Hépatite C : dépistage ciblé uniquement !

Par le 27 juin 2022, actualisé le 29 Juin 22.

Les recommandations officielles françaises et canadiennes sont opposées au dépistage généralisé de l'hépatite C. La revue Prescrire aussi. Mais en France comme au Canada, des associations d'hépatologues poussent à un dépistage tous azimuts. Avec le soutien actif des industriels du médicament. Le hasard, pensez-vous ?

En France, la Haute autorité de santé estime que sur 1000 personnes adultes, 3 sont porteuses du virus de l'hépatite C (a). C'est moins que dans le reste du monde. Le virus se transmet par le sang. Certaines populations sont donc beaucoup plus souvent atteintes. Ce sont surtout les usagers de drogues intra-veineuses, en raison du partage de seringues (8 cas sur 10). Et aussi les personnes ayant été opérées ou transfusées avant le dépistage de l'infection chez les donneurs de sang, à partir de 1997 (b).

L'hépatite C est une maladie lente

Lorsque le virus de l'hépatite C a pénétré dans le corps humain, celui-ci a du mal à s'en débarrasser. Mais il se passe de longues périodes avant qu'il ne provoque une réelle maladie. Sur 1 000 personnes infectées par le virus, 800 le gardent vivant en elles. Au bout de 20 ans, 160 sont atteintes de cirrhose du foie, et à partir de ce moment-là, la cirrhose provoque un cancer du foie chez environ 3 personnes par an.
Le risque est augmenté en cas d'infection par le HIV (virus du sida) ou en cas de consommation excessive d'alcool, par exemple.

Pour un dépistage ciblé

Les recommandations officielles française (Haute autorité de santé, 2019) et canadienne (Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs, 2017) ainsi que la revue Prescrire (2015) concluent qu'il est utile de dépister l'hépatite C dans les populations à haut risque, en particulier chez les toxicomanes par voie veineuse. On notera que les trois documents soulignent qu'il n'existe pas de preuve que ce dépistage permette de prolonger des vies, mais que dans les populations à haut risque, cela semble très vraisemblable.
Le dépistage systématique dans la totalité de la population n'est pas recommandé. En effet, il aboutirait à traiter pour rien des milliers de personnes chez qui l'hépatite C n'aurait pas évolué, ou très peu, jusqu'à ce que la personne meure pour une autre raison, sans jamais savoir qu'elle était porteuse du virus, qui ne lui aurait jamais fait aucun mal. C'est la définition du surdiagnostic suivi de surtraitement. Or des tests sanguins permettent très généralement de se rendre compte quand l'état du foie commence à se dégrader, bien avant le stade de cirrhose. Ce qui laisse le temps d'agir.

Le dépistage de l'hépatite C n'est pas pour tout le monde
mais pour des populations ciblées.
Attention aux affiches signées de firmes pharmaceutiques, aux messages rarement "gratuits".

On comprend bien que ces recommandations de grand bon sens n'arrangent pas tout le monde.

La gourmandise des industriels

Le prix des médicaments antiviraux de l'hépatite C est particulièrement élevé. Ils ne sont pourtant pas particulièrement compliqués à fabriquer et ils ne réclament pas non plus des matières premières spéciales. Les recherches qui ont permis de les découvrir n'ont pas été extraordinairement longues et coûteuses pour les industriels : la partie la plus importante a été réalisée par des chercheurs britanniques du service public. Simplement le laboratoire qui fabrique le sofosbuvir a exigé un prix inconsidérément élevé en faisant pression avec l'aide d'associations de malades soigneusement manipulées. Et que les gouvernants n'ont pas eu grande honte à céder.
Le coût du traitement a baissé depuis lors, mais il fait encore tourner la tête. En France, une cure "normale" pour cas non compliqué revient à presque 25 000 € (c).

Les recommandations des amis des industriels

Dans ces conditions, personne ne s'étonnera que des associations ou "sociétés savantes" soigneusement subventionnées par les industriels du médicament fassent le forcing pour recommander un dépistage généralisé, et multiplier les traitements.
L'Association française pour l'étude du foie (AFEF), présidée par de grands professeurs d'université, comme il se doit, a ainsi émis des recommandations en totale contradiction avec celles de la HAS. Et au Canada, son équivalent, la Canadian association for the study of liver a fait de même (tiens ? Le même nom en anglais ? Le hasard, vous dis-je). Les deux associations sont d'accord : il faut dépister toute la population au moins une fois dans la vie.
L'association française argumente que le but est "d'obtenir le plus rapidement possible l'élimination de l'infection par le virus de l'hépatite C en France". Dommage, on aurait mieux aimé que le but soit la meilleure santé de la population et le mieux-être des patients.

Faux semblants et liens d'intérêt

Une lecture superficielle peut donner l'impression que les recommandations des associations sont "fondées sur les preuves". Mais une lecture précise apporte quelques surprises. Par exemple, l'AFEF cite de manière tronquée la Haute autorité de santé pour justifier ses recommandations. Mais la recommandation officielle, en France, est le dépistage dans les populations à risque. Et en 2017, la HAS a déclaré (au conditionnel) : "Une intensification du dépistage des populations à risque d’exposition au VHC pourrait être envisagée", sans proposer d'autre évolution. Bizarrement, les textes de l'AFEF ne mentionnent pas ce "détail".
Sur 11 dirigeants cités dans le texte des recommandations, 10 déclarent des liens d'intérêt avec des laboratoires pharmaceutiques, dont 9 déclarent des liens avec AbbVie, Bristol Myers Squibb, Gilead, Janssen et Merck. Les affiches de l'association font état du "soutien" des firmes AbbVie et de Gilead, qui commercialisent des antiviraux anti-hépatite C (voir la photo de l'affiche un peu plus haut).
Et l'AFEF ne semble pas démunie. Elle a les moyens de rémunérer du personnel pour téléphoner dans les cabinets médicaux, proposer des "rencontres" pour inciter au dépistage et organiser des journées de dépistage dans les cabinets des généralistes, en se déplaçant à plusieurs avec des appareils permettant de faire des examens sur place (d) !

Vigilance

En conclusion : restons vigilants !
Ne croyons jamais sans vérification approfondie un dépliant, une recommandation, une affiche signée "avec le soutien" d'un laboratoire pharmaceutique qui a des intérêts directs ou indirects dans le dépistage, le diagnostic ou le traitement qu'on nous propose.

a- Chiffre rapporté par la Haute autorité de Santé pour l'année 2016. C'est un chiffre en baisse. En 2011, sur 1000 personnes, 4 étaient porteuses du virus de hépatite C.
b- Le risque est également élevé dans d'autres populations : les personnes traitées par dialyse ; les enfants nés de mères porteuses du virus ; les persones piquées ou blessées par du matériel souillé par le sang d'une personne infectée par le virus ; les partenaires sexuels et l'entourage proche d'une personne porteuse du virus ; les personnes se trouvant ou ayant été en prison ; les personnes ayant eu un tatouage ou un piercing ; les personnes porteuses des virus du sida (HIV) ou de l'hépatite B (HBV). On y ajoute parfois les personnes provenant ou ayant eu des soins médicaux dans les pays où l'hépatite C est particulièrement fréquente : en Asie du Sud-Est, au Moyen-Orient, en Afrique ou en Amérique du Sud.
c- Par exemple 1 comprimé par jour de sofosbuvir + velpatasvir (Epclusa°) pendant 12 semaines, soit 3 boites de 28 comprimés qui reviennent en France à 24 902,64 €. On peut aussi choisur 3 comprimés par jour de glecaprirevir + pibrentasvir (Maviret°) pendant 8 semaines, soit 2 boites de 84 comprimés pour 24 769,76 €
d- Aucun besoin de référence : j'en ai été personnellement témoin.

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Lire aussi :
- "Le surdiagnostic, une notion essentielle"
- "Le prix des médicaments : hors de contrôle" (qui raconte notamment comment a été établi le prix du sofosbuvir)

Crédits image : n°1 - Serge Victor sur Flickr
n°2 - copyright Jean Doubovetzky

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Sources :
- Dickinson JA "Over-Medicalizing in primary care: problems and solutions" Communication au congrès "Preventing overdiagnosis", 11 juin 2022, Calgary (Canada).
- Chopra S et coll. "Screening and diagnosis of chronic hepatitis C infection" In: UpToDate, Post TW (Ed), UpToDate, Waltham, MA, USA. (Mise à jour le 22 juin 2022).
- Haute autorité de santé "Évaluation des stratégies de dépistage des personnes infectées par le virus de l’hépatite C (VHC). Volet 1" validation sept. 2019, 129 pages.
- Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs "Recommandation sur le dépistage de l’hépatite C chez l’adulte - ligne directriceCMAJ 2017 (24 avril) ; 189 : E594-604. doi:10.1503/cmaj.161521 - version anglaise
- Prescrire Rédaction "Dépistage de l'hépatite C. Justifié chez les personnes à risque élevé d'infection" Rev Prescrire 2015 ; 35(378) : 279-282
- Mallat A, Bureau C et coll. "Recommandations AFEF pour l'élimination de l'infection par le virus de l'hépatite C en France" Assoc Fra pour l'étude du foie (AFEF), mars 2018, 28 pages.

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Hépatite C : dépistage ciblé uniquement !" ; 27 Juin 2022 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-medecine/hepatite-c-depistage-cible-uniquement/)
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