À la fin du 19e siècle, Hippolyte Bernheim observe les effets de la suggestion en thérapeutique et met en évidence l'effet placebo. Les leçons qu'il en tire, à propos des traitements répandus à son époque, sont tout aussi valables de nos jours. Elles s'appliquent aussi bien aux médicaments de haute technologie à la mode qu'aux thérapeutiques dites alternatives.
Voici quelques extraits d'un de ses livres majeurs "Hypnotisme, suggestion, psychothérapie - études nouvelles", publié en 1891. Les intertitres sont de votre serviteur.
Des pilules de mie de pain
" L'idée peut s'insinuer dans le cerveau, incarnée dans un médicament inerte [ Note de la rédaction - médicament inerte : de nos jours, on parle de "placebo" ]. C'est la suggestion médicamenteuse [ Note de la rédaction - suggestion : fait d'inspirer à quelqu'un une pensée ou un désir sans qu'il s'en rende compte ].. Que de guérisons obtenues par les pilules de mie de pain, par le protoxyde d'hydrogène, administrés aux malades sous d'autres noms, et avec la conviction que tel effet serait obtenu !
Le Dr Lisle avait adopté un genre de traitement basé uniquement sur l'emploi de pilules de mie de pain. Celles dont il se servait, recouvertes d'une mince feuille d'argent, étaient divisées en deux groupes : les pilules argentées anti-nerveuses, et les pilules purgatives. Il eut à soigner un hypocondriaque qui croyait être victime d'une constipation opiniâtre, bien qu'en réalité les fonctions de ses intestins fussent régulières. Ce malade avait pris toutes sortes de purgatifs, mais affirmait n'en avoir jamais obtenu aucun résultat.
Un jour enfin, à bout de patience, il parut s'y rendre et annonça qu'il se proposait de donner le plus violent purgatif qu'il connût [Note de la rédaction - purgatif : laxatif, stimulant de l'évacuation intestinale]. L'hypocondriaque obéit aux ordres du docteur qui avait prescrit cinq de ses pilules purgatives, à un quart d'heure d'intervalle l'une de l'autre. Après la troisième, l'effet fut complet, et en sept heures, il y eut plus de vingt garde-robes [ Note de la rédaction - garde-robe, sens ancien : selles, matières fécales, excréments ]."
(...)
Le sulfonal fait-il dormir ?
" Il y a trois ans, je voulus expérimenter dans mon service le sulfonal comme hypnotique [ Note de la rédaction - hypnotique : somnifère, médicament qui endors ]. Je choisis deux malades atteints d'insomnie depuis plusieurs semaines.
Avant d'administrer le nouveau médicament, je songeai, pour ne pas être induit en illusion par l'élément suggestion et pour que l'observation fût rigoureuse, à prescrire, sous la fausse étiquette du sulfonal, de l'eau simple à laquelle j'ajoutai quelques gouttes de menthe, pour ne pas éveiller la défiance des malades.
J'affirmai que, vingt minutes après l'administration du nouveau médicament, les malades seraient pris de sommeil irrésistible. C'est ce qui arriva en effet; les deux malades dormirent comme ils ne l'avaient pas fait depuis plusieurs semaines.
Qu'on ne me fasse pas dire que le sulfonal n'a qu'une vertu suggestive ! Non ! il a une vertu hypnotique réelle, comme le chloral, en dehors de toute suggestion. Mais pour que l'expérience fût scientifiquement concluante, il fallut tout d'abord dégager l'élément suggestion."
" La suggestion peut s'abriter derrière une médication mécanique ou instrumentale qui agit sur l'imagination du sujet. "
Médication efficace ou suggestion ?
" Je n'ai pas dit, comme on me l'a fait dire, en France et à l'étranger, que tout est suggestion ; que l'électrothérapie, l'hydrothérapie, le massage et même la matière médicale n'agissaient que par suggestion. [ Note de la rédaction - matière médicale ou pharmacognosie : science des matières premières et des substances potentiellement médicamenteuses biologiques ou minérales ] ; que les pratiques diverses de la thérapeutique ne sont rien, que l'imagination humaine est tout. Ce serait une absurdité.
Chose singulière ! J'ai eu beau protester, au congrès de l'hypnotisme, contre cette dénaturation systématique de ma pensée : on n'en a pas moins continué dans la presse scientifique et même politique à me faire dire ce que je n'ai pas dit.
J'ai dit non que tout est suggestion, mais qu'il y a de la suggestion dans tout.
Sans doute l'hydrothérapie, l'électricité, la balnéothérapie, le massage, peut-être la métallothérapie, peut-être même la suspension, ont une action incontestable par eux-mêmes sur les fonctions de l'organisme. Mais cette action est mal connue : les assertions des auteurs sur la valeur thérapeutique de ces diverses méthodes sont vagues, confuses et contradictoires parce qu'on n'a pas songé avant tout à dégager l'élément suggestion. "
Hippolyte Bernheim
Professeur de médecine à Strasbourg puis à Nancy (après la défaite de la France en 1871 et l'annexion de l'Alsace par l'Allemagne). Il fut à l'origine de "l'école de Nancy" qui combattit avec succès les thèses du Pr Charcot, de la Salpêtrière de Paris. Sigmund Freud vint le visiter et on peut sans doute voir l'influence de Bernheim dans certaines de ses thèses. Hippolyte Bernheim est actuellement considéré comme l'un des pères de l'hypnose et des psychothérapies.
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Sources :
- Bernheim H "Hypnotisme, suggestion, psychothérapie, études nouvelles", Éditions Douin, Paris 1891, pages 54, 55, 62.. Texte complet en accès libre sur Gallica, le site de la Bibliothèque nationale de France (BNF)
- "Hippolyte Bernheim", mis à jour le 04 février 2023, Wikipédia, l’encyclopédie libre. Site fr.wikipedia.org
- "Bernheim Hippolyte - Professeur de la Faculté de Médecine de Nancy" Site internet "La médecine hospitalo-universitaire à Nancy depuis 1872", texte téléchargé le 08 février 2023, 15 pages.
Crédits photo :
Image n°1 : "Under the tree" par RM Mantero sur Flickr
Image n°2 : "Portrait d'Hippolyte Bernheim", Anonyme, Domaine public sur Wikipedia.
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