Il y a quelques temps, j'ai lu le texte d'une pétition contre l'installation d'un centre médical pour toxicomanes. Le principal argument était "ça ne sert à rien puisque ça ne guérit pas". En voilà une idée étrange ! Car le but de la médecine n'est pas du tout de guérir les maladies.
Guérisons impossibles
Première réflexion : il existe d'innombrables situations dans lesquelles aucune guérison n'est possible. Prenons quelques exemples.
L'infarctus du myocarde (ou attaque cardiaque). L'infarctus est la mort d'une partie du muscle du cœur. Comme personne ne sait encore ressusciter les cellules cardiaques mortes, aucune guérison n'est possible.
Les maladies génétiques. Si quelqu'un vient au monde avec un gène porteur de maladie, il n'existe aucun moyen de changer son bagage génétique, et donc aucune guérison n'est possible. Exemple, le diabète sucré de type 1 (dit "de la jeunesse").
Les maladies liées au vieillissement. Par exemple, la presbyacousie, ou baisse d'audition liée au vieillissement. Ou bien la presbytie, baisse de la vision liée au vieillissement.
Le diabète sucré de type 2 (dit "diabètes de la maturité") dépend en partie de facteurs génétiques, en partie de facteurs comportementaux (activité physique), et en partie du vieillissement. Mais dans tous les cas, une fois déclenché, les cellules deviennent plus ou moins insensibles à l'action de l'insuline, et on ne peut pas le guérir.
Les cancers. Il arrive qu'on guérisse des cancers. C'est-à-dire qu'on parvienne à détruire toutes les cellules d'une tumeur cancéreuses. Mais ce n'est pas le cas général. Il y a beaucoup de cancers qu'on ne peut pas guérir.
Mais soins utiles
Alors, direz-vous, faut-il considérer comme inutile la médecine appliquée à l'infarctus du myocarde, aux maladies génétiques, aux conséquences du vieillissement, aux diabètes sucrés et à une grande partie des cancers ?
On ne peut pas guérir les infarctus du myocarde, mais on peut diminuer le risque qu'ils tuent en raison d'un trouble du rythme cardiaque, ou qu'ils grandissent et rendent le cœur si faible que les activités les plus ordinaires deviennent difficiles. On peut aussi diminuer le risque d'être atteint d'un deuxième infarctus. Et finalement, on peut prolonger la vie, et prolonger la vie sans handicap notable.
On ne peut pas faire disparaître un défaut génétique, mais on peut souvent en limiter les conséquences, par exemple en fournissant au corps une molécule manquante dont il a besoin, comme l'insuline en cas de diabète sucré de type 1.
On ne peut pas guérir la presbyacousie, mais on peut utiliser des aides auditives. On ne guérit pas la presbytie, mais on peut porter des lunettes. On ne guérit pas la cataracte mais on peut l'opérer et poser un implant permettant de voir à nouveau, non pas parfaitement, mais suffisamment bien.
On ne guérit aucun diabète sucré, mais on en limite les conséquences, on diminue le risque de faire un infarctus, de devenir profondément malvoyant ou de mourir.
On ne guérit pas tous les cancers, mais souvent, on prolonge la vie et parfois on diminue les souffrances.
Quel est le but de la médecine ?
Je pense qu'aucun lecteur ne prétendra que ces résultats sont sans intérêt et sans importance. On en déduit que le but de la médecine n'est pas de guérir les maladies. Non : le but de la médecine, c'est de faire du bien aux gens. De prolonger la vie tant que prolonger la vie semble une bonne chose (il y a bien sûr des cas où prolonger la vie est une idée mauvaise, voire cruelle). De prolonger la vie en bonne santé, de diminuer les souffrances et les handicaps, d'améliorer les capacités, d'aider à faire des enfants ou à ne pas en faire selon les désirs et les besoins.
Si guérir une maladie est un bon moyen d'y parvenir, alors guérir une maladie est un but intéressant. Mais si pour guérir une maladie, il faut souffrir (et parfois mourir) des effets indésirables des traitements, alors tenter cette guérison n'est pas forcément un but intéressant.
C'est d'ailleurs pourquoi l'avis de la personne concernée est indispensable, une fois qu'elle a été correctement informée. Parce que le médecin, lui, ne sait pas forcément quelle importance la personne attache aux bénéfices possibles et aux risques des traitements.
Et les toxicomanes ?
Vous avez peut-être remarqué qu'en réalité, personne ne proteste contre les traitements aux cardiaques, aux diabétiques ou aux personnes âgées qui voient mal sous prétexte que ces traitements ne guérissent pas.
Non : on réserve ces critiques aux traitements visant à faire diminuer les risques liés aux toxicomanies illégales, et parfois au tabac ou à l'alcool. Et donc la question se pose : cette critique est-elle autre chose qu'une forme de discrimination ?
Par exemple, les traitements de substitution destinés aux personnes atteintes de toxicomanie aux dérivés de l'opium ont une efficacité bien démontrée pour diminuer les infections graves comme le HIV (virus du sida), le HVB et le HVC (virus des hépatites B et C), les abcès, les infections généralisées, les surdoses, certains troubles mentaux, la désinsertion sociale, l'incapacité à s'occuper de sa famille et la délinquance. Ces traitements ne rendent pas ces risques nuls, mais ils les diminuent fortement. Et ils prolongent la vie des malades tout en diminuant leurs souffrances.
Dès lors, peu importe qu'ils ne "guérissent pas la maladie", n'est-ce pas ? L'important est qu'ils réduisent les risques.
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Lire aussi :
- Les objectifs des traitements et des diagnostics.
Crédit photo :
n°1 - Infarctus du myocarde par Medical Heritage Library sur Flickr
n°2 - ExchangeBOX par Riponne-Lausanne sur Flickr
Sources
- Denante M et Teulade P "Tout va mal et pourtant… Et la substitution ?" Rev Prescrire 2021 ; 41 (450) : 315.
- Prescrire rédaction "Traitement et prévention de l'infection par le HIV : de grands progrès mais pas de guérison" et "Buprénorphine (Subutex° ou autre) en traitement de substitution : un intérêt qui se confirme au fil des ans" Rev Prescrire 2015 ; 35 (382) : 597-602 et 603-604.
- Cohen H, Desmaison X et coll. "La réduction des risques" Paris, Hermann, 2019.
- Strain E et coll. "Approach to treating opioid use disorder", 30 pages (Mise à jour en septembre 2022). In : UpToDate, Post TW (Ed), UpToDate, Waltham, MA, USA.
- Centers for Disease Control "HIV and people who inject drugs" (mis à jour le 28 juin 2022) : 12 pages. En accès libre.
- INSERM "Réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues" Paris, Les éditions INSERM, 2010. En accès libre.