Raspail, précurseur de la démocratie sanitaire

Par le 31 janvier 2022, actualisé le 04 Fév 22.

Révolutionnaire républicain, homme politique, savant chimiste, biologiste et botaniste, mais pas médecin, François-Vincent Raspail défendit les droits des patients contre les abus des médecins et argumenta farouchement, à sa manière, pour la démocratie sanitaire, dès le milieu du XIXe siècle.

Bien que non médecin, il publia en 1843 une « Histoire naturelle de la santé et de la maladie » en 3 tomes (a). Elle est ensuite résumée en un manuel : « Le médecin des familles » qui est mis à jour et réédité presque chaque année sous le titre de « Manuel annuaire de la santé ou Médecine et pharmacie domestiques » jusqu’à une 77e édition parue en 1935, bien longtemps après sa mort.
Son approche de la santé est militante : le « système Raspail » défend une médecine populaire, accessible à tous, s’appuyant sur l’hygiène et l’éducation à la santé. Par exemple, il insiste sur le lavage des mains, pratique peu courante à l’époque. Les milieux officiels de la médecine lui sont évidemment hostiles et il est condamné en 1846 pour exercice illégal de la médecine, ce qui ne le freine guère.
Voici quelques extraits de l'introduction de l'édition de 1857 de son manuel. On jugera de la vigueur de sa pensée et de son expression, et de leur modernité. On pourra aussi se réjouir que de nets progrès aient été faits dans la protection des patients vis-à-vis du risque d'abus des médecins. (Les intertitres sont de mon fait).

Des médecins au langage incompréhensible, hors d'atteinte de la justice

« On se plaint depuis deux mille ans que le langage de la médecine soit un jargon inintelligible au malade, que ses moyens de guérir soient tour à tour prônés et décriés  par les pontifes du temple ; en sorte qu'il n'est pas un traitement qui, après avoir eu le plus de vogue, ne soit tôt ou tard accusé d'avoir tué tous ceux qui sont morts après y avoir été soumis. Mais comme tout cela se dit et se fait impunément, que le médecin est irresponsable, que son diplôme lui confère le droit de tout oser, sans en rendre raison à personne, que la légalité de la formule met à couvert l'imprudence et l'inopportunité de la prescription, les survivants n'ont le droit de venger les morts qu'avec l'arme du ridicule : on ne peut traduire le médecin qu'au tribunal de Molière ; et là souvent celui qui rit du meilleur cœur, c'est le médecin. Et il a raison ; le plus ridicule en ce point, ce n'est pas lui, ce sont les autres (*). 

Oui, il est ridicule qu'un corps d'hommes revêtus par la loi de la plus haute magistrature sociale ne soit pas organisé à l'instar de toute autre magistrature, et ne présente pas sa hiérarchie comme garantie des actes de chacun de ses magistrats. 
Il est ridicule qu'en vertu de son diplôme, chacun de ces membres ait le droit de se constituer charlatan, de vendre au plus offrant la seule promesse de la santé, sans être tenu à sa parole. » (...)

(*) « Tant que les hommes pourront mourir, et qu'ils aimeront à vivre, le médecin sera raillé, mais payé » (La Bruyère)
Bas-relief : "Raspail visitant un malade dans une mansarde"
La protestation de F-V Raspail contre les pratiques des médecins de son époque lui valut l'opposition des instances officielles et une condamnation pour exercice illégal de la médecine.

Une pratique médicale sans fondements

« Dans ce petit livre, qui s'adresse au médecin de bonne foi et au malade de bon esprit, je dois me borner à établir avant tout quels sont les devoirs réciproques du malade et du médecin. 

Le médecin, de par son diplôme, n'a pas droit de vie et de mort sur son malade ; le malade n'est pas tenu de professer une foi aveugle en son médecin. Ce qui le démontre, c'est que le malade est libre de choisir, parmi la foule, le médecin qui lui inspire le plus confiance : il est donc juge du mérite de son médecin. Pourquoi ne le serait-il pas de la valeur de ses ordonnances ? 

Voici la réponse : La médecine, en tant qu'elle est l'art de soigner les malades, n'est pas une science, c'est un tâtonnement, ce qui fait qu'elle finit par tomber dans l'arbitraire et le caprice. Il n'est pas un élève qui ne connaisse le fait de Bosquillon, médecin à l'Hôtel-Dieu, qui, en entrant un matin dans sa salle, se mit à dire aux étudiants accourus à la clinique : « Que ferons-nous aujourd'hui ? Tenez, nous allons purger tout le côté gauche de la salle et saigner tout le côté droit. » (...) 

La raison à la base de la démocratie sanitaire

« Puisque le malade ou les parents du malade ont le droit de se constituer juges du mérite du médecin et de l'opportunité de ses ordonnances, ils doivent chercher à le faire en connaissance de cause, et avec autant de prudence que de bonne foi. Il est donc rationnel que chacun aujourd'hui se mette au courant de tout ce que présente de positif l'art de soigner les malades et de conserver sa propre santé. L'étude pratique de la médecine doit tôt ou tard faire partie de toute bonne éducation. Dès ce moment, l'art médical se dépouillera de ses caprices, en face du contrôle éclairé de son client ; et le charlatan, cette ignoble plaie de la profession la plus noble, ne trouvera plus de place dans la société. D'un côté la maladie sera mieux étudiée, quand elle aura pour observateur le patient, et non pas seulement le médecin (...)
Ne perdez jamais de vue ce que je vais vous dire : s'il est des médecins qui se résoudraient à sacrifier leur nom et leur clientèle plutôt que de compromettre la santé d'un malade, il en est aussi que l'amour-propre et la soif de l'or pousseraient à sacrifier la santé du malade plutôt que d'avouer une erreur » (...) 
Portrait à la plume de F-V Raspail
"Manuel annuaire de la santé" de 1857 (non signé)

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a- Né en 1794 (an II du calendrier républicain), pendant la révolution française, François Vincent Raspail fut un homme politique et révolutionnaire républicain. Il fut gravement blessé sur une barricade en 1830, pendant la "Révolution de Juillet", encore appelée "Trois glorieuses" qui provoqua la chute de Charles X. Il fut plusieurs fois emprisonné pour raisons politiques, sous le règne de Louis Philippe, notamment pour « offense au roi ». Ce qui ne l'empêcha pas de diriger l'« Association républicaine de défense de la liberté de la presse » depuis sa prison.
En tant que scientifique, il publia plusieurs articles d'anatomie microscopique, de botanique et de zoologie des invertébrés. Il mit au point une méthode pour découper en très fines tranches des prélèvements de tissus animaux après les avoir congelés. Ces tranches fines peuvent ainsi être observées au microscope : c'est la microtomie, encore utilisée de nos jours. Il mit aussi au point des colorants destinés aux observations microscopiques. Il fait partie des précurseurs de la théorie cellulaire. En botanique, il a décrit environ 150 espèces de graminées, mais une seule est encore admise. En parasitologie, il a découvert et décrit le parasite responsable de la gale.
Il mit enfin au point une liqueur de plantes aux vertus supposées digestives, qu'il présenta comme assurant une longue vie : l'élixir Raspail, qui eut un grand succès.
Onze ans après sa mort, un monument lui fut élevé square Saint Antoine (Paris, 14e), avec une statue en pied et deux bas-reliefs dus au sculpteur Léopold Morice. La statue a fait partie des bronzes déboulonnés et fondus pour servir à la fabrication des armes nazies au cours de la Seconde guerre mondiale. Il reste à Paris le socle de la statue, un boulevard Raspail et une station de métro ouverte en 1906.

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Crédit photo n°1 : anonyme sur Paris Autrement
Bas-relief de Léopold Morice "Raspail visitant un malade dans une mansarde" (1889)
Crédit photo n°2 : anonyme sur Internet Archive

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Sources

- "François-Vincent Raspail" Mise à jour du 16 janvier 2022, "Raspail (liqueur)" Mise à jour du 12 décembre 2020, Wikipedia, l’encyclopédie libre. Site internet fr.wikipedia.org.
- Guillemain H "Raspail, ou l'apologie de la démocratie médicale" 27 juin 2017. Site internet sciences-critiques.fr, téléchargé le 30 janvier 2022.
- Raspail F-V "Manuel annuaire de la santé pour 1857, ou Médecine et pharmacie domestiques" (12e année ou 11e édition, entièrement refondue) Éd. des ouvrages de M. Raspail (Paris) / Office de publicité (Bruxelles), 1857. Consulté sur le site "Internet Archives" le 30 janvier 2022.

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Raspail, précurseur de la démocratie sanitaire" ; 31 Jan 2022 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/medias/raspail-precurseur-de-la-democratie-sanitaire/)
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