Trop d’arrêts maladie, vous croyez ?

À l'été 2023, une fois de plus, à la demande du ministère des Finances, l'Assurance maladie française s'est attaquée aux médecins généralistes prescripteurs d'arrêts de travail... et aux salariés. Les accusations de négligence et de fraude n'ont pas manqué. Si on y regarde de plus près, les choses ne sont pas si simples. Les arrêts maladie non pris sont nombreux et posent un problème qui ne semble perturber aucun gouvernement.

Les médecins généralistes et les salariés mis en accusation

Pour justifier un dispositif de contrôle massif des arrêts maladie, les autorités ont entonné un discours bien rôdé : les salariés sont des fainéants et les médecins généralistes prescrivent à la va-vite des arrêts de travail de complaisance.
En vertu de quoi l'assurance maladie a lancé un incroyable processus de contrôle. L'idée est de mettre sous surveillance un grand nombre de généralistes qui prescrivent en moyenne plus d'arrêts de travail que les autres, et si besoin d'autoriser les malades à s'arrêter de travailler seulement après contrôle ! La première surprise arrive alors. L'assurance maladie envoie tous les trois mois aux médecins un relevé des dépenses qu'ils occasionnent : les RIAP (a). Mais ce n'est pas sur ces données que sont choisis les médecins mis sous surveillance. L'assurance maladie se fonde sur d'autres données, corrigées en fonction de facteurs mystérieux, selon une méthode parfaitement opaque. Résultat : des médecins dont le RIAP semble bien "dans les normes" sont mis en accusation, et n'ont aucun moyen de contester, ni même de comprendre les chiffres qui leur sont opposés.
Dans le Tarn 19 médecins généralistes ont ainsi été pointés du doigt.

La pandémie de Covid première cause d'augmentation des arrêts maladie

Pour justifier la manœuvre, devant les caméras de télévision, un ministre s'est indigné : « Est-ce que quelque chose justifie que les arrêts maladie aient augmenté de 30 % au cours des dernières années ? » On a envie de lui répondre : pour le savoir, Monsieur le ministre, il faudrait peut-être étudier la question !
Regardons donc les chiffres publiés le 30 août 2023 par l'assurance maladie elle-même. Je cite le texte sans modification : « Les versements d'indemnités journalières ont diminué de 6,2 % de janvier à juillet mais légèrement augmenté (+0,5 %) sur douze mois. Le repli au premier semestre s’explique par le niveau exceptionnel des dépenses d’IJ [indemnités journalières] au début de l’année dernière du fait des fortes vagues épidémiques successives. » Si la cause principale de l'augmentation des arrêts maladie en 2022 a été la pandémie de Covid, on peut penser qu'en 2020 et 2021, il en a été de même...

Les **conditions de travail** sont un élément fondamental
du nombre des **arrêts maladie**.

D'autres causes d'augmentation faciles à comprendre

Cependant, lorsqu'on exerce comme médecin généraliste dans une banlieue pauvre, on peut d'observer de nombreuses causes d'augmentation des arrêts maladie. Il est facile de prédire qu'avec le recul de l'âge de la retraite, le nombre de travailleurs plus âgés et de santé fragile augmente, et donc les arrêts maladie. De même, si les travailleurs pauvres augmentent (certains doivent fréquenter les restos du cœur), les arrêts de travail vont augmenter. Et idem, si le logement précaire augmente.
Parmi les causes, il faut aussi noter la diminution du nombre de médecins psychiatres et des prises en charges psychiatriques de bonne qualité. Lorsque des malades psychiatriques sont laissés sans soins, faute de services (hospitaliers ou non), de médecins, d'infirmiers, il faut s'attendre à une augmentation des arrêts maladie, et en particulier les arrêts de longue durée.

Au moins aussi préoccupants : les non-arrêts maladie

C'est comme pour les "dépenses liées à l'aide médicale d'État" : politiciens et gouvernants, sourcils froncés, s'inquiètent gravement de leur augmentation et annoncent des mesures restrictives. Mais personne ne se demande pourquoi tant de personnes qui devraient en bénéficier ne le font pas.
Les (rares) chercheurs qui se sont penchés sur la question estiment que sur 100 arrêts de travail prescrits par les médecins, seulement 75 sont respectés. Dans 15 cas, les salariés reprennent le travail avant la fin prévue de l'arrêt de travail, et dans 10 cas, les salariés ne s'arrêtent pas du tout de travailler.
Une des causes de ces non-arrêts de travail est la pauvreté : en début d'arrêt maladie, la plupart des salariés ne touchent aucune indemnité pendant trois jours. C'est parfois trop. Une autre cause est la précarité : en cas d'arrêt maladie, les personnes en CDD ou en intérim craignent de perdre leurs chances de pérenniser ou de retrouver un emploi. Les conséquences sont parfois graves : en particulier lorsque l'arrêt de travail est dû à une maladie contagieuse qui peut se répandre dans le milieu du travail (tout particulièrement chez les personnes âgées), ou à une maladie musculo-squelettique, comme une tendinite qui risque de s'aggraver jusqu'à mettre en péril l'avenir professionnel de la personne.

a- Le RIAP ou Relevé individuel d'activité et de prescriptions est envoyé tous les trois mois aux médecins, sages-femmes et chirurgiens-dentistes. Il porte sur l'année en cours, et indique notamment le nombre de consultations, de visites à domicile, les prescriptions d'infirmiers, de pharmacie, de kinésithérapeute, de biologie, les arrêts maladie, le pourcentage de génériques, de patients en ALD (affection longue durée) et de CMU. Chaque chiffre est comparé avec la moyenne régionale de la profession.

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Sources :
- Bissuel B et Métais T "Le gouvernement à l’offensive contre les arrêts de travail « de complaisance »" Le Monde, 1er août 2023.
- Caisse nationale des travailleurs salariés "Remboursements de soins du régime général à fin juillet 2023", Communiqué de presse du 30 août 2023.
- Zerouali K "Travailler en étant malade, un phénomène plus préoccupant que les prétendus arrêts maladie de confort" Mediapart, 4 août 2023
- Coq-Chodorge C "Dans la Sarthe, la psychiatrie publique désertée par les médecins s’effondre" Mediapart, 4 août 2023

Crédits photo :
- Image 01 : "Men at work" par Steven Feather sur Flickr (recadré)
- Image 02 : "Insomnia cured here" par Charlie Chaplin sur Flickr (recadré)

Rédigé par Jean Doubovetzky sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.