Voici un poisson d'avril rédigé par votre serviteur et auquel les lecteurs de Prescrire ont (presque) échappé, puisqu'il a été publié, non pas dans les pages "sérieuses" de la revue, mais dans son Forum, en avril 1989 : un faux retour de congrès. Je le reproduis avec très peu de modifications et en ajoutant quelques intertitres.
Le MMXXIVe congrès annuel de la toute jeune Para-psychanalytc Society of Investigation (PSI) s'est tenu les 30 et 31 février dernier à Bâle (Autriche).
S. Freuddeux, neuropsychiatre australien, jusqu'alors surtout connu pour ses recherches pharmacologiques sur l'anesthésie du tympan, y a présenté une théorie que nous rapportons ici en raison de l'intense controverse qu'elle a déclenché dans les milieux spécialisés et les médias.
L' "envie d'utérus" des hommes
Pour S. Freuddeux, le jeune garçon ressent précocement une "envie d'utérus" en prenant conscience de l'impossibilité de la grossesse chez l'homme. Ce désir, inacceptable pour le conscient, est refoulé pour ne plus apparaître que comme renversement, sous forme de la tendance socialement et historiquement patente du sexe masculin à se considérer comme supérieur.
L'inaptitude à la procréation directe engendrerait chez les hommes une exacerbation de l'angoisse devant la mort, dont les effets délétères seraient pour une part responsables de la moindre espérance de vie masculine.
Sa sublimation expliquerait leur plus fréquent investissement et leur plus grand succès apparent dans les activités professionnelles, politiques et artistiques.
La "condescendance inconsciente" des femmes
Quant aux femmes, leur supériorité vis-à-vis de l'objectif biologique fondamental de survie de l'espèce leur permettrait d'abandonner ces rôles avec une relative "condescendance inconsciente".
Selon S. Freuddeux, la diminution de ce sentiment inconscient de supériorité maternelle, dû aux possibilités modernes de contraception, est à l'origine de la remise en cause du partage traditionnel des rôles entre les sexes et de la diminution de la natalité.
Le "complexe du kangourou"
Pour cet auteur, cette théorie expliquerait pourquoi le transsexualisme est un phénomène majoritairement masculin. Elle amènerait à prédire que le temps n'est pas éloigné où seront tentées des expériences d'implantation d'embryons obtenus par fécondation in vitro dans des utérus artificiels masculins.
On manque à vrai dire (et on risque de manquer longtemps) d'éléments objectifs indiscutables pour apprécier la validité de cette théorie dite du "complexe du kangourou".
Un texte "trop plausible"
Ce texte a semblé "trop plausible" à la rédaction Prescrire pour faire l'objet d'un poisson d'avril. Et de fait, cette théorie n'est-elle pas séduisante ?
Elle a pourtant une faille importante : on ne voit guère quelle observation ou quelle expérience pourrait permettre de l'éprouver en tentant d'en démontrer la fausseté (il est naturellement toujours possible de rassembler des éléments en faveur d'une théorie). Autrement dit, elle est quasiment "infalsifiable", ce qui la rend plus proche de la métaphysique que des sciences expérimentales.
Pensée totalitaire
En outre, elle recèle la possibilité de mettre toute critique masculine sur le compte du complexe lui-même, et toute critique féminine sur celui de la "condescendance inconsciente".
C'est la porte ouverte à la "pensée totalitaire", terrain de choix de tous les sectarismes… Et sommes nous vraiment, de ce genre de complexe (soluble seulement peut-être "dans l'eau et dans l'alcool"), immuns ?
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Texte publié pour la première fois sous la référence
Doubovetzky J "Un poisson pas né" Rev Prescrire 1989 ; 9 (84) : 181.
Crédit photo :
Image n°1 - "Poissons bamakois sur couverture" © Jean Doubovetzky
Image n°2 - "pc dame vis 1 avril" par Jam Willemsen sur Flickr (recadrée, modifiée)