiatrie, se priver de molécules ayant des effets bénéfiques est un choix regrettable » (Tribune)" Le Monde, 17 avril 2023.

Crédits photo :
Image n°1 : "Tomorrow will be a better day" par Eyesplash sur Flickr (recadré)
Image n°2 : "India 1978" par Nick sur Flickr (recadré)


Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Traitements psychiatriques chez l'enfant : la grande misère" ; 24 Avr 2023 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-societe/traitements-psychiatriques-chez-lenfant-la-grande-misere/)
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