L'evidence based medicine n'est rien d'autre que le nom en langue anglaise de la médecine rationnelle. Elle remonte au moins au 19e siècle. Dans sa forme moderne, elle fait se rencontrer les meilleures données de la science et l'expertise clinique du soignant avec les valeurs et décisions du patient.
La médecine rationnelle est ancienne
Il y a sans doute toujours eu une médecine rationnelle, c'est-à-dire fondée sur la raison et l'expérience. Plus de 3 siècles avant l'ère commune, certains textes d'Hippocrate sont déjà remarquables. Mais souvent, on date les débuts de la médecine rationnelle du 19e siècle, avec Pierre-Charles Louis, Claude Bernard et les médecins qui les ont suivi.
Il n'y a pas de différence fondamentale entre ce qu'on appelle de nos jours l'Evidence-based medicine ou EBM et la médecine rationnelle issue du 19e siècle (1). C'est juste que les sciences ont évolué, ainsi que les concepts et les techniques, et aussi la société dans son ensemble.
Tentative de définition
Une définition célèbre, donnée par les fondateurs de l'EBM récente est la suivante : "l'utilisation consciencieuse, explicite et judicieuse des données les meilleures pour la prise en charge personnalisée des patients" (traduction personnelle). Les mêmes auteurs écrivent un peu plus loin : "Le but de l'EBM est d'intégrer l'expérience du clinicien, les valeurs du patient et les meilleures informations scientifiques pour guider les prises de décision au cours de la prise en charge clinique".
Il ne s'agit donc absolument pas de se fonder uniquement sur des données scientifiques, mais de mettre ces données au service du patient, en tenant compte de sa situation personnelle, de sa subjectivité et de celle du soignant. Un des fondateurs de l'EBM, David Sackett, écrivait que "l'EBM finit là où elle commence : avec le patient".
Ce que l'EBM n'est pas
Au départ, l'EBM est une protestation contre la facilité, le refus de la réflexion et de la remise en cause scientifiques. Elle refuse la médecine fondée sur les habitudes, sur les avis des maîtres ou des spécialistes qui n'argumentent pas à partir d'une recherche systématique des données, sur les "on dit que", sur les pratiques traditionnelles non évaluées, sur les données tronquées de la publicité, etc.
Mais la médecine n'est pas non plus rationnelle si elle devient une collection de "recettes de cuisine" toute prêtes, valables dans toutes les circonstances. Les données scientifiques et les recommandations qui en sont issues (lorsqu'elles sont élaborées selon des règles rigoureuses) ne s'appliquent donc pas de manière systématique, aveugle, indiscriminée à tous les patients. Bien au contraire, chaque donnée ou recommandation doit être pondérée, modifiée, voire abandonnée complètement si elle ne concorde pas avec les circonstances cliniques et l'environnement, ou avec les valeurs et le comportement du patient.
Les institutions qui réclament l'application rigide de recommandations de valeur scientifique parfois douteuse sont donc à mille lieues de l'EBM. Et les praticiens qui les suivent aussi. En réalité, la médecine rationnelle exige la remise en cause systématique des habitudes - même les mieux fondées - en fonction des besoins personnels de chaque patient individuel.
EBM : aucune traduction parfaite
Les termes "evidence-based medicine" sont difficiles à traduire, parce qu'il n'y a pas d'équivalent français pour le mot "evidence". Une "evidence" est une donnée : ce peut-être le résultat d'un essai clinique, mais aussi le fait qu'un patient a dit à son médecin qu'il n'avait pas envie de prendre tel traitement, ou encore le fait que dans votre ville, le prochain rendez-vous d'échographie disponible est seulement dans deux mois.
La traduction la plus courante, "médecine fondée sur les preuves", est donc horriblement réductrice, et pour tout dire, fausse. Elle suggère qu'on pourrait entièrement fonder la médecine sur des résultats d'expériences, et uniquement sur ces résultats. C'est non seulement ridicule, mais encore dangereux !
Il existe une multitude de traductions : médecine fondée sur les preuves, ou la preuve, ou des preuves ; médecine fondée sur les faits, ou des faits, ou des faits prouvés ; médecine factuelle ; médecine fondée sur des données admises (!) ou sur des données probantes, ou les données probantes, ou les éléments probants ; médecine fondée sur l'expérience clinique (ambigu) ; médecine fondée sur le niveau de preuve, ou les niveaux de preuve.
Aucune de ces traductions n'est tout à fait satisfaisante, mais j'ai une petite tendresse pour la dernière (médecine fondée sur les niveaux de preuve), parce qu'elle a été élaborée à la suite d'une longue discussion par mail avec les fondateurs de l'EBM moderne au Canada, parce qu'elle indique bien que toutes sortes de faits et de données doivent être pris en compte, chacune à sa place en fonction de sa valeur ; et enfin parce qu'elle n'insiste pas trop sur un "principe de certitude" au lieu du "principe d'incertitude" qui est au cœur de l'EBM.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Lire aussi :
- Les objectifs des traitements et des diagnostics
- Traitements : les essais comparatifs sont indispensables
Crédit illustrations :
n° 1 et n°2 - infographies "Institutions EBM" et "3 cercles de l'EBM" : Copyright Jean Doubovetzky
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Sources :
- Sackett DL et coll. “Evidence-based medicine: what it is and what it isn’t” BMJ 1996 ; 312 (7023) : 71-72. doi:10.1136/bmj.312.7023.71.
- Grange JC "L'Evidence-Based Medicine (EBM) : une tentative de définition" Rev Prescrire 2022 ; 42 (468) : 794-796.
- Greenhalgh T "How to read a paper: the basics of Evidence-Based Medicine and Healthcare" Hoboken (New Jeresey, USA), John Willey, 6e ed., 2019.
- Guyatt G et coll. "User's guides to the medical literature" Chicago (Illinois, USA) JAMA & Archives Journals, 2002.