Chaque mois, la revue indépendante Prescrire passe en revue les médicaments nouvellement commercialisés, ainsi que les nouvelles indications de médicaments déjà sur le marché. Elle en discute les mérites et démérites, par comparaison avec les autres traitements disponibles. Voici les médicaments qu'elle a examinés dans son numéro de décembre 2022.
POUR LES PROS :
L'article qui suit est complexe, et traite de maladies relativement rares. Il intéressera surtout les professionnels de santé, ainsi que les personnes atteintes par ces maladies et leurs proches.
En France comme dans de nombreux autres pays, pour commercialiser un médicament, il faut démontrer qu'il est plus efficace qu'un placebo (a). Ses bénéfices potentiels doivent aussi sembler supérieurs à ses effets indésirables.
La rédaction Prescrire compare les effets cliniques des médicaments à ceux des autres traitements disponibles et les classe en 6 catégories, en fonction de leur utilité. Voici les évaluations Prescrire des nouveaux médicaments dans le numéro de décembre 2022 (réf. 1).
Les médicaments sont nommés par leur dénomination commune internationale, autrement dit, par le nom que leur donne l'OMS (sans majuscule, en italiques). Le nom de marque est éventuellement indiqué entre parenthèses et marqué d'une majuscule et du signe °. Lire à ce sujet l'article "Le véritable nom des médicaments".
Bravo : 0 (zéro) - progrès thérapeutique majeur dans un domaine où nous étions démunis
Rien en décembre 2022
Intéressant : 0 (zéro) - progrès thérapeutique important, mais avec certaines limites
Rien en décembre 2022
Apporte quelque chose : 1 (un) - apport limité
- sofosbuvir + velpatasvir + voxilaprévir (Vosevi°) dans l'hépatite C des adolescents. Cette tri-thérapie être utile dans les rares cas où une bithérapie antivirale s'est montrée insuffisamment efficace. Mais le peu de cas décrits ne permet pas de véritable certitude.
Éventuellement utile : 0 (zéro) -intérêt thérapeutique supplémentaire minime
Rien en décembre 2022
N'apporte rien de nouveau : 10 (dix)- substance sans plus d'intérêt clinique que les autres substances déjà disponibles
- empagliflozine (Jardiance°) dans l'insuffisance cardiaque chronique. Dans deux essais contre placebo sur environ 10 000 patients en tout, l'empagliflozine a diminué les hospitalisations, mais pas la mortalité. Dommage qu'elle n'ait pas été comparée aux autres médicaments de l'insuffisance cardiaque.
- vériciguat (Verouvo°) dans l'insuffisance cardiaque chronique après décompensation. Dans un essai contre placebo, le vériciguat a très peu diminué les hospitalisations, mais pas la mortalité, et n'a pas amélioré la qualité de vie. Et il expose à des effets indésirables parfois graves (hypotensions, vertiges, anémies, trounles digestifs...)
- naldémédine (Rizmoic°) dans la constipation due aux médicaments dérivés de l'opium. Dans cette situation (souvent en fin de vie), une alimentation précise et un laxatif simple suffisent en général. En cas d'échec, plusieurs médicaments se fixant sur les récepteurs des dérivés de l'opium sont utilisables. Rien ne montre que celui-ci est meilleur que les autres.
- colécalciférol 1000 UI et 2000 UI (Vitamne D2) en capsules molles (UVcaps°). Ces présentations supplémentaires de vitamine D2 n'ont aucun avantage particulier. Mais la multiplication des présentations augmente le risque d'erreur de dose.
- sofosbuvir + velpatasvir (Epclusa°) dans l'hépatite C chronique chez les jeunes enfants. Maintenant utilisable à partir de l'âge de 3 ans, ce traitement n'est pas meilleur que ses concurrents, mais doit être pris plus longtemps (12 semaines au lieu de 8 semaines). Aucun avantage, donc.
- pralsétinib (Gavreto°) dans certains cancers bronchiques. Autorisé dans certains cancers bronchiques (avec métastases et mutation RET), son efficacité clinique n'est pas établie, alors qu'il peut provoquer des effets indésirables graves. Attendons des essais plus démonstratifs !
- fédratinib (Inrebic°) dans la myélofibrose. Dans cette maladie rare, certaines cellules de la moelle osseuse se développent et une fibrose se développe. Le traitement repose sur la greffe de cellules souches, et éventuellement sur le ruxolitinib (un immunosuppresseur). Il n'est pas démontré que le fédratinib fasse mieux que le ruxolitinib.
- vaccin élasoméran (Spikevax°) en prévention du covid-19 des enfants de 6 à 11 ans. À cet âge, le tozinaméran (Comirnaty°) a été efficace dans un essai avant que le variant Omicron se développe. Le vaccin élasoméran entraîne bien une réponse immune, mais son effet préventif sur la maladie n'est pas connu.
- satralizumab (Enspryng°) dans la neuromyélite optique. Comparé à un placebo dans deux petits essais de fiabilité médiocre, mais pas à d'autres immunosuppresseurs.
- vaccin pneumococique conjugué à 15 valences (Vaxneuvance°) chez les adultes. N'a pas été comparé au vaccin à 13 valences sur des critères cliniques (la fréquence des infections invasives).
Pas d'accord : 1 (un) - aucun avantage évident, mais des inconvénients possibles ou certains
- roxadustat (Evrenzo°) dans les anémies des insuffisances rénales chroniques. Il n'est pas démontré que le roxadustat est plus efficace que les époétines (médicaments existant déjà) pour réduire les anémies des malades d'insuffisance rénale chronique.
La rédaction ne peut se prononcer : 1 (un)
- vosoritide (Voxzogo°) dans l'achondroplasie. Dans cette maladie génétique rare aboutissant à un nanisme, selon un petit essai, le médicament permet une augmentation de la vitesse de croissance. Mais l'essai n'a pas duré suffisamment pour connaître le résultat final, et pour surveiller ses effets indésirables. Attendons la poursuite de son évaluation avant de décider de l'utiliser ou pas.
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Mauvaises nouvelles : 1 (une)
- Attention à l'arrêt de l'anagrélide (Xagrid° ou autre). Des cas de thrombose (caillot sanguin dans les vaisseaux sanguins) et d'accident vasculaire cérébral (attaque cérébrale) parfois graves ont été décrits en cas d'arrêt brutal du traitement. L'arrêt du traitement doit être fait en coordination avec le prescripteur, pour diminuer les risques.
Bonnes nouvelles : 1 (une)
- Retrait de l'indication du rucaparib (Rubraca°) dans les aggravations des cancers de l'ovaire. En effet, un essai comparatif a montré que la survie des malades était diminuée chez les malades prenant ce traitement. Encore un exemple d'autorisation de mise sur le marché trop précoce, sur la base de données insuffisantes, ayant conduit à nuire à la santé de certains malades. C'est bien d'avoir corrigé. Mais il aurait été mieux de ne pas donner d'autorisation de commercialisation imprudente.
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Je recommande à tous les professionnels de santé de ne pas se contenter des informations limitées de ce blog et d’aller lire les arguments détaillés à la source.
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a- Un placebo est "une substance sans principe actif (= sans effet pharmacologique) mais dont la prise peut avoir un effet psychologique bénéfique pour le patient" ou encore (autre définition) "une préparation dépourvue de tout principe actif, utilisée à la place d'un médicament pour son effet psychologique, dit effet placebo" (ref. 2). À noter qu'un placebo ou un médicament peut aussi avoir des effets négatifs, et provoquer des effets indésirables : c'est l'effet nocebo.
Lire aussi :
- Les objectifs des traitements et des diagnostics
- Traitements : les essais comparatifs sont indispensables
- Incertitude
- Quatre histoires de placebos ou de nocebos
- Des médicaments à ne pas utiliser
- La suggestion en thérapeutique selon Bernheim
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Sources
1- Prescrire Rédaction “Rubrique : Le rayon des nouveautés" Rev Prescrire 2022 ; 42 (470) : 885-903.
2- Prescrire Rédaction “Essais cliniques versus placebo : divers types de placebos, dits purs, impurs voire faux placebos" Rev Prescrire 2020 ; 40 (442) : 621-624.
Crédits photo :
Image n°1 : "Assiette de médicaments" Copyright Jean Doubovetzky
Image n°2 : "#6" par Carmen Alonso Suarez sur Flickr