La schizophrène confinée

Par le 11 avril 2022, actualisé le 12 Avr 22.

Pendant des années, avec autorité, les soignants ont empêché Madame Y. d'avoir un enfant. Et puis elle a trouvé moyen d'enfanter malgré eux. Et avec un recul de quelques années, ça ne se passe pas si mal.
Fallait-il vraiment l'empêcher de vivre comme elle le voulait ?

Le premier épisode de la Covid bat son plein. Toute la France est confinée à domicile. Madame Y. vient officiellement pour me montrer son fils (a). Il se porte comme un charme et saute avec entrain de la banquette d'examen au pèse-personne. Je la soupçonne de venir au cabinet surtout pour parler. Elle me raconte ses bonheurs et ses malheurs.

Interdit d'enfanter

Ses bonheurs : avant tout son petit garçon de trois ans, que tout le monde lui avait déconseillé ou même interdit d’avoir. Tout le monde, j'exagère : ce sont surtout ses soignants qui lui avaient dit, sur un ton autoritaire, qu'elle ne devait surtout pas enfanter. Ce n'était pas une interdiction officielle, et bien entendu, personne n'avait légalement le droit de prendre une telle décision à sa place.
Mais la manœvre d'intimidation avait suffi à l’empêcher d’enfanter pendant plusieurs années. Étiquetée schizophrène, ainsi que son mari, on lui avait proposé avec insistance, pour ne pas dire imposé, le port d’un stérilet. Consciente que sa demande de le faire enlever susciterait mille débats dont elle aurait bien du mal à se sortir, elle l’avait gardé pendant plusieurs années.

À rusés, rusée et demi

Et puis un jour, elle avait trouvé le bon argument. Elle avait prétendu avoir des saignements utérins incessants et des douleurs insupportables au bas-ventre. Par chance, après le retrait du dispositif intra-utérin, personne ne lui avait (im)posé d’implant. Une pilule contraceptive lui avait été proposée, qu’elle avait acceptée avec un grand sourire, disant bien fort à tous qu’il n’était pas question pour elle d'avoir un enfant. Après quoi, il lui avait suffi de ne pas la prendre. Et hop, le bébé dont elle rêvait depuis des années lui avait poussé dans le ventre. Tant pis si la grossesse avait déclenché un diabète qu’elle avait, depuis, le plus grand mal à équilibrer.
À vrai dire, j’avais toujours trouvé son histoire réjouissante, à cause de la puissance vitale qu’elle dégageait. Et puis, quel sourire avait cette dame, dont la vie était par ailleurs si difficile, lorsqu’elle parlait de son enfant ou qu’elle le regardait ! C’était une grande leçon : ne pas croire que l’on sait mieux que les gens ce qui est bon pour eux…

Les représentations photographiques ou picturales
des personnes atteintes de psychose, notamment de schizophrénie,
ont souvent un caractère effrayant.

Confinée dans le confinement

La nouvelle du jour, c’est que depuis le confinement, son mari et un de ses frères vivent sur le canapé dans la salle de séjour de l’appartement, où ils passent leur temps à fumer. Le malheur est là : le seul mari qu’elle a trouvé lui a été « proposé » par la famille, pendant un voyage au pays. Comme d’habitude, elle a dit oui… Au moins, il lui a fait son bébé. Elle vit donc dans la chambre, avec le garçon : confinée dans le confinement, sauf lorsqu’elle fait les courses ou la cuisine. Ou le ménage, bien sûr. Sortir pour venir au cabinet est sans aucun doute un moment de détente, même si les discussions sont moins vives qu’autrefois dans la salle d’attente que nous nous appliquons à laisser aussi peu remplie que possible…

Schizophrène ou pas ?

Une fois de plus, je me demande si elle est vraiment schizophrène. Et pour dire la vérité, je me demande ce qu'est la schizophrénie, et s'il s'agit vraiment d'une maladie bien précise ou d'une sorte de fourre-tout un peu vague... Bien des gens se sont posé la même question. Je ne suis pas certain qu'elle soit vraiment résolue.
Bien sûr, Madame Y. a eu des hallucinations. Elle m’en a parlé plusieurs fois, les décrivant bien comme des voix anormales, pénibles. Les médicaments neuroleptiques l’en ont délivrée, à sa grande satisfaction. Mais il y a bien longtemps qu’elle a cessé d’en avaler, d’autant qu’ils lui faisaient prendre du poids. Et les voix ne sont pas revenues. Je crois qu'elle est sincère quand elle me dit cela : j'espère qu'elle pense que je suis "de son côté", sans aucune intention de lui imposer quoi que ce soit. Elle va plutôt bien, vu les circonstances. Pourvu que ça dure…

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a- Il va de soi que les noms et les caractéristiques de la patiente et de son enfant ont été modifiés pour les rendre impossible à reconnaître.

Crédit photo :
Image n°1 : Gerld Altmann sur Pixabay
Image n°2 : Camila Quintero Franco sur Unsplash

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Sources
- Guillemain H "Schizophrènes au XXe siècle. Des effets secondaires de l'histoire" Alma Éditeur 2018 : 317 pages, 22 €.
- Martin L "Avant de changer le nom de la schizophrénie" Rev Prescrire 2021 ; 41(456) : 792.
- Guillemain H "Classer les troubles mentaux : aide ou entrave aux soins ? épisodes 5 et 6" Rev Prescrire 2020 ; 40(439) : 393-394 et 40 (440) : 473.
- Fischer BA et coll. "Schizophrenia in adults: Clinical manifestations, course, assessment, and diagnosis" In: UpToDate, Post TW (Ed), UpToDate, Waltham, MA, USA. (Mise à jour 24 mars 2022). https://www.wolterskluwer.com/en/solutions/uptodate

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Lire aussi :
- Noël A. "Interdit d'enfants" Sciences critiques, 1er février 2017.

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "La schizophrène confinée" ; 11 Avr 2022 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-histoires-vraies/la-schizophrene-confinee/)
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