Sous le radar : méfaits cachés du dépistage du cancer du sein

Par le 12 juillet 2022, actualisé le 12 Juil 22.

Lorsqu'on dépiste le cancer du sein, les mammographies détectent parfois des tumeurs qui sont diagnostiquées comme des cancers au microscope, mais qui n'auraient jamais provoqué de trouble de santé. Les conséquences concrètes de ces surdiagnostics sont mal connues. Elles ne sont presque jamais mentionnées dans les articles destinés aux femmes ou aux professionnels de santé, ni dans l'argumentation des recommandations. Elles ont pourtant beaucoup d'importance pour les femmes. Je résume ici la communication que j'ai faite au colloque international "Preventing overdiagnosis" de Calgary, début juin 2022.

Le dépistage du cancer du sein est imparfait. Parfois, le dépistage détecte une image suspecte, et les examens (par exemple IRM ou biopsie) montrent ensuite que ce n'est pas un cancer. On parle de faux positif. Parfois, le dépistage n'a rien montré, et peu après, un cancer (souvent grave) se déclare. On parle de "cancer de l'intervalle" qui correspond plus ou moins à un faux négatif.

Comprendre le surdiagnostic

Le surdiagnostic n'est pas un faux positif. Les mammographies détectent une lésion, et l'examen au microscope (sur prélèvement ou après chirurgie) confirme qu'il s'agit bien de cellules cancéreuses.
Pourtant en cas de surdiagnostic, ces cellules cancéreuses n'auraient jamais provoqué de symptôme, ni fait souffrir la femme et s'il n'y avait pas eu de dépistage, elle ne se serait aperçue de rien jusqu'à la fin de sa vie, due à une autre raison (a).
En effet, certaines lésions contiennent de réelles cellules cancéreuses au microscope, mais elles n'évoluent pas, ou très lentement. Le problème, c'est que la médecine est actuellement incapable de faire la différence entre des cancers-maladie et des cellules cancéreuses qui n'évolueront pas. En conséquence, la plupart de ces cancers sont traités exactement comme les autres.

Les conséquences du surdiagnostic des cancers du sein

Le diagnostic de cancer du sein et son traitement ont beaucoup de conséquences pour les femmes concernées et leurs familles. Elles ont des conséquences pour la santé, certes, mais aussi pour la vie personnelle et pour la vie sociale.
En règle générale, on considère ces effets comme les conséquences malheureuses de la maladie. Mais en cas de surdiagnostic, c'est-à-dire dans le cas particulier où on a déclaré malade du cancer une femme qui n'en aurait jamais souffert, alors on doit considérer ces conséquences comme des effets indésirables (ou des méfaits) du dépistage.

Le surtraitement

La première conséquence du surdiagnostic, c'est le surtraitement. On traite comme ayant un cancer du sein des femmes qui n'en n'ont aucun besoin, puisqu'elles n'auraient pas souffert de ce cancer de toute leur vie.
Dans les essais comparatifs avec tirage au sort du dépistage du cancer du sein, on a ainsi montré que chez les femmes soumises au dépistage, les ablations totales ou partielles du sein ont augmenté. Cette augmentation a été de +35% en moyenne. Cela signifie que dans ces essais, sur 4 femmes à qui on a opéré le sein, il y en a 1 chez qui l'opération était inutile.
Plus récemment, en France, entre les années 2000 à 2003 (avant que le dépistage soit appliqué à la France entière) et les années 2013-2016 (le dépistage étant appliqué à toute la France), on a observé une augmentation du nombre d'ablations partielles (+47%) et du nombre d'ablations totales du sein (+15%).
Je n'ai trouvé aucune donnée sur les complications anesthésiques et chirurgicales des surtraitements des cancers du sein.

En France, entre l'an 2000 (avant la généralisation du dépistage) et l'an 2016, le nombre d'ablations totales du sein est passé de 17 500 à 20 000 environ.
L'espoir de "moins de traitements lourds" ne s'est pas concrétisé.

Anxiété, dépression, suicides, troubles cardiovasculaires

Dans la première année qui suit un diagnostic de cancer, le nombre de dépressions augmente, et le nombre de personnes prenant un médicament psychotrope est multiplié par 10. En France, au bout d'un an, une femme avec le diagnostic de cancer sur deux prend un tranquillisant ou un antidépresseur. Au bout de 2 ans, elles sont encore 4 sur 10.
Le nombre de suicides est multiplié par 3, au moins pendant les 3 premiers mois suivant le diagnostic. Je n'ai pas trouvé d'information sur les conséquences pour la compagne ou le compagnon des femmes cancéreuses, ni pour leurs enfants.
Selon une communication au congrès Preventing Overdiagnosis, les conséquences psychologiques ou psychiatriques d'un diagnostic faussement positif se font encore parfois sentir au bout de 14 ans.
Les troubles cardiovasculaires (infarctus du myocarde, attaques cérébrales, thromboses et embolies) sont augmentés pendant au moins 6 mois.
Je n'ai pas trouvé d'information sur le risque d'accident (de la route, du travail ou à domicile).

Une qualité de vie profondément dégradée

La dégradation de la qualité de vie dépend de facteurs médicaux : douleurs, séquelles (de la chirurgie, de la radiothérapie, de la chimiothérapie), évolution du cancer, prise de médicaments psychotropes, autres maladies. Mais elle dépend aussi beaucoup de facteurs sociaux : faible revenu, bas niveau social, perte du travail, sensation d'être discriminée en raison de son cancer, jeune âge au diagnostic.
Le diagnostic de cancer du sein aboutit le plus souvent à un arrêt de travail de longue durée. Au bout de 3 ans, un tiers des femmes âgées de plus de 50 ans n'ont pas repris le travail. Et parmi les femmes qui travaillaient à temps plein, un grand nombre n'ont repris qu'à temps partiel.
Les femmes sous le seuil de pauvreté sont plus souvent atteintes par le cancer du sein. Et ce diagnostic diminue les revenus et aggrave la situation sociale des familles les plus précaires.

Image de soi et sexualité atteintes

Dans une étude française, 2 ans après le diagnostic de cancer du sein, plus d'une femme sur deux déclarent une diminution du désir sexuel. Elles déclarent aussi une diminution de la fréquence des rapports et de leur satisfaction sexuelle.
Ces troubles dépendent notamment de la fatigue générale, de la dégradation de l'image de soi, surtout en cas d'ablation du sein, de perte des cheveux, de perte ou de gain de poids et de troubles de la communication au sein du couple.

La recherche sur les conséquences des surdiagnostics et des surtraitements est insuffisante pour nous éclairer sur les risques de nombreux dépistages, notamment celui du cancer du sein.

Atteinte de la génération suivante

Après le diagnostic de cancer du sein, les filles de la personne concernée sont considérés comme "à haut risque" de cancer du sein. On les incite donc à commencer le dépistage plus tôt et à s'y soumettre plus souvent.
Les surdiagnostics augmentent lorsque le dépistage est réalisé chez des femmes plus jeunes et lorsqu'il est plus fréquent. Le résultat prévisible est donc une augmentation du nombre de diagnostics : le "haut risque" est une prédiction auto-réalisante. Il suffit de l'énoncer pour qu'il se réalise.
Je n'ai trouvé aucune étude à ce sujet.

Des informations qui manquent pour un choix éclairé

Non seulement beaucoup d'informations manquent, mais encore dans la plupart des synthèses des données, des méta-analyses et des recommandations, ces sujets ne sont pas abordés. Par exemple : les publications officielles des USA, du Royaume Uni, du Canada, des autorités françaises, de l'INCa (Institut national du cancer), etc. Comment les femmes peuvent-elles faire un choix "éclairé" alors qu'il leur manque des informations concrètes sur les conséquences de leurs décisions ?

a- Le surdiagnostic ne concerne pas seulement le cancer du sein, mais tous les dépistages et tous les traitements à visée préventive. Il en est par exemple ainsi de l'hypertension artérielle, de la lutte contre le cholestérol ou du dépistage de l'ostéoporose.

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Lire à ce sujet "Le surdiagnostic : une notion essentielle"
Sur d'autres bonnes tables : Cancer-rose en français ou en anglais ; Preventing overdiagnosis.

Crédit photos : IMG 1 - Fox3xhots sur Flickr
IMG 2 - Extrait de la référence Robert V et coll.
IMG 3 - Logo du congrès Preventing Overdiagnosis

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Sources
- Gøtsche PC et Jorgensen KJ "Screening for breast canncer with mammography" Cochrane Database of Systematic Review 2013, Issue 6. Art No: CD001877. DOI : 10.1002/14651858.CD001877.pub5.
- Robert V et coll. "Le dépistage organisé permet-il d'alléger le traitement chirurgical des cancers du sein ?" Médecine 2017, 13 (8) : 579-594.
- Desplenter F et coll. "Incidence and drug treatment of emotional distress after cancer diagnosis: a matched primary care case-control study" . British Journal of Cancer, 2012 ; 107 (9) : 1644-1651.
- Fang F et coll. "Suicide and cardiovascular death after a cancer diagnosis" . N Eng J Med, 2012 ; 366 : 1310- 1318.
- Cortaredona S et Verger P "La consommation de médicaments psychotropes approchée par les remboursements". In "La vie deux ans après un diagnostic de cancer - De l’annonce à l’après cancer", coll. Études et enquêtes, INCa, juin 2014 : p. 218-234.
- Bouhnik A-D et coll. "La qualité de vie", "Sexualité, vie affective et conjugale". In "La vie deux ans après un diagnostic de cancer - De l’annonce à l’après cancer", coll. Études et enquêtes, INCa, juin 2014 : 174-186 et 418-431.
- Dumas A et coll. “Impact of breast cancer treatment on employment: results of a multicenter prospective cohort studyu (CANTO)” J Clin Oncol 2019 (38) : 734-743. DOI https://doi. org/10.1200/JCO.19. 01726
- Paraponaris A et coll. "Arrêt maladie après le diagnostic de cancer et retour à l'emploi" ; "Situation professionnelle deux ans après le diagnostic de cancer" ; "L'impact du cancer sur le revenu du ménage » In "La vie deux ans après un diagnostic de cancer - De l’annonce à l’après cancer", collection Études et enquêtes, INCa, juin 2014 : 324-346, 266-294, 240-265.
- Brédart A et coll. “Prevalence and associated factors of sexual problems after early-stage breast cancer treatment: results of a French exploratory survey” Psycho Oncol 2011, 20 (8) : 841-850.
- Fobairs P et coll. “Body image and sexual problems in young women with breast cancer” Psycho Oncol 2006, 15 : 579-594

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Sous le radar : méfaits cachés du dépistage du cancer du sein" ; 12 Juil 2022 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-medecine/sous-le-radar-mefaits-caches-du-depistage-du-cancer-du-sein/)
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