Vitamine D chez les enfants : les recommandations du bon Dr Knock ?

Par le 19 juin 2022, actualisé le 19 Nov 23.

Des recommandations récentes émises par un groupe d'experts français nous donnent l'occasion de réfléchir.
Comment distingue-t-on des recommandations de bonne qualité et des recommandations favorisant des pratiques inutiles, voire dangereuses, parfois inspirées par des industriels intéressés ?

Nous avons parlé de la vitamine D chez les adultes en février 2022. La vitamine D joue de nombreux autres rôles dans de nombreux systèmes du corps humain. Mais le manque de vitamine D provoque essentiellement des troubles de l'absorption du calcium et de sa fixation dans l'os, qui devient fragile. Chez les enfants en croissance, c'est le rachitisme, qui provoque des déformations osseuses. On la prévient en donnant systématiquement de la vitamine D aux nourrissons, et on n'observe plus guère de rachitisme que dans les pays pauvres. Chez les adultes, c'est l'ostéomalacie, qui provoque des douleurs des os et des muscles, et qui prédispose à des fractures sans traumatisme ou pour des traumatismes minimes.

Des suppléments en vitamine D chez les jeunes enfants

La vitamine D est en grande partie fabriquée par la peau, sous l'action de la lumière du soleil (a). Le reste provient de l'alimentation (poissons gras, certains champignons, œufs, beurre, margarines, etc.) La vitamine D est transformée dans le foie et mise en réserve dans les tissus adipeux et les muscles pour être utilisée en cas de besoin.
Dans les pays développés, un apport en vitamine D est généralement recommandé chez les nourrissons, par exemple jusqu'à l'âge d'un an, et pendant le premier hiver suivant, ou parfois jusqu'à l'âge de 5 ans. De fait, on n'observe pratiquement plus de rachitisme. Dans notre groupe de 5 médecins travaillant en quartier pauvre depuis plus de 30 ans, nous en avons vu un cas, chez une fillette de 3 ans, à son arrivée depuis un pays en guerre de l'Est de l'Europe (a).

Des recommandations prudentes

Les recommandations officielles concernant les apports alimentaires en vitamine D ont beaucoup varié selon les années et les pays. Celles qui sont en vigueur en France visent à couvrir les besoins même chez les personnes qui ne sortent pas et ne s'exposent pas au soleil. Leurs auteurs avertissent bien que suivre ces recommandations « conduit pour la plupart des individus à des apports très supérieurs à leurs besoins réels. »
Les agences officielles de France (Haute autorité de santé, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) et des USA (USPSTF) concluent que le dosage de la vitamine D est inutile. Une fois la jeune enfance passée, en l'absence de fracture anormale, pour lutter contre les déficits modérés qu'on observe parfois, une augmentation des sorties et de l'activité physique (10 minutes de marche quotidienne à l'extérieur) est suffisante. La rédaction Prescrire, indépendante, est du même avis.

Il y a un siècle, les carences en vitamine D étaient à l'origine de nombreux cas de rachitisme en Europe. Cette maladie ne touche plus que les populations les plus pauvres de la planète. Elle a pratiquement disparu en France avec l'administration systématique de vitamine D aux jeunes enfants.

Dans ce contexte, la parution d'un "consensus d'experts" français qui prend le contre-pied des organismes officiels a de quoi surprendre. Mais l'honnêteté pousse à examiner ses propositions de manière attentive. Ces experts ont voulu publier des recommandations concernant les enfants entre les âges de 0 et de 18 ans.

La composition du groupe d'experts est critiquable

Le premier point est que le groupe des experts se présente comme indépendant : un seul d'entre eux annonce des liens d'intérêt avec des industriels de l'alimentation. Cependant une recherche sur la base de données officielle "Transparence santé" montre que sur 16 "experts", 14 ont reçu des "avantages" ou ont signé des "conventions" avec des industriels du médicament. Parmi eux, 9 ont touché plus de 5 000 euros et 7 ont touché plus de 15 000 euros (b).
Le second point est que le groupe des experts n'inclut pas toutes les spécialités qui auraient permis de discuter la situation sous tous ses angles : il renferme plusieurs experts des maladies rares du calcium et du phosphore et divers pédiatres hospitaliers spécialistes du rein, de l'estomac et de l'intestin, de réanimation, etc. Il manque donc au minimum : des médecins pédiatres et des généralistes de premier recours (non hospitaliers), des méthodologistes, des épidémiologistes (spécialistes des études de santé sur les populations), des pharmacologues (spécialistes des effets des médicaments) et pharmacovigilants (spécialistes des effets indésirables des médicaments).

Des recommandations fondées sur... l'absence de preuve

Le troisième point est que les auteurs annoncent qu'il n'existe aucun grand essai démontrant l'efficacité et la sécurité d'une supplémentation en vitamine D. Cela ne les empêche pas de recommander une administration quotidienne de vitamine D sous forme pharmaceutique de la naissance à l'âge de 18 ans. Chaque sous-recommandation repose sur des analyses de dosages de la vitamine D ou d'autres arguments théoriques, sans qu'à aucun moment, les auteurs discutent des preuves d'efficacité de leurs recommandations ou du risque d'effet indésirable.

En ce qui me concerne, en l'absence de preuve clinique (fondée sur une amélioration de la santé des personnes) et en présence de liens d'intérêt avec les industriels du médicament, on peut largement se passer de ces recommandations.

a- On peut observer un manque en vitamine D chez des personnes âgées qui restent enfermées à leur domicile ou dans l'établissement où ils vivent. Nous en avons vu un certain nombre de cas. Mais cet article est consacré aux enfants.
b- Je remercie les membres de l'association pour une formation médicale indépendante (FORMINDEP) pour la recherche des conflits d'intérêt sur la base de données "Transparence santé".

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Lire aussi :
"Vitamine D : un dosage généralement inutile"
"Le surdiagnostic, une notion essentielle"

Crédits images :
n°1 - "Vitamine D" par Maurits Verbiest sur Flickr
n°2- Medical Heritage Library, Inc. sur Visual Hunt

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Sources :
- Bachetta J et coll. "Vitamin D and calcium intakes in general pediatric populations: A French expert consensus paper" Archives de pédiatrie 2022 ; 29 : 312-325.
- Prescrire Rédaction "Fractures liées à une fragilité osseuse : prévention" et "Rachitisme : prévention" Premiers choix Prescrire, mise à jour nov. 2020, 6 pages et 3 pages ; ""Insuffisance" en vitamine D - Gare aux concepts trop flous pour rendre service aux patients" Rev Prescrire 2013 ; 33(356) : 435-438 ; "Prévention des carences en vitamine D chez les adultes - Pas d'intérêt démontré d'une supplémentation fondée sur un dosage sanguin systématique"Rev Prescrire 2021 ; 41(458) : 931-932 .
- Pazirandeh S et coll. "Overview of vitamin D", Dixon JM et coll. "Lactational mastitis", Dawson-Hughes B et coll. "Vitamin D deficiency in aduts: definition, clinical manifestations and treatment", Cohen A et coll. "Epidemiology and etiology of osteomalacia" et "Clinical manifestations, diagnosis and treatment of osteomalacia", Madhusmita M et coll. "Vitamin D insufficiency and deficiency in children and adolescents" In: UpToDate, Post TW (Ed), UpToDate, Waltham, MA, USA. (Mise à jour en septembre 2021 et janvier 2022).
- Anses "Les références nutritionnelles en vitamines et minéraux - Avis de l'Anses, Rapport d'expertise collective", mars 2021, 278 pages.
- Vernay M et coll. "Statut en vitamine D de la population adulte en France : l’Étude nationale nutrition santé (ENNS, 2006-2007)" BEH 2012 (16-17) : 189-194.
- Santé publique France "Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban) 2014-2016. Volet Nutrition. Chapitre Dosages biologiques : vitamines et minéraux", 61 pages.
- USPSTF "Screening for Vitamin D Deficiency in Adults. US Preventive Services Task Force recommendation statement" et Kahwati L et coll. "Screening for Vitamin D Deficiency in Adults Updated Evidence Report and Systematic Review for the US Preventive Services Task Force" JAMA 2021 ; 325 (14) : 1436-1442 et 1443-1463.

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Vitamine D chez les enfants : les recommandations du bon Dr Knock ?" ; 19 Juin 2022 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-actualites/vitamine-d-chez-les-enfants-les-recommandations-du-bon-dr-knock/)
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