Aide médicale d'État (AME) : la course d'obstacles

Par le 3 mai 2023, actualisé le 11 Déc 23.

L'aide médicale d'État (AME) s'adresse à des personnes particulièrement fragiles, à la fois physiquement, socialement et mentalement. L'Assurance maladie semble tout faire pour les empêcher d'obtenir le droit de se soigner. Avec succès...

Un droit fondamental

Le droit à la vie fait partie des droits fondamentaux. Et avec lui, le droit de recevoir des soins en cas de maladie. Comme souvent avec les obligations éthiques, ce n'est pas seulement une question de morale : c'est aussi une question pratique.
Lorsqu'une partie de la population est privée de soins, elle finit par arriver dans les hôpitaux dans des états graves. Non seulement elle est mal soignée, mais encore elle coûte alors bien plus cher que si elle avait pu bénéficier des soins de premier recours (médecine générale, examens, médicaments).
Et d'autre part, elle est à l'origine d'épidémies. Les microbes ne cherchent pas à savoir qui est "français de souche" ou pas : ils attaquent tout le monde. Je me souviens d'avoir soigné un malade qui n'avait pas pu obtenir de couverture maladie. Le temps qu'il soit guidé par des associations pour obtenir son droit et qu'il ose enfin consulter, sa tuberculose, non soignée, avait contaminé quatre autres personnes... Et que dire des risques de sida, d'hépatite, etc.

Une enquête impressionnante

En janvier et février 2023, cinq associations ont donc enquêté sur l'accès à l'aide médicale d'État (AME) en Ile-de-France. Elles ont étudié les informations mises en ligne sur le site de l'Assurance maladie (ameli.fr) et la plateforme de prise de rendez-vous clicRDV.com. Elles ont testé le numéro 3646 de l'assurance maladie par lequel il faut passer pour prendre rendez-vous, ainsi que les services départementaux identifiés, au cours de 271 appels. Et 30 enquêteurs accompagnés d’interprètes ont interrogé 258 personnes concernées par une demande d'aide médicale d'État.
Sur 10 personnes ayant droit à l'AME interrogées, 6 ont eu des difficultés pour se soigner, faute de couverture maladie, et 7 ont dû renoncer à des soins.

Les départements d'Ile-de-France sont le 75 (Paris), le 77 (Seine-et-Marne), le 78 (Yvelines), le 91 (Essonne), le 92 (Hauts-de-Seine), le 93 (Seine-Saint-Denis), le 94 (Val-de-Marne) et le 95 (Val-d'Oise). Selon le recensement de 2020, plus de 12 millions de personnes résident dans ces 8 départements.

Des guichets inaccessibles

La réforme de l'AME de 2019 impose que les personnes qui demandent l'aide médicale d'État le fassent en se rendant eux-même physiquement au guichet d'une caisse primaire de sécurité sociale. Problème : les caisses primaires limitent le nombre de guichets "autorisés" à recevoir ces demandes. En Seine-Saint-Denis, une seule agence reçoit les demandes d'AME pour tout le département. Résultat : il faut souvent plus d'une heure rien que pour se rendre au guichet. Autant dire que la personne perd une demi-journée ou une journée de travail.
De plus, les lieux, les horaires d'ouvertures et les modalités de dépôt changent souvent sans que les usagers en soient avertis.

Des rendez-vous impossibles

Plusieurs caisses primaires d'Ile-de-France imposent une prise de rendez-vous par internet ou par téléphone pour venir déposer son dossier, et parfois même pour venir retirer sa carte. Cette exigence est un obstacle redoutable si on ne sait pas lire et écrire le français ou qu’on ne dispose pas de connexion internet ou de forfait téléphonique pour appeler le 3646 (numéro payant).
Lors de l'appel téléphonique, dans certains départements (Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne), plus d'un tiers des appels se termine sans que personne ne décroche. Il est fréquent d'attendre entre 20 et 45 minutes avant d'avoir quelqu'un à qui parler.

Des informations insuffisantes

Lorsque l'appel téléphonique aboutit, les informations données sont le plus souvent incomplètes. Dans certaines caisses primaires, sur 10 appels, plus de 7 mentionnent de manière incomplète les conditions d'obtention de l'AME et les éléments du dossier à constituer, et 1 ne les mentionne pas du tout.
Lorsque les conditions d'obtention sont mentionnées, les explications sont parfois tout simplement fausses.

Un dépôt de dossier aléatoire

Au moment de l'enquête, en janvier 2023, il fallait parfois attendre 10 à 24 jours pour obtenir un rendez-vous et déposer sa demande. Lors de ce rendez-vous, plus de la moitié des dossiers ont été refusés car incomplets (faute d'information préalable). Dans plus de 2 cas sur 10, les vigiles postés à l'entré des caisses primaires ont refusé l'accès aux personnes venant déposer leur dossier.

Le retrait de la carte n'est pas plus facile

Parmi les personnes venues retirer leur carte, une fois celle-ci fabriquée, plus d'une sur trois n'a pas pu l'obtenir, le plus souvent parce que le courrier indiquant que la carte était prête ne signalait pas qu'il fallait obligatoirement prendre rendez-vous.

Quelques recommandations de simple bon sens

Les associations ayant mené l'enquête aboutissent à des recommandations de simple bon sens.
- Que toutes les agences de l'Assurance maladie puissent accueillir les demandes d'aide médicale d'État.
- La possibilité de déposer des demandes d'aide médicale d'État sans rendez-vous.
- La mise en place d'une information appropriée pour aider les personnes dans leurs démarches et non les entraver : interprétariat, brochures d'information, formation des agent.es (y compris les vigiles).

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Lire aussi :
- Confinement et pauvreté

Sources :
- Médecins du Monde, La Cimade, Dom’Asile, Comede, Secours Catholique 93 "Obstacles à la santé : une enquête inédite sur l’aide médicale d’Etat" Communiqué de presse publié le 20 avril 2023.
- Médecins du Monde, La Cimade, Dom’Asile, Comede, Secours Catholique 93 "Entraves dans l'accès à la santé. Les conséquences de la réforme de 2019 sur le droit à l'aide médicale d'État" Rapport d'enquête, avril 2023, 6 pages.

Crédit photo :
- Image 1 - "Ticket office" par Theen Moy sur Flickr (recadré)
- Image 2 - "Les cinq associations", montage par Jean Doubovetzky

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Aide médicale d'État (AME) : la course d'obstacles" ; 03 Mai 2023 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-actualites/aide-medicale-detat-la-course-dobstacles/)
PARTAGER CET ARTICLE :