Avant le Mediator° (1) : les amphétamines et la guerre

Par le 19 février 2023, actualisé le 26 Juin 23.

La molécule de base du Mediator°, le benfluorex, fait partie des amphétamines. Ces médicaments ont été découverts à la fin du 19e siècle. À partir de la 2e guerre mondiale, ils ont été utilisés en grandes quantités par les militaires, en raison de leurs propriétés stimulantes. Cet emploi massif a provoqué des milliers de toxicomanies et des milliers de maladies cardiaques chez les soldats. Ce qui n'empêche pas les armées de continuer à les utiliser.

La commercialisation et le maintien sur le marché du Mediator° ont été un scandale. Parce que la firme Servier savait parfaitement que sa molécule, le benfluorex, était une amphétamine. Et que les responsables de l'agence du médicament n'ont pas vérifié. Or les dangers cardiaques des amphétamines étaient bien connus. En surveillant les effets indésirables possibles du benfluorex , on aurait rapidement pu mettre en évidence les dangers de ce médicament. Et on aurait probablement évité des dizaines de milliers de malades et des milliers de morts.
Mais le benfluorex n'est pas la seule amphétamine a avoir été utilisée malgré ses effets indésirables. Un usage encore plus massif d'autres amphétamines a été fait par de nombreuses armées au monde. Remontons un peu le temps.

Les médicaments sont nommés par leur dénomination commune internationale, autrement dit, par le nom que leur donne l'OMS (sans majuscule, en italiques). Par exemple "benfluorex". Le nom de marque est éventuellement indiqué entre parenthèses et marqué d'une majuscule et du signe °. Par exemple "Mediator°". Lire à ce sujet l'article "Le véritable nom des médicaments".

Les patients découvrent les effets stimulants des amphétamines

L'amphétamine est d'abord synthétisée par un chimiste roumain à la fin du 19e siècle, puis elle est oubliée. C'est en cherchant des médicaments capables de dilater les bronches (pour traiter l'asthme par exemple) qu'elle est redécouverte en 1927. Elle est alors commercialisée aux USA sous forme d'inhalateurs, avec le nom de Benzédrine°. L'appareil est formé d'un petit tube en aluminium percé à ses deux extrémités et dans lequel reposent des papiers poreux imbibés d'amphétamine, qui peut ainsi être "sniffée".
Ce sont les consommateurs qui découvrent ses propriétés stimulantes et commencent à en détourner l'usage. Ils ouvrent l'inhalateur, puis ils extraient l'amphétamine en plongeant les papiers imbibés dans des liquides : café, cocktails, etc. Car les effets de l'amphétamine sur le cerveau sont bien plus puissants lorsqu'elle est avalée au lieu d'être absorbée par voie pulmonaire.
La Benzédrine° est alors largement utilisée par des artistes, des écrivains et elle commence à l'être par… Monsieur Tout le Monde. La firme pharmaceutique SKF la commercialise en comprimés et en fait la publicité comme traitement contre « l’apathie, le découragement et la fatigue ».

Les usages militaires des amphétamines pendant la 2e guerre mondiale

Les chimistes allemands synthétisent un dérivé de l'amphétamine : la méthamphétamine, surnommée "Crystal" ou "Ice" en raison de son aspect. Elle est commercialisée en comprimés sous le nom de Pervitine°. L'armée allemande en fait fabriquer de grandes quantités. 35 millions de comprimés auraient été distribués aux soldats de la Wehrmacht au cours de l'offensive de 1940, leur permettant de ne pas dormir et de continuer à se battre pendant plusieurs jours.
Les britanniques comprennent eux aussi le potentiel militaire de ces molécules. Pendant la bataille d'Angleterre, ils administrent de l'amphétamine aux pilotes de la Royal Air Force, compensant ainsi en partie leur infériorité numérique, car ils manquaient plus de pilotes que d'avions. De fortes doses d'amphétamine sont aussi administrées par le général Montgomery aux tankistes de la 24e brigade lors de la bataille d'El Alamein. Les tankistes se battent avec une grande agressivité. Mais ils souffrent aussi d'une perte de leur lucidité : 80% des tanks de la brigade sont détruits…
Les amphétamines continuent d'être distribuées aux soldats. Par exemple aux tankistes et pilotes allemands sous forme de "Panzerchokolade" (chocolat des chars). Ou aux fantassins pris dans les neiges russes, pour qu'ils trouvent l'énergie de continuer à se battre… sans parle d'Hitler lui-même, qui reçoit quotidiennement de la méthamphétamine par injections. Les japonais ne sont pas en reste, et eux aussi droguent leurs soldats, et notamment les pilotes de leurs avions kamikazes.

Affiche ironique imitant la propagande militaire.
"Pilotes, trop de missions ? Vous ne tenez plus les yeux ouverts dans le ciel ? Prenez des amphétamines !"
Et en bas à gauche, en plus petit :
"Attention, les Canadiens ! Voilà l'US Air Force !"

Un usage continu jusqu'à nos jours, malgré des effets indésirables graves

Les usages militaires de la 2e guerre mondiale conduisent à de nombreux effets indésirables. Bouffées d'agressivité, crises d'angoisse ou de violence et plongées dépressives peuvent se succéder au gré des surdosages et des périodes de manque. Les amphétamines conduisent aussi à des pertes d'appétit et des amaigrissements, des maux de tête, des tremblements, à des poussées d’hypertension, des maladies pulmonaires, des troubles du rythme cardiaque (tachycardie), des infarctus du myocarde ou des maladies des valves du cœur et à des morts. Et je suis loin de citer ici tous les risques des amphétamines !
Pourtant, après la guerre, leur usage se répand dans la société civile. Par exemple, dans les années 1950, la compagnie d'aviation PanAm en offre parfois à ses passagers !
La carrière militaire des amphétamines ne s'arrête pas là. Les USA ont continué de les utiliser en Corée, au Vietnam et jusqu'à aujourd'hui. Une histoire célèbre est celle de pilotes américains ayant pris de l'amphétamine en 2002. Ils revenaient à leur base après une mission de plus de 10h pendant lesquelles ils avaient patrouillé au-dessus de l'Afghanistan. Se croyant attaqués par des missiles sol-air, oubliant tous les protocoles, ils ont bombardé leurs alliés canadiens qui faisaient un simple exercice de nuit. Ils expliquèrent que leur jugement avait été brouillé par l'usage des "go pills" (les "comprimés pour y aller"). L'un des pilotes fut acquitté, et l'autre écopa d'une simple amende…
On dit aussi que sous le nom trompeur de captagon, des amphétamines sont utilisées par les troupes de Daech, mais il semble que ce soit une légende. Dans la guerre civile de Syrie (à partir de 2011) et dans la guerre entre Russie et Ukraine (à partir de 2014), chaque camp explique que les soldats de l'autre sont drogués aux amphétamines. Et dans ces cas, le plus vraisemblable, c'est que beaucoup le sont en effet.

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À lire : bande dessinée : 
           Giacometti E, Frachon I et Duprat F "Mediator, un crime chimiquement pur", Delcourt 2023.
À voir : films documentaires en version française sur Dailymotion : 
            "Pervitin : La Pilule de Göring" - Sönke et Bitar, 2010.
            "Les junkies d'Adolf Hitler" - François Pomès, 2015.

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Sources :

- "Amphétamine" mis à jour le 04 février 2023, "Amphétamine (Classe)" mis à jour le 29 mars 2022 et "Methamphétamine" mis à jour le 16 février 2023, "Fénéthylline" mis à jour le , Wikipédia, l’encyclopédie libre.
- "Amphétamine" In Brunton LL, Knollmann BC et coll. « Goodman and Gilman’s The pharmacological basis of Therapeutics » 14th edition, McGrawHill editor, New York (USA) 2023 : pp 264-265.
- Fenster A "L'amphétamine et la guerre" (13 juillet 2012) - Agence Science Presse, 13 juillet 2012
- "La puissance : découverte des amphétamines" (26 mai 2012) et "Utilisation militaire des amphétamines" (28 mai 2012) Encyclopédie Savoir.fr
- Constant A "« Alliés et nazis sous amphétamines » : pervitine et benzédrine, drogues de combat" Le Monde, 20 août 2019.
- Boyer EW et coll. "Methamphetamine: Acute intoxication" In : UpToDate, Post TW (Ed), UpToDate, Waltham, MA, USA. (Mise à jour janvier 2023).
- The Global Initiative against Transnational Organized Crime "The nexus of conflict and illicit drucg trafficking - Syria and the wider region", novembre 2016, 39 pages.
- OFDT (Observatoire français des drogues et des tendances addictives) "Captagon, déconstruction d'un mythe", juillet 2017, 41 pages.

Crédits photo
- Image 01 : "Amphetamine" par DM Trott sur Flickr
- Image 02 : "Take Amphetamines!" par S Blackman sur Flickr

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Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Avant le Mediator° (1) : les amphétamines et la guerre" ; 19 Fév 2023 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-actualites/avant-le-mediator-les-amphetamines-et-la-guerre/)
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