Votre espace santé : vraiment ?

Par le 28 mars 2022, actualisé le 01 Mai 22.

Faut-il "activer" son dossier médical dans "mon espace santé" ? Ou est-ce imprudent ?
Quelques éléments de réflexion pour que chacun puisse choisir.

Il y a quelques jours, en mars 2022, j'ai reçu un courriel me vantant les mérites de "mon espace santé" : un dossier médical numérique, permettant de centraliser « en un seul endroit, sûr et facile d'accès, toutes ses informations de santé ».
Chaque assuré social français a reçu ou devrait recevoir un courriel analogue au cours des premiers mois de 2022.

Un dossier médical numérique "complet"

Selon le document reçu, "mon espace santé" permet un accès au dossier médical, c'est-à-dire à toutes les informations de santé : consultations, traitements, résultats d'examens, radios, ordonnances, lettres de spécialistes, comptes-rendu d'hospitalisation, carnet de vaccination, tests Covid-19, etc.
Mais il contiendra aussi un "profil médical", sorte de résumé comprenant les allergies, les mesures prises ou prévues, les directives anticipées, et une messagerie permettant les échanges entre professionnels de santé (et avec les patients ?)
De manière générale, "l'espace santé" de chaque personne renfermera « tout document utile à sa prise en charge ». Les documents reçus vantent les avantages de permettre à tous les professionnels de santé un accès à toutes vos données de santé.

Le problème de la sécurité des données

Les documents de l'Assurance maladie et du Ministère français de la santé se veulent rassurants. Seuls « Les documents présents dans « Mon espace santé » sont visibles par les professionnels de santé qui y sont autorisés par la loi et les textes réglementaires ».
Mais le sens de la phrase est incertain : explique-t-elle que tous les professionnels de santé y sont autorisés par la loi, ou bien veut-elle dire que seuls certaines professionnels d'une liste particulière y sont autorisés par la loi ?
Plus loin, on lit ; « C'est le patient qui décide quels professionnels de santé peuvent avoir accès à ses documents ». Là encore, incertitude : va-t-on autoriser un professionnel de santé à accéder à tous les documents, ou bien pourra-t-on dire « tel document est accessible à tel professionnel », en changeant les autorisations pour chaque document ? À vrai dire, je crains que la solution la plus simple soit retenue.

Pas de piratage possible : vous y croyez ?

Les documents présentés nous l'assurent : « La confidentialité des informations du dossier médical est totalement garantie. » Mais pas de chance, il y a quelques jours, l'Assurance maladie a reconnu le piratage de son site Amelipro, normalement accessible seulement aux professionnels de santé. 510 000 "fiches détaillées du patient" ont fuité, avec nom, prénom, date de naissance, sexe, numéro de sécurité sociale, ainsi que des données relatives aux droits.
Dans ces conditions, difficile de croire que des données plus vastes, accessibles par plus d'intervenants selon plus de canaux différents, seront plus à l'abri.

Toutes vos données de santé réunies au même endroit,
y compris les plus intimes,
avec une sécurité « totalement garantie » : vraiment ?

Que faire avec "mon espace santé" ?

Si vous ne faites rien, votre "espace santé" sera automatiquement activé au bout de 6 semaines. Si vous ne le souhaitez pas, il faut aller sur "mon espace santé" en utilisant le "code confidentiel" reçu par e-mail ou par courrier. Sur l'e-mail, il faut suivre le lien "activation" (si, si !). Une page internet "mon espace santé" s'ouvre alors. Il faut aller tout au bas de la page pour décocher le lien "activer mon espace santé" et cocher "m'opposer à mon espace santé".
Si on ne dispose pas d'un d'accès internet, on peut désactiver "l'espace santé" par téléphone, en semaine, aux heures de bureau. Appeler (gratuitement) le 3422 en gardant sa carte vitale sous les yeux pour donner à l'opératrice le numéro de série qui est imprimé au dos ou dans un coin. Ne pas oublier de lui demander d'envoyer un justificatif de désactivation par courrier. Si on ne dispose pas de carte vitale, je n'ai pas trouvé le mode d'emploi, et je suggère de poser la question au 3422.
Même si l'espace santé a été activé, vous gardez la possibilité de le fermer « à tout moment ». Il faut demander un code d'accès temporaire, qui est valable une quinzaine de minutes.

Et à l'avenir ?

Une histoire me trotte dans la tête. Au début du XXe siècle, entre les deux guerres, en Autriche, un fichier concernant les enfants avait été constitué, pour venir en aide de manière plus efficace aux enfants en difficulté, qu'il s'agisse de problèmes de santé, de troubles mentaux ou de problèmes sociaux. Quelques années plus tard, ce fichier confidentiel a été utilisé pour repérer des enfants qui ont été enlevés par les autorités. Ils ont alors fait l'objet d'expériences et de tortures, et un grand nombre sont morts des suites de ces mauvais traitements.
Pour le moment, les textes n'autorisent l'accès aux données de santé de "mon espace de santé" qu'aux professionnels de santé, et pas à l'Assurance maladie, aux mutuelles et assurances, ni au Ministère de la santé. Mais à l'avenir ? Qui sait si d'un trait de plume, elles ne deviendront pas accessibles au Ministère de l'intérieur, aux services de renseignement, à la police, à la gendarmerie, aux juges ? Et qui sait comment elles seront utilisées ? Et même sans cela, si elles sont piratées ?

Conseil paranoïaque

Je suis peut-être un peu paranoïaque. Mais personnellement, je conseillerais aux personnes suivantes de refuser "mon espace santé" :
- les personnes à qui on a prescrit un médicament neuroleptique (pouvant servir contre les psychoses), un médicament anti-HIV (contre le sida, y compris à titre préventif), un traitement de substitution des toxicomanies aux opiacés (buprénorphine, méthadone, etc.) ;
- les hommes ayant eu une ablation du prépuce (quelle qu'en soit la raison) ;
- les femmes ayant eu une IVG ;
- les personnes ayant un handicap mental ou physique ;
- les familles ayant fait l'objet d'une enquête génétique.
J'en oublie sans doute : vos commentaires sont les bienvenus.
Je conseillerais aussi de refuser "mon espace santé" à toutes les personnes qui pensent que des pirates sont capables un jour d'accéder à leurs données et de les revendre à qui voudra bien les payer sur le "darknet" (a).

a- On parle de "darknet" pour désigner des contenus internet anonymes qui ne sont pas indexés sur les moteurs de recherche habituels et qui ne sont pas toujours accessibles par les navigateurs habituels.

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Lire aussi :
- Une « fiche détaillée du patient » sur internet

Crédit photo : n°1 - Vicky Gharat sur Pixabay
n°2 - Jan Alexander sur Pixabay

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Sources
- Ministère de la santé et des solidarités, l'Assurance maladie "Réussir ensemble Mon espace santé" Dossier de presse, 20 avril 2021, 15 pages.
- Ministère de la santé et des solidarités, l'Assurance maladie, MSA "Mon espace santé - Décollage imminent pour découvrir un nouvel espace" Dossier de presse, 3 février 2022, 18 pages.
- Mon espace santé "Questions fréquentes - Accéder ou s'opposer à Mon espace santé". Non daté. 1 page. Dernier accès le 1er mai 2022.
- L'Assurance maladie "Mon espace santé, un nouveau service numérique personnel et sécurisé" 17 mars 2022, 5 pages.
- L'Assurance maladie "Connexion de personnes non autorisées à des comptes amelipro" Information presse, 17 mars 2022, 1 page.
- Sheffer E "Les enfants d'Asperger. Le dossier noir des origines de l'autisme" Flammarion, Paris 2019 : 392 pages.
(je vous conseille très vivement cette lecture !)

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Votre espace santé : vraiment ?" ; 28 Mar 2022 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-actualites/votre-espace-sante-vraiment/)
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