On pense parfois que dépister un cancer est forcément bon, parce que si la tumeur est détectée alors qu'elle est petite, elle sera plus facile à soigner. Malheureusement, les études montrent que ce n'est pas si simple. Il n'est pas démontré que le dépistage du cancer de la prostate prolonge la vie, et ce dépistage a des effets indésirables non négligeables. À chacun de décider pour lui-même s'il estime que le jeu en vaut la chandelle, ou pas.
La prostate
La prostate est une glande masculine : les femmes en sont dépourvues. Elle est située sous la vessie. Elle fabrique et met en réserve une partie du liquide séminal, qui est un des éléments du sperme et contribue à le rendre suffisamment liquide. Au cours de l'orgasme, les contractions de la prostate participent aussi à l'éjaculation.
Au fur et à mesure de la vie, la prostate a tendance à grossir : c'est l'hypertrophie bénigne de la prostate. La prostate entoure l'urèthre, qui est le conduit par lequel l'urine quitte la vessie (voir illustration). Lorsque la prostate grossit, elle peut comprimer l'urèthre, et il est alors difficile d'uriner.
Les cellules cancéreuses sont très fréquentes dans la prostate
Mais commençons par essayer d'être précis. La présence de cellules cancéreuses dans la prostate est très fréquente, et augmente régulièrement avec l'âge. Quand on recherche des cellules cancéreuses dans la prostate chez 100 hommes morts pour d'autres raisons, on en trouve chez environ 30 hommes ayant la cinquantaine et chez environ la moitié des hommes âgés de plus de 70 ans.
Ce qui signifie que toutes les cellules cancéreuses ne provoquent pas un cancer-maladie de la prostate. Lorsqu'il évolue, le cancer de la prostate le fait en général de manière lente, de sorte que la plupart des personnes atteintes meurent pour une autre raison.
Quelques pistes pour la prévention
Parmi les facteurs de risque pour le cancer de la prostate, quelques uns sont évitables. Ainsi, une alimentation avec moins de viande rouge, moins de lait et produits laitiers, plus de légumes et de soja est liée à un moindre risque. À l'inverse, on ne sera pas étonné que la consommation de tabac augmente le risque.
Les déclencheurs du diagnostic
Tout le monde est d'accord qu'il faut rechercher un cancer de la prostate chez les hommes qui ont des symptômes urinaires : envies d'uriner anormalement fréquentes, douleur en urinant, mictions très lente ou en plusieurs fois, impossibilité de vider une vessie pleine, etc.
La suspicion de cancer de la prostate repose alors sur les questions que pose le médecin, l'examen clinique (toucher rectal), le dosage du PSA (antigène spécifique de la prostate - qui n'est pas si spécifique, en réalité), des analyses d'urines. Mais c'est le prélèvement d'un fragment de prostate et son examen au microscope qui permettent d'affirmer le diagnostic (biopsie).
Le dépistage par prise de sang
Le dépistage consiste à rechercher un cancer de la prostate chez un homme qui ne présente aucun symptôme. Dans ce cadre, l'examen clinique au doigt (toucher rectal) est peu intéressant, car il ne repère pas les tumeurs de petit volume. Le dépistage repose habituellement sur le dosage du PSA (ou antigène prostatique spécifique) sous une forme ou sous une autre. C'est une molécule présente dans la prostate et dont le taux augmente lorsque le volume de la prostate augmente. Et donc notamment en cas d'hypertrophie bénigne.
Le seuil retenu pour faire la différence entre le normal et l'anormal est arbitraire. Il est généralement fixé à 4 ng/ml. En réalité, plus le taux est élevé, et plus il y a de risques de trouver des cellules cancéreuses si on fait une biopsie de la prostate. En-dessous de 4 ng/ml, si on fait une biopsie de la prostate chez 10 hommes, on trouve des cellules cancéreuses chez un d'entre eux. Au-dessus de 4 ng/ml, on trouve des cellules cancéreuses chez 3 hommes.
Les bénéfices limités du dépistage
Le dépistage du cancer de la prostate n'élimine pas le risque de mourir du cancer de la prostate, mais il le diminue un peu. Si 1000 hommes âgés de 55 à 70 ans se soumettent régulièrement au dépistage pendant 13 ans, 5 hommes meurent d'un cancer de la prostate, au lieu de 6 hommes en l'absence de dépistage.
Un homme évite donc la mort par cancer de la prostate. Mais il meurt bien entendu d'autre chose, et on n'a pas la preuve que le dépistage prolonge la durée de la vie. 3 hommes évitent aussi un cancer de la prostate avec métastases, ce qui leur évite des souffrances et des traitements parfois pénibles. Au total, sur 1000 hommes, 4 tirent un bénéfice du dépistage, et 996 n'en tirent aucun bénéfice.
Des risques non négligeables
Sur 10 hommes dont le PSA est déclaré anormal, on ne trouve aucune anomalie au microscope chez 7 d'entre eux après avoir fait une biopsie. Ces biopsies inutiles sont source d'angoisses, de souffrances et parfois de complications.
Sur 10 hommes traités pour un cancer de la prostate après dépistage, entre 3 et 8 sont traités inutilement pour une lésion qui n'aurait eu aucune conséquence, puisqu'ils n'en auraient pas souffert de toute leur vie, avant de mourir pour une autre raison (surdiagnostic et surtraitement).
D'autre part, le dépistage conduit beaucoup d'hommes à se faire opérer de la prostate. Sur 1000 hommes âgés de 55 à 70 ans qui se sont soumis au dépistage pendant 13 ans, l'intervention chirurgicale sur la prostate entraîne une incontinence urinaire chez 15 hommes et des troubles sexuels (impuissance érectile, éjaculation dans la vessie et non vers l'extérieur ou éjaculation rétrograde) chez 50 hommes.
Un choix personnel, en fonction de l'âge
Au-dessous de l'âge de 55 ans, on n'a pas de preuve d'un bénéfice.
Au-dessus de l'âge de 70 ans, une majorité d'hommes a des cellules cancéreuses dans la prostate, et le plus souvent, ces cellules ne vont pas provoquer de cancer-maladie. Les agences de santé publique (par exemple USPSTF aux USA ou HAS en France) ne recommandent pas le dépistage, ou même le déconseillent.
Chez les hommes âgés de 55 à 70 ans, certaines agences de recommandation ou autorités (comme la HAS française ou Prescrire) considèrent que les risques dépassent les bénéfices et ne conseillent pas le dépistage. D'autres agences (comme l'USPSTF aux USA) considèrent que c'est à chaque homme de choisir pour lui-même. L'agence de santé publique du Québec (INESSS) recommande aux professionnels de santé de ne pas proposer systématiquement le dosage du PSA à tous les hommes.
En tout cas, vu le faible bénéfice possible, il y a souvent des mesures plus importantes à prendre pour améliorer sa santé.
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Lire aussi :
- Cancer localisé de la prostate : choisir son traitement.
- Le surdiagnostic, une notion essentielle.
Crédit illustrations :
n° 1 - "Abnormal Lipid Metabolism in Prostate Cancer"
par Ji-Xin Cheng (Purdue University Center for Cancer Research,
National Cancer Institute, National Institutes of Health) sur Flickr.
n° 2 - "Normal Prostate" par Drsafir sur Flickr.
n°3 et 4 - "Valeurs du PSA total dans les analyses sanguines"
et "Bénéfices et risques du dépistage du cancer de la prostate"
Copyright Jean Doubovetzky
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Sources
- Sartor AO et coll. "Risk factors for prostate cancer", Hoffman RH et coll. "Screening for prostate cancer" In: UpToDate, Post TW (Ed), UpToDate, Waltham, MA, USA. (Mise à jour en septembre 2022).
- Haute autorité de santé (HAS) "Détection précoce du cancer de la prostate (référentiel de pratiques) - Mai 2013 : 54 pages.
- INESSS (Institut national d'excellence en santé et en services sociaux du Québec) "Utilisation du dosage de l'antigène prostatique spécifique (APS) pour le dépistage du cancer de la prostate au Québec (Avis)" : 130 pages et "Outil pour faiciliter la discussion sur les recommandations de l'INESSS sur le dépistage du cancer de la prostate par dosage de l'antigène prostatique spécifique (APS)" : 4 pages.
- Prescrire Rédaction "PSA et dépistage des cancers de la prostate liées à une fragilité osseuse : prévention" et "Dépistage des cancers de la prostate par PSA" Rev Prescrire 2019 ; 39(428) : 449-450 et "Hypertrophie bénigne de la prostate" Premiers choix Prescrire, mise à jour sept. 2021, 4 pages.