Quatre histoires de placebos ou de nocebos

Par le 2 février 2022, actualisé le 08 Fév 22.

Même s'ils n'ont aucune activité pharmacologique, les placebos peuvent avoir une action positive (placebo) ou négative (nocebo). Les essais semblent le démontrer, et nombre d'histoires vécues aussi.

Les placebos sont des médicaments sans activité pharmacologique : leur contenu est sans action médicamenteuse sur le corps. Ils contiennent par exemple du lactose, de la mie de pain, ou du sérum physiologique (autrement dit, de l'eau salée).
Mais ils ne sont pas sans action, ce qui a longtemps semblé mystérieux. Ils peuvent avoir des effets positifs (effet placebo) ou des effets négatifs (effet nocebo). Leur action est probablement liée à la conviction qu'une amélioration ou un effet indésirable va survenir. Cette conviction a des effets sur le cerveau et son fonctionnement, ce qui expliquerait l'effet placebo.

Les études sur les placebos sont contradictoires

Quelques études ont comparé un placebo à l'absence de traitement. Globalement, ces essais ont montré un effet modéré sur la douleur et les nausées, et peut-être sur les phobies et l'asthme. Ils n'ont pas montré d'effet sur les 7 autres critères étudiés : le tabagisme, l'obésité, l'hypertension, la démence, l'anxiété, l'insomnie et la dépression. Mais il s'agissait de petites études peu puissantes, et il est impossible d'affirmer qu'un effet modeste n'existe pas.
En effet, de très nombreuses études ont comparé un traitement à un placebo : des améliorations et des effets indésirables ont été observés après la prise de placebos.
Et c'est peut-être l'effet placebo qui explique la popularité de pratiques de soin qui satisfont de nombreuses personnes alors qu'aucun autre mécanisme connu ne peut l'expliquer.

Le placebo qui disait son nom

L'effet placebo pourrait aussi être observé quand on explique au patient qu'il utilise un médicament sans effet pharmacologique. Une firme aventureuse a même commercialisé pendant un certain temps un placebo rouge (tonifiant) et un placebo bleu (calmant) sous le nom de Lobepac Fort° (l'adjectif a son importance). Ils étaient désignés comme "élixirs psychoactifs", sans cacher qu'il s'agissait de placebos. J'avais apprécié l'honnêteté de la démarche, et j'ai profondément regretté leur retrait du marché, après que les autorités aient refusé de les rembourser.
Voici maintenant quelques histoires vécues, racontées par des confrères ou par des pharmaciens. Vous jugerez par vous-même si on peut en déduire (ou pas) que l'effet placebo existe véritablement.

Le tranquillisant de Madame Dubourt

Dans les années 1970, il existait un tranquillisant de la famille des benzodiazépines qui s'appelait le Sedialium°. Et Madame Dubourt en prenait régulièrement, à dose plutôt élevée (a,b). Chaque tentative de diminution ou d'arrêt avait été un échec, provoquant agitation, irritabilité, frustration, jusqu'à la reprise du traitement. Et puis un jour, le médicament fut retiré du marché. Madame Dubourt était au désespoir. Son médecin aurait évidemment pu lui prescrire une autre benzodiazépine : leurs effets sur le cerveau sont peu différents. Mais il eut une autre idée. Il proposa à Madame Dubourt de faire fabriquer des gélules du même médicament par le pharmacien du village. Et en cachette, il s'entendit avec le pharmacien, qui se contenta de mettre du lactose en poudre dans les gélules. Madame Dubourt, convaincue de continuer à prendre le même médicament, n'eut aucun de ses signes habituels de sevrage, et continua de prendre ses gélules factices pendant des années. Jusqu'à ce que les préparations faites par les pharmaciens ne soient plus remboursées par la sécurité sociale. Madame Dubourt refusa de payer pour continuer à prendre ses gélules... et son médecin finit par lui prescrire à nouveau un tranquillisant benzodiazépine.

Lobepac Fort° (anagramme de placebo) bleu et rouge.
Ces deux "élixirs psychoactifs" étaient composés
d'eau, d'un peu d'alcool, de glycérol et d'un colorant alimentaire.
Le bleu était réputé avoir des vertus calmantes et décontractantes,
le rouge, des vertus tonifiantes et vivifiantes.

Deux histoires qui tournent mal

Monsieur B Regnault avait pris la mauvaise habitude de pulvériser un médicament vasoconstricteur dans son nez. Ces médicaments ferment les artères qui conduisent le sang au nez : le gonflement diminue et le nez se débouche rapidement. Mais ils ont deux défauts : avec le temps, leur efficacité diminue. On peut alors avoir envie de les réutiliser de plus en plus souvent, en dépassant la dose. C'est ce qui est arrivé à Monsieur Regnault. Or à dose trop forte ou trop répétée, il existe des risques d'hypertension artérielle, d'accélération du cœur (tachycardie), d'infarctus du myocarde (crise cardiaque), d'accident vasculaire cérébral, de troubles psychiatriques, etc. Le médecin de Monsieur Regnault s'entendit alors avec le pharmacien (c'était une autre époque - je doute que ce soit possible aujourd'hui). Celui-ci remplaça une toute petite quantité du médicament par du sérum physiologique, et à chaque retour du patient, il en remplaça un peu plus. Jusqu'à ce que le flacon ne contienne pratiquement que du sérum physiologique. Et puis un jour, Monsieur B Regnault partit en vacances et acheta son vasoconstricteur nasal ailleurs : il revint furieux, convaincu (à juste titre) qu'on avait trafiqué son médicament. Et il changea de pharmacien.

Madame Colineau était une hypocondriaque comme on en rencontre parfois : elle avait toujours quelque symptôme étrange, et lorsque l'un guérissait, un ou plusieurs autres apparaissaient aussitôt. Parler à un psychologue aurait sans doute pu l'aider, mais pour cela, il aurait d'abord fallu qu'elle comprenne que ses multiples symptômes ne provenaient pas d'une maladie grave. Mais loin de là, pour sa dernière "maladie", elle s'était convaincue que seul un traitement injectable pourrait la guérir. Son médecin ne tenait absolument pas à lui injecter quoi que ce soit : il y a toujours un risque d'allergie ou d'effet indésirable. Après avoir bien insisté sur la puissance du médicament qu'il prescrivait, il s'entendit avec l'infirmière pour que celle-ci administre uniquement le contenu de l'ampoule, sans y dissoudre le médicament. Mais à peine eut-elle enfoncé l'aiguille et commencé d'injecter l'eau salée que Madame Colineau s'effondra sans connaissance : ce médicament était vraiment trop puissant...

De jolis comprimés rose vif

Rémi avait plus de six ans, et il faisait encore pipi au lit. À cette époque, il n'existait aucun médicament pour traiter l'énurésie. Alors le pharmacien fit des boules de gomme. On prend de la gomme arabique, on en fait des petits cylindres, exactement comme font les enfants avec de la pâte à modeler. Puis on les découpe en morceaux, et on les roule entre ses paumes pour obtenir de petites boules. On les passe ensuite dans un sirop coloré et concentré, par exemple du sirop de fraise, et on les laisse sécher. Ces petits comprimés rose vif étaient des plus efficaces : dès qu'il les prenait, Rémi ne faisait plus pipi au lit. Et dès qu'il n'en avait plus, il mouillait son matelas. Jusqu'à ce qu'avec le temps, le problème disparaisse.

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a- Les noms et les caractéristiques des patients et des professionnels de santé ont été changés pour les rendre impossibles à reconnaître.
b- Tous les tranquillisants de la famille des benzodiazépines sont toxicomanogènes : avec le temps, il sont moins efficaces, et le consommateur a envie d'augmenter la dose. D'autant que s'il arrête brutalement d'en prendre, il souffre souvent d'un syndrome de sevrage qui lui fait croire qu'il "ne peut s'en passer".

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- "Effet placebo" Mise à jour du 03 janvier 2022, "Histoire du placebo et de l'effet placebo" Mise à jour du 20 décembre 2021, Wikipedia, l’encyclopédie libre. Site internet fr.wikipedia.org.
- Prescrire rédaction "Essais cliniques versus placebo : divers types de placebos, dits purs, impurs voire faux placebos" Rev Prescrire 2020 ; 40(442) : 621-624.
- Hróbjartsson A, Gøtzsche PC "Placebo interventions for all clinical conditions" Cochrane Database of Systematic Reviews 2010, Issue 1. Art. No.: CD003974. DOI: 10.1002/14651858.CD003974.pub3.
Aulas JJ (interrogé par Berger P) "Effet placebo : pour guérir, pas besoin de mentir" Le Cercle Zététique. Site internet zetetique.ldh.org

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Crédit photo : Copyright JJ Aulas, avec son aimable autorisation


Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Quatre histoires de placebos ou de nocebos" ; 02 Fév 2022 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-histoires-vraies/quatre-histoires-de-placebos-ou-de-nocebos/)
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