En 2023, on parle beaucoup de pénuries de médicaments. Elles touchent en effet des médicaments très utilisés et difficiles à remplacer. Mais des pénuries ont été signalées par la revue Prescrire depuis plus de 20 ans. Elles peuvent avoir de graves conséquences pour la santé publique.
Les chaînes de production sont fragiles
Une première série de causes vient de la fragilité de la chaîne de production :
- manque ou défaut de qualité des matières premières,
- problèmes de fabrication,
- capacités de production insuffisantes.
La production est souvent répartie en plusieurs étapes. Les matières premières peuvent provenir d'un pays et servir à fabriquer les principes actifs médicamenteux (les molécules principales de chaque médicament) dans un autre pays. En 2023, 60% à 80% des principes actifs médicamenteux sont fabriqués en dehors de l'Union Européenne - surtout en Inde et en Chine. Mais le produit fini est souvent élaboré et emballé en Europe.
Chaque étape peut poser problème. Et plus la chaîne est longue, plus elle est fragile. Lorsque la production est concentrée dans les mains de peu d'industriels, un problème de fabrication chez l'un d'entre eux peut fragiliser toute la filière de production en aval.
Les chaînes de distribution aussi
Une autre série de causes vient de la chaîne de distribution :
- problèmes de transport et de stockage,
- inégalités de répartition des structures de transport et des stocks,
- augmentation inattendue de la demande alors que les stocks sont limités,
- répartition préférentielle des stocks dans les régions où les prix sont les plus élevés,
- prix trop bas conduisant à un abandon des fabrications.
Pendant la période Covid, une augmentation de certains principes actifs et une diminution des capacités de transport a provoqué de grandes difficultés.
et de risques de rupture, de 2013 à 2021.
En dix ans, leur nombre est passé
d'environ 400 par an à environ 2200 par an
Source : Agence nationale française de sécurité des médicaments
et des produits de santé (ANSM)
Le poids des facteurs économiques
Entre la recherche d'une réduction des dépenses de santé et le poids des intérêts industriels, on peut avoir l'impression que les facteurs économiques jouent un rôle plus important que la santé publique. Le Leem ("les entreprises du médicament" - syndicat des industriels) admet lui-même qu'en cas de difficulté d'approvisionnement, certaines entreprises « vont approvisionner en priorité les pays qui pratiquent les tarifs les plus élevés ». Pire : certains grossistes se fournissent dans les pays où les prix sont bas pour revendre dans les pays où les prix sont élevés.
Il arrive même que les industriels cessent de fabriquer des médicaments dont ils estiment la rentabilité trop faible. C'est souvent le cas de médicaments anciens, dont les prix sont peu réévalués. Malheureusement, certains de ces médicaments qui ne sont plus fabriqués font partie des traitements considérés comme des "médicaments d'intérêt thérapeutique majeur". C'est le cas de la benzathine pénicilline, traitement injectable majeur de certaines infections, dont la syphilis, dont la fabrication a été arrêtée en 2014 par Sanofi.
Des conséquences sanitaires importantes
Les pénuries de médicaments sont donc nombreuses. Selon l'ANSM, environ la moitié des ruptures de stock de médicaments en France concernent les anti-infectieux (vaccins, antibiotiques, antiviraux), les médicaments du système nerveux (anti-épileptiques, anti-parkinsoniens, etc.) et les médicaments anticancéreux (chimiothérapies). L'autre moitié se répartit entre médicaments du cœur et des vaisseaux, les dérivés du sang, les médicaments du système digestif, des muscles et du squelette, des organes sensoriels (œil, oreille, etc.), du système respiratoire, etc. En somme, elles touchent toutes les catégories de médicaments.
Les ruptures de stock peuvent conduire les médecins ou les patients à utiliser des médicaments moins adaptés à la situation, moins efficaces ou provoquant plus d'effets indésirables, à remettre à plus tard les traitements ou à les remplacer par des alternatives sans efficacité démontrée. Ce qui est parfois néfaste pour leur santé.
Un prétexte pour des décisions douteuses
Les agences du médicament, les responsables de la santé publique et les politiques expliquent régulièrement qu'ils doivent prendre des décisions pour combattre les ruptures de stock et pénuries de médicaments.
En Europe, toute autorisation de mise sur le marché d'un médicament impose aux firmes pharmaceutiques "un approvisionnement approprié et continu de ce médicament pour les pharmacies (...)" Mais curieusement, faire respecter cette obligation légale ne fait pratiquement jamais partie des mécanismes mis en avant pour faire cesser les pénuries.
En 2018, l'agence européenne du médicament a proposé... d'assouplir les "bonnes pratiques de fabrication" des médicaments, autrement dit, les règles de sécurité. De leur côté, les firmes pharmaceutiques insistent régulièrement sur l'importance... d'augmenter le prix de vente des médicaments.
En 2023, le gouvernement français a mis en place une mission interministérielle pour lutter contre les pénuries de médicaments. Selon le Canard Enchaîné, la plupart de ses membres ont des liens directs ou indirects avec les industriels du médicament, à un haut niveau (Direction de laboratoire pharmaceutique, Président du Leem, membres de cabinets de lobbying...)
L'Alliance européenne pour une Recherche & Développement responsable et des médicaments abordables est une coalition de très nombreuses associations et organisations non gouvernementales impliquées dans la santé publique (voir l'image en en-tête). Elle réclame la transparence des méthodes et frais de recherche et développement des médicaments, une distribution adéquate des médicaments et des prix permettant à tous de se soigner. Un minimum, quand on y réfléchit, mais qui est loin d'être gagné.
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Sources :
- Ankri J et coll. "Les pénuries de médicaments, un problème de santé publique" ADSP (Actualité et dossier en santé publique - revue du Haut conseil de la santé publique) n°119, sept. 2022, 53 pages.
- Site de l'European Alliance for Responsible R&D and Affordable Medicines (Alliance européenne pour une Recherche & Développement responsable et des médicaments abordables) - en particulier la "Joint Declaration"
- Rédaction Prescrire "Paracétamol : pénurie ou non, choisir à bon escient", "Pénurie d'amoxicilline : quelques repères pour choisir une alternative", "Pénuries de médicaments : un phénomène ancien, qui s'aggrave" Dans l'actualité, application Prescrire, 25 octobre 2022, 28 novembre 2022 et 27 décembre 2022.
- Brafman N, Roucaute D et Santi P "Pénurie de médicaments : toutes les catégories de produits touchées par les ruptures d'approvisionnement" Le Monde en ligne, 24 janvier 2023.
- Chaffin Z, Rafenberg M et Boutelet C "L'Europe face à la pénurie de médicaments" Le Monde en ligne, 24 janvier 2023.
- Barré I "Matignon ou l'industrie sans Borne" Le Canard Enchaïné, n°5334 , 1er février 2023.
Crédit photo :
Image n°1 : Copyright montage Jean Doubovetzky.
Images source : European Alliance for Responsible R&D and Affordable Medicines
Image n°2 : ANSM, citée par Ankri J et coll. "Les pénuries de médicaments, un problème de santé publique"
Image n°3 : Copyright montage Jean Doubovetzky.
Images source : "Tap Twins" par Theen Moy sur Flickr et "Icône pilule" de Macrovector sur Freepik
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