Chaque mois, la revue indépendante Prescrire passe en revue les médicaments nouvellement commercialisés, ainsi que les nouvelles indications de médicaments déjà sur le marché. Elle en discute les mérites et démérites, par comparaison avec les autres traitements disponibles. Voici les médicaments qu'elle a examinés dans son numéro de juin 2023.
POUR LES PROS :
L'article qui suit est complexe, et traite de maladies relativement rares. Il intéressera surtout les professionnels de santé, ainsi que les personnes atteintes par ces maladies et leurs proches.
En France comme dans de nombreux autres pays, pour commercialiser un médicament, il faut démontrer qu'il est plus efficace qu'un placebo (a). Ses bénéfices potentiels doivent aussi sembler supérieurs à ses effets indésirables.
La rédaction Prescrire compare les effets cliniques des médicaments à ceux des autres traitements disponibles et les classe en 6 catégories, en fonction de leur utilité. Voici les évaluations Prescrire des nouveaux médicaments dans le numéro de juin 2023 (réf. 1). Les médicaments sont nommés par leur dénomination commune internationale, autrement dit, par le nom que leur donne l'OMS (sans majuscule, en italiques). Le nom de marque est éventuellement indiqué entre parenthèses et marqué d'une majuscule et du signe °.
Lire à ce sujet l'article "Le véritable nom des médicaments".
Bravo : 0 - progrès thérapeutique majeur dans un domaine où nous étions démunis
Rien en juin 2023
Intéressant : 0 - progrès thérapeutique important, mais avec certaines limites
Rien en juin 2023
Apporte quelque chose : 2 - apport limité
- immunoglobulines humaines polyvalentes (Octagam°) dans la dermatomyosite. C'est une atteinte inflammatoires des muscles, de la peau et des vaisseaux sanguins due à un trouble immunitaire. Chez des personnes mal soulagées par la cortisone ou les immunosuppresseurs, ces immunoglobulines amènent un progrès chez environ un malade sur trois. Au prix d'effets indésirables comme des thromboses (phlébites), des insuffisances rénales ou des anémies.
- glucarpidase (Voraxaze°) contre la toxicité du méthotrexate à forte dose.
Les malades atteints de certains cancers sont traités par méthotrexate à forte dose. Il arrive qu'il soit éliminé lentement par l'organisme, ce qui le rend toxique, voire mortel. La glucarpidase "coupe en deux" le méthotrexate circulant et permet d'en diminuer la concentration, au prix de relativement peu d'effets indésirables graves. On ignore cependant dans quelle proportion les risques du méthotrexate sont maîtrisés.
Éventuellement utile : 2 - intérêt thérapeutique supplémentaire minime
- lénacapavir (Sunlenca°) dans les infections HIV-1 multirésistants. Chez des patients infectés par un HIV-1 résistant aux traitements antirétroviraux, l'ajout de lénacapavir semble contrôler le virus chez une majorité de personnes. Même si on connaît mal ses effets indésirables (en particulier à long terme), c'est une option de dernier recours.
- enfortumab védotine (Padcev°) dans certains carcinomes urothélials. Dans ces cancers (en général, de la vessie), en cas de développement régional ou de métastase, après une première chimiothérapie, ce médicament toxique pour les cellules cancéreuses semble augmenter de quelques mois la durée de survie, par comparaison avec d'autres traitements. Mais il provoque parfois des effets indésirables graves, voire mortels.
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N'apporte rien de nouveau : 5 - substance sans plus d'intérêt clinique que les autres substances déjà disponibles
- toxine botulique de type A (Xeomin°) dans l'hyper-production de salive (sialorrhée) due à des troubles neurologiques. Pas de comparaison avec la rééducation, la scopolamine en patch ou le glycopyrronium. Aucun progrès démontré, par conséquent.
- ruxolitinib (Jakavi°) dans les réactions du greffon contre l'hôte. La greffe de cellules sanguines "mères" (cellules souches hématopoïétiques) permet de traiter beaucoup de "cancers du sang". Mais parfois, les cellules greffées se retournent contre la personne et attaquent la peau, le tube digestif, le foie, etc. Dans ces situations, le ruxolitinib diminue plus les symptômes que les traitements habituels, mais sans les faire disparaitre et sans diminuer la mortalité. Et ses effets indésirables sont notablement plus nombreux.
- somatrogon (Ngenla°) dans les retards de croissance. C'est une hormone de croissance qui s'injecte une fois par semaine au lieu de tous les jours pour la somatropine. Le résultat sur la croissance semble peu différent, mais certains signes font craindre des effets indésirables graves comme une augmentation du risque de cancers.
- vénétoclax (Venclyxto°) dans la leucémie lymphoïde chronique. Dans ce "cancer lent des globules blancs", l'ajout de vénétoclax au traitement, à la place de chlorambucil, a diminué le nombre d'aggravations de la maladie. Mais il n'a pas diminué la mortalité, et ses effets indésirables sont parfois graves, voire mortels.
- lorlatinib (Lorviqua°) dans certains cancers des bronches. Ce cytotoxique (tueur de cellules) a été autorisé dans certains cancers bronchiques particuliers (dits "non à petites cellules", inopérables ou avec métastases, avec tyrosine kinase ALK anormale). Par comparaison avec un autre médicament de la même famille (le crizotinib), le lorlatinib a ralenti l'évolution sur les radios et l'apparition de métastases cérébrales, mais sans allonger la vie et sans améliorer les troubles cliniques.
Pas d'accord : 2 - aucun avantage évident, mais des inconvénients possibles ou certains
- dupilumab (Dupixent°) dans certains asthmes sévères des enfants à partir de 6 ans. Le dupilumab a eu une efficacité modeste chez une minorité d'enfants atteints d'asthme modéré à sévère. Il n'a pas diminué la consommation de dérivés de la cortisone. Et il a les effets indésirables des immunosuppresseurs, qui sont parfois graves et peuvent comprendre, à long terme, des cancers.
- tériflunomide (Aubagio°) dans la sclérose en plaques à partir de 10 ans. Un essai randomisé contre placebo n'a pas montré d'efficacité clinique. Et les effets indésirables de cet immunodépresseur sont parfois mortels. Pourquoi avoir autorisé cette commercialisation en Europe, alors que l'agence US du médicament l'a refusée ?
La rédaction ne peut se prononcer : 0 (zéro)
Rien en juin 2023
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Mauvaises nouvelles : 0 (zéro)
Rien en juin 2023
Bonne nouvelle : 1 (une)
- Le retrait de la pholcodine dans toute l'Union européenne. La pholcodine est un médicament antitussif dérivé de l'opium, autrefois vendu en France sous plusieurs noms de marque (Biocalyptol°, Broncalène°, Dimétane°, Hexapneumine°, Poléry°...) Leur commercialisation a été suspendue en France en 2022 en raison du risque de réactions allergiques mortelles et "du caractère non indispensable de ces sirops". En mars 2023, l'agence européenne du médicament a suivi. À noter que la pholcodine était citée par Prescrire parmi les médicaments à écarter depuis. 2013 !
Je recommande à tous les professionnels de santé de ne pas se contenter des informations limitées de ce blog et d’aller lire les arguments détaillés à la source.
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a- Un placebo est "une substance sans principe actif (= sans effet pharmacologique) mais dont la prise peut avoir un effet psychologique bénéfique pour le patient" ou encore (autre définition) "une préparation dépourvue de tout principe actif, utilisée à la place d'un médicament pour son effet psychologique, dit effet placebo" (réf. 2). À noter qu'un placebo ou un médicament peut aussi avoir des effets négatifs, et provoquer des effets indésirables : c'est l'effet nocebo.
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Lire aussi :
- Les objectifs des traitements et des diagnostics
- Traitements : les essais comparatifs sont indispensables
- Des médicaments à ne pas utiliser : 2023
- Médicaments contre la toux : peu utiles
- Traiter la toux sans médicament : le miel d'abord
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Sources
1- Prescrire Rédaction “Rubrique : Le rayon des nouveautés" Rev Prescrire 2023 ; 43 (476) : 404-433.
2- Prescrire Rédaction “Essais cliniques versus placebo : divers types de placebos, dits purs, impurs voire faux placebos" Rev Prescrire 2020 ; 40 (442) : 621-624.
Crédits photo :
- Image n°1 : "Unhealthy diet and treatment" par Marco Verch sur Flickr (recadré)
- Image n°2 : "Sirop Zed : girls by the water" par National Library of Medicine sur Flickr (recadré)