Incertitude

Par le 27 juin 2021, actualisé le 25 Déc 21.

Il n'est pas toujours certain qu'un traitement apporte un bénéfice à un individu donné dans une situation donnée. Les risques des maladies ou des traitements ne se réalisent pas toujours. Accepter l'incertitude est essentiel pour raisonner sainement en médecine.

L'incertitude semble difficile à accepter, en médecine comme dans d'autres domaines. Notre cerveau semble avoir envie de croire. Peut-être pour lutter contre l'angoisse.

Au cabinet médical, il est impossible de dire à quelqu'un "je ne sais pas ce que vous avez" sans ajouter quelque chose pour le rassurer. Par exemple "mais je sais que ce n'est pas grave et que vous avez toutes chances de guérir en quelques jours" ou bien "mais nous allons chercher et trouver".

Bénéfice potentiel et risque  

Ce refus de l'incertitude n'est pas également réparti. Par exemple, on entend couramment parler du "bénéfice" et du "risque" des traitements. Pourtant les deux mots ne sont pas symétriques. Un bénéfice est certain : c'est le gain que vous mettez dans votre poche. Un risque est seulement une éventualité de perte. On accepte facilement que les risques des maladies et des traitements ne se réalisent pas toujours. On accepte moins bien que les bénéfices des traitements soient incertains.

"Vers l'incertitude" par "Follow Your Nose"


Pourtant, il est bien rare qu'un traitement apporte un bénéfice dans 100% des cas. Parfois le traitement est inefficace. Parfois le mal revient peu après ce qu'on avait cru une guérison... C'est vrai des traitements qui visent à lutter contre une maladie existante, et c'est encore plus vrai des traitements qui visent à éviter qu'une maladie survienne : les traitements préventifs. Prenons deux exemples.

Otite et antibiotique : impressions trompeuses 

Sur 100 enfants atteints d'otite aiguë, un traitement antibiotique

  • diminue la douleur dès le premier jour chez 0 enfant ;
  • diminue la douleur entre le 2e et le 12e jour chez 5 à 14 enfants (la question a été posée à des dates différentes dans les différents essais)
  • évite une nouvelle otite ou une diminution de l'audition au bout de 3 mois chez 0 enfant ;
  • évite une perforation du tympan chez 3 enfants ;
  • évite une infection de l'autre oreille chez 9 enfants ;
  • évite une infection grave (mastoïdite ou méningite) chez 0 enfant.
  • provoque un effet indésirable (vomissement, diarrhée ou éruption cutanée) chez 7 enfants.

Au total, sur 100 enfants traités, 26 enfants en tirent un bénéfice, 74 enfants n'en tirent aucun bénéfice et 7 souffrent d'un effet indésirable. Pour dire les choses autrement, si un enfant souffrant d'otite reçoit un antibiotique et qu'il guérit, le plus souvent, l'antibiotique n'a joué aucun rôle dans sa guérison. Les médecins raisonnables concluent que dans la plupart des cas, mieux vaut ne pas prescrire d'antibiotique et attendre de voir si la guérison survient seule. On peut attendre le 3ème jour et donner un antibiotique seulement si les progrès ne semblent pas suffisants. Cela évite la majorité des traitements inutiles.

Traitement de l'hypertension artérielle

L'efficacité des traitements à visée préventive (pour éviter qu'un événement de santé défavorable survienne) est très généralement plus faible que celle des traitements qui visent à accélérer une guérison ou à diminuer des souffrances. 

Prenons l'exemple de personnes ayant une pression artérielle dont le chiffre supérieur (la pression systolique) dépasse 170 mm de mercure. On dit couramment "une pression de plus de 17". Selon les résultats des essais, si on donne tous les jours un traitement pendant 5 ans à 500 de ces personnes, on évite 5 crises cardiaques (infarctus du myocarde), 8 attaques cérébrales (accidents vasculaires cérébraux) et 4 morts. Au total, sur 500 personnes traitées pendant 5 ans, 17 personnes en tirent un bénéfice, 483 n'en tirent aucun bénéfice et 50 souffrent d'un effet indésirable assez sérieux pour leur faire arrêter le traitement. 

Cela ne veut pas dire que le traitement soit inutile. Mais que lorsqu'on prend ce traitement, on ne peut pas être certain d'en tirer un avantage quelconque. 

Accepter l'incertitude

Nos connaissances sur les effets des maladies et des traitements sur des populations sont limitées. Leurs effets sur une personne donnée est encore plus incertaine. Soignant ou patient, pour prendre de bonnes décisions de santé, il est indispensable d'accepter cette incertitude, et d'en tenir compte dans nos appréciations. Pour ne pas biaiser nos raisonnements, je parlerai systématiquement de "bénéfices potentiels" dans ce blog.

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Article rédigé par Jean Doubovetzky sans conflit d’intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l’assurance maladie et les compagnies d’assurance ou mutuelles.

Sources

- Hall H "Most patients get no benefit from most drugs" Science Based Medicine ; 18 juillet 2017 : 14 pages ; site internet sciencebasedmedicine.org
- "Antibiotics for otitis media in children" The NNT ; 26 juin 2018 : 4 pages ; site internet www.thennt.com
- "Blood pressure medicines for five years to prevent death, hear attaks and strokes" The NNT ; 21 juillet 2014 : 4 pages ; site internet www.thennt.com
- Prescrire Rédaction “Mesure et incertitudes” Prescrire 2018 ; 38 (415) : 321.

Pour aller plus loin, lire aussi 
- Greenhalgh T "Savoir lire un article médical pour décider" RanD éd, Meudon (France) 2000.
- Schartz D "Le jeu de la science et du hasard" Flammarion, Paris 1994.

Crédit photo : Follow your nose sur Visualhunt

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Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Incertitude" ; 27 Juin 2021 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-comprendre/incertitude/)
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