Depuis quelques années, le dosage de la vitamine D chez les adultes est à la mode. En réalité, les carences en vitamine D sont rares chez les adultes des pays riches. Elles sont faciles à détecter par la clinique. Le dosage sanguin a pour principal effet d'inquiéter des patients et de les pousser à consommer inutilement de la vitamine D, au risque d'effets indésirables.
Les vitamines sont des substances dont notre corps a absolument besoin en très petite quantité pour fonctionner correctement, et qu'il est incapable de fabriquer seul (a). Le manque de vitamine D provoque essentiellement des troubles de l'absorption du calcium et de sa fixation dans l'os, qui devient fragile. Chez les enfants en croissance, c'est le rachitisme, qui provoque des déformations osseuses et ne s'observe actuellement que dans les populations les plus pauvres de la planète. Chez les adultes, c'est l'ostéomalacie, qui provoque des douleurs des os et des muscles, et qui prédispose à des fractures sans traumatisme ou pour des traumatismes minimes (fractures dites "pathologiques").
La vitamine D est en grande partie fabriquée par la peau, sous l'action de la lumière solaire (a). Le reste provient de l'alimentation (poissons gras, certains champignons, œufs, beurre, margarines, etc.) La vitamine D est transformée dans le foie et mise en réserve dans les tissus adipeux et les muscles pour être utilisée en cas de besoin.
Une dose quotidienne recommandée à interpréter avec prudence
De quelle dose de vitamine D a-t-on besoin tous les jours ? Vue sous un angle théorique, la question est vraiment complexe. En dehors de son action sur les os, la vitamine D a de multiples effets : sur la transmission nerveuse, sur la coagulation, sur le fonctionnement de certaines hormones, sur l'immunité, etc. D'autre part, la quantité d'hormone fabriquée par la peau dépend du rayonnement solaire, dont la quantité dépend de la situation géographique, du climat et du mode de vie (plus ou moins habillé, avec plus ou moins de sorties à l'extérieur). Enfin pour la même exposition solaire, les peaux plus pigmentées fabriquent moins de vitamine D.
C'est sans doute ce qui explique que la dose quotidienne recommandée de vitamine D a beaucoup varié, et demeure controversée.
En 1992, les autorités sanitaires françaises recommandaient un apport d'au moins 12 μg (microgrammes) par jour. En 2001, 5 μg et depuis 2018, 10 μg pour les enfants âgés de moins de 3 ans, et 15 μg pour les enfants plus âgés et les adultes. Les auteurs se sont fondés sur des études de la "santé osseuse", autrement dit de l'état de l'os sur des examens tels que biopsie et observation au microscope ou ostéodensitométrie (mesure de la densité osseuse).
Ces recommandations visent à couvrir les besoins en vitamine D, même si les personnes ne sortent pas et ne s'exposent pas au soleil. Les auteurs avertissent que ces recommandations conduisent « pour la plupart des individus à des apports très supérieurs à leurs besoins réels. »
Des carences nombreuses : fake news
Si vous cherchez sur internet, vous trouverez une multitude d'articles vous expliquant que « plus de 70% des adultes français présentent une insuffisance en vitamine D. » La plupart ne manquent pas de vous recommander ensuite, soit une supplémentation en vitamine D, soit des dosages sanguins afin de repérer les cas où une supplémentation serait nécessaire. Et ces sites n'indiquent pas s'ils ont des liens d'intérêt directs ou indirects avec les marchands de la vitamine ou des tests en question.
Ces informations sont relayées dans des journaux grand public et dans des publications professionnelles qui s'appuient sur une étude réalisée en France par un laboratoire très sérieux (l'Équipe de surveillance et d’épidémiologie nutritionnelle - Esen) et publiée dans une revue d'épidémiologie tout à fait respectable (le Bulletin d'épidémiologie hebdomadaire - BEH).
Les chiffres annoncés sont exacts… sauf qu'ils ne veulent pas exactement dire ce qu'on veut leur faire dire.
Ce que disent vraiment les chercheurs
Pour les scientifiques, dès que le dosage de vitamine D ne garantit pas une absorption maximum du calcium par l'intestin, on parle de "déficit". Et comme nous consommons généralement bien plus de calcium que nous n'en avons besoin, les "déficits modérés" n'ont guère d'importance pratique. Seuls les "déficits sévères" correspondent à un risque réel d'ostéomalacie (de décalcification osseuse). Ces déficits sévères concernent moins de 7 personnes sur cent. Elles seules ont éventuellement besoin d'un supplément en vitamine D.
La conclusion des auteurs de cette étude - si souvent citée de travers - mérite d'être lue en entier : « En France, les déficits sévères en vitamine D sont peu fréquents et concernent des populations vulnérables (faible statut socioéconomique et exposition solaire réduite). Les déficits modérés sont en revanche fréquents. La modification de certaines habitudes de vie, notamment l’augmentation de l’activité physique, devrait permettre de réduire leur prévalence. »
À noter qu'un excès de vitamine D peut avoir des effets néfastes, par exemple en favorisant des calculs urinaires, ou d'autres maladies.
Le dosage de la vitamine D est généralement inutile
Les enfants n'ont pas besoin de dosage de leur vitamine D. On leur donne de la vitamine D jusqu'à l'âge de 1 an. Par la suite, quelques heures par semaine au soleil, habillé sans chapeau, suffisent. On peut donner de la vitamine D jusqu'à l'âge de 5 ans aux enfants à peau noire ou à ceux qui ne sortent jamais, par exemple en raison d'une maladie
Les adultes qui courent de véritables risques de fracture pour des traumatismes minimes sont les personnes âgées (surtout pauvres) qui sortent peu de chez elles ou de la maison de retraite. Surtout si elles ont la peau mate ou noire. Elles manquent à la fois de l'exercice physique et du rayonnement solaire qui leur permettraient d'entretenir l'état de leurs os.
Mais chez toutes ces personnes, le dosage de la vitamine D est inutile : elles ont besoin d'une supplémentation.
Quant aux autres personnes, même si un dosage montrait un manque réel en vitamine D, ce n'est pas de comprimés ou de gélules de vitamine D dont elles auraient besoin. Ce serait de sortir marcher 30 minutes par jour, selon des recommandations mille fois répétées pour de multiples raisons, et qui concernent tout le monde.
Même avis de Prescrire et des autorités de santé françaises et américaines
Après avoir effectué séparément une large revue des études, la rédaction Prescrire et la Haute autorité de santé estiment toutes deux que les données disponibles ne montrent pas l'utilité du dosage de la vitamine D.
En 2021, une agence américaine de santé publique particulièrement réputée, l'USPSTF, est parvenue à la même conclusion : les études ne montrent pas que le dosage suivi éventuellement d'un traitement par vitamine D améliore la santé des populations.
Sauf rares cas particuliers, le dosage de la vitamine D est donc sans utilité en médecine, en particulier chez les personnes en bon état de santé. À noter, d'ailleurs, qu'en France, ce dosage n'est remboursable que dans quelques cas très précisément définis (b). Dans toutes les autres situations, le médecin doit écrire NR (pour "non remboursable") sur l'ordonnance, et le dosage reste à la charge de la personne.
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a- Pour certains chercheurs, la vitamine D n'est pas vraiment une vitamine, puisque notre peau en fabrique, et on devrait plutôt parler d'hormone. Ce point de vocabulaire ne change pas grand chose.
b- En France, le dosage de la vitamine D est remboursable UNIQUEMENT dans les cas suivants : • pour confirmer ou infirmer un rachitisme ; • pour confirmer ou infirmer une ostéomalacie ; • chez les transplantés rénaux ; • avant et après chirurgie bariatrique (chirurgie de l'estomac pour les personnes obèses) ; • chez les personnes âgées sujettes à des chutes répétées ; • dans le suivi de personnes prenant certains médicaments où ce dosage est officiellement recommandé.
Lire aussi : "Le surdiagnostic, une notion essentielle"
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Crédit illustration : n°1 S. Hermann & F. Richter "Sunrise" sur Pixabay
n°2 Galtier-Boissière et coll. "Larousse médical illustré"
Librairie Larousse, Paris 1924, fig. n°1872. Copyright photo J. Doubovetzky
Sources
- Prescrire Rédaction "Fractures liées à une fragilité osseuse : prévention" et "Rachitisme : prévention" Premiers choix Prescrire, mise à jour nov. 2020, 6 pages et 3 pages ; ""Insuffisance" en vitamine D - Gare aux concepts trop flous pour rendre service aux patients" Rev Prescrire 2013 ; 33 (356) : 435-438 ; "Prévention des carences en vitamine D chez les adultes - Pas d'intérêt démontré d'une supplémentation fondée sur un dosage sanguin systématique" Rev Prescrire 2021 ; 41(458) : 931-932 .
- Pazirandeh S et coll. "Overview of vitamin D", Dixon JM et coll. "Lactational mastitis", Dawson-Hughes B et coll. "Vitamin D deficiency in aduts: definition, clinical manifestations and treatment", Cohen A et coll. "Epidemiology and etiology of osteomalacia" et "Clinical manifestations, diagnosis and treatment of osteomalacia", Madhusmita M et coll. "Vitamin D insufficiency and deficiency in children and adolescents" In: UpToDate, Post TW (Ed), UpToDate, Waltham, MA, USA. (Mise à jour en septembre 2021 et janvier 2022).
- Anses "Les références nutritionnelles en vitamines et minéraux - Avis de l'Anses, Rapport d'expertise collective", mars 2021, 278 pages.
- Vernay M et coll. "Statut en vitamine D de la population adulte en France : l’Étude nationale nutrition santé (ENNS, 2006-2007)" BEH 2012 (16-17) : 189-194.
- Santé publique France "Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban) 2014-2016. Volet Nutrition. Chapitre Dosages biologiques : vitamines et minéraux", 61 pages.
- Haute autorité de santé "Rapport d'évaluation technologique - Utilité clinique du dosage de la vitamine D" Octobre 2013 : 95 pages.
- USPSTF "Screening for Vitamin D Deficiency in Adults. US Preventive Services Task Force recommendation statement" et Kahwati L et coll. "Screening for Vitamin D Deficiency in Adults Updated Evidence Report and Systematic Review for the US Preventive Services Task Force" JAMA 2021 ; 325 (14) : 1436-1442 et 1443-1463.
- L'Assurance maladie "Dosage de la vitamine D - conditions de prise en charge par l'Assurance maladie". Septembre 2014. Site internet www.ameli.fr
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