Confinement et Pauvreté

Par le 27 juin 2021, actualisé le 05 Mar 22.

"Attestations dérogatoires", absence de bus, fermeture des distributeurs de billet, difficultés d'entrée dans les supermarchés, refus des espèces : tout cela peut sembler des détails, mais en temps de confinement, ils ont fait de la vie de certaines personnes pauvres un enfer.

Le confinement décrété à plusieurs reprises pour lutter contre la covid-19 a été conçu pour les beaux quartiers. Aucun doute à ce sujet lorsqu'on écoute les patients d'un quartier pauvre, comme celui dans lequel j'exerce. Le confinement a sans doute été efficace, mais il n'a pas été adapté aux difficultés des gens pauvres.

Plus d'épicerie, plus de bus

Dans le quartier de Cantepau, difficile de faire ses courses en temps de confinement. Le supermarché de proximité a fermé. Il n'y a pas d'épicerie, sauf un magasin bio que les gens pauvres ne fréquentent pas, car ils le trouvent trop cher. Il n'y a plus de bus. Alors pour trouver des fruits et légumes, des pâtes ou du riz, il faut maintenant marcher environ 2 kilomètres et demi. Pas facile quand on est diabétique et obèse, ou quand on a trois enfants en bas âge.

Plus de distributeur de billets

Dans ce quartier de presque 5 000 habitants, le seul distributeur de billets n'est plus approvisionné en temps de confinement. Il faut marcher 3 kilomètres pour en trouver un, mais en allant en direction opposée à celle du supermarché le plus proche. La dame qui m'en parle ne sait pas comment faire. Elle aurait sans doute droit aux "transports à la demande" de la mairie, mais elle a cru comprendre qu'il fallait aller s'inscrire au centre ville : un endroit qui lui est inaccessible. Vrai ou pas, je n'en sais rien. Son secours viendra des volontaires de la Croix Rouge, que l'infirmière de santé publique du cabinet va contacter.

Pour les 9 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté en France (1100 euros par mois pour une personne seule), l'idée d'une amende de 135 euros était parfois assez terrifiante pour leur interdire de sortir de chez eux.

Des attestations et des amendes hors de prix 

Certaines personnes n'osent plus sortir du tout de chez elles. Même pour venir au cabinet médical. Il a fallu que des voisins insistent pendant plusieurs jours pour que cette dame vienne consulter. C'est qu'elle n'a pas la précieuse "attestation dérogatoire de déplacement" qui permet de circuler dans la rue. Il y en a bien en vente au bureau de tabac. Mais au prix d'un euro les 10, elle les économise. Et puis c'est compliqué : elle ne sait pas écrire, alors il faut que quelqu'un lui remplisse. Et elle a bien compris qu'on n'a pas le droit de les ré-utiliser. Et puis le montant de l'amende est énorme : 135 euros, c'est bien plus que l'argent qui lui reste pour le mois, une fois prises en compte toutes les dépenses obligatoires. Là encore, notre infirmière va distribuer des attestations avec pictogrammes.

Entrée interdite au supermarché

Cette jeune femme aussi a des difficultés pour trouver à manger pour elle et ses trois enfants. Son curateur lui donne ponctuellement 70 euros par semaine, mais même en période de confinement, il a refusé de lui donner 140 euros par quinzaine. Et elle n'a pas osé lui expliquer qu'aller au supermarché toutes les semaines pose maintenant des problèmes nouveaux. D'abord, on lui interdit l'entrée avec ses trois enfants. Ce n'est pas légal. Le Défenseur des Droits a officiellement protesté. Mais du Défenseur des Droits à Cantepau, la route est longue. Elle doit donc trouver une bonne âme qui garde deux enfants sur trois. Ensuite il faut faire cahoter la poussette du petit dernier sur 2,5 km, vu qu'il n'y a pas de trottoir. Et à la caisse, certaines employées refusent les espèces : des fois qu'elles transmettent la maladie. Et bien sûr, la dame n'a pas de carte bancaire. Il faut trouver quelqu'un qui accepte de payer pour elle en prenant ses espèces, et faire l'appoint, ou perdre encore quelques sous...

Comme quoi il est important d'écouter les gens pour éviter que des mesures médicales, même bien intentionnées et utiles, n'aggravent la vie des personnes les plus en danger.


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Article rédigé par Jean Doubovetzky sans conflit d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

Sources

Discussions avec des patients dans mon cabinet médical, Quartier de Cantepau, Albi, entre mars et octobre 2020

Autres lectures

  • Aïach P "Les inégalités sociales de santé - Écrits" Économica, Paris 2010, 280 pages.
  • Brunner A, Maurin L et coll. "Rapport sur les inégalités en France" Observatoire des inégalités, Paris, juin 2021, 176 pages. À commander sur www.inegalites.fr

Crédit photo : Kilian ALL sur Visualhunt.com
Une entrée d'immeuble dans la cité Pierre Loti

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Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Confinement et Pauvreté" ; 27 Juin 2021 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-histoires-vraies/confinement-pauvrete/)
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