Un anti-inflammatoire provoque une épidémie de rage

Par le 11 juillet 2023, actualisé le 11 Juil 23.

Les conséquences environnementales des médicaments sont parfois difficiles à anticiper. Par exemple, l'utilisation d'un anti-inflammatoire en médecine vétérinaire est à l'origine d'une épidémie de rage en Inde (et plus largement en Asie). Comment est-ce possible ?

De nombreuses vaches sacrées

L'immense majorité des habitants de l'Inde ne mangent pas les bovins (boeufs, vaches, taureaux, veaux, génisses) qui sont considérés comme des animaux sacrés. Ils en élèvent pourtant, soit pour leur lait, soit pour leur force de travail en agriculture. Il y a donc environ 500 millions de bovins en Inde, dont seulement 4% finissent en boucherie.
Depuis les années 1990, les vétérinaires utilisent couramment des anti-inflammatoires non stéroïdiens (c'est-à-dire non dérivés de la cortisone) ou anti-inflammatoires (pour faire court) pour soigner ces bovins. Il les utilisent pour lutter contre toutes sortes d'inflammations, fièvres ou douleurs dues à des maladies ou des blessures.

Des charognards au rôle essentiel

Puisque très peu de bovins morts en Inde passent par des abattoirs ou des boucheries, ce sont les animaux charognards qui s'occupent de nettoyer les carcasses. Les plus efficaces d'entre eux sont les diverses sortes de vautours. Dans les années 1980, on estimait le nombre de vautours présents en Inde à environ 40 millions. Ils jouaient leur rôle de nettoyage des cadavres d'animaux, non seulement dans les campagnes, mais aussi dans les villes. Par exemple, il y avait environ 15 000 vautours dans les dépotoirs de l'agglomération de Delhi.
Dans toute la péninsule indienne (Inde, Népal, Pakistan, Bangladesh), les vautours jouent un rôle essentiel dans le nettoyage des cadavres de bovidés.

Mortellement toxique pour les vautours

À partir des années 1990, en Inde et dans les pays voisins (Pakistan, Népal, etc.), la population des vautours s'est mise à fondre à grande vitesse. En Inde, elle serait passée de 40 millions à ... quelques milliers seulement. En 10 ans, de 1993 à 2002, les populations de vautours Gyps bengalensis et Gyps indicus ont respectivement diminué de plus de 99% et de plus de 97%.
Les recherches ont finalement montré que le diclofénac, un des anti-inflammatoires utilisés pour traiter les bovins, est toxique pour les vautours. Manger la carcasse d'un seul bovin traité par diclofénac quelques jours avant sa mort suffit à les exposer à une dose mortelle.
Il suffirait que 1% des carcasses soient contaminées par le diclofénac pour décimer les vautours. Or elles étaient près de 10%.


Dans toute la péninsule indienne (Inde, Népal, Pakistan, Bangladesh),
les vautours jouent un rôle essentiel
dans le nettoyage des cadavres de bovidés.

Un médicament insuffisamment interdit

À partir de 2006, l'usage vétérinaire du diclofénac a été interdit en Inde, mais aussi au Népal et au Pakistan, où les problèmes sont les mêmes. Le traitement des bovins reste possible par des anti-inflammatoires non toxiques pour les vautours, comme le kétoprofène ou le meloxicam.
Malheureusement, l'interdiction n'est pas appliquée partout. De plus, des vétérinaires et des éleveurs détournent le diclofénac à usage humain (qui reste autorisé), de sorte que la contamination des bovins se poursuit.
Et depuis lors, le diclofénac à usage vétérinaire a été autorisé dans plusieurs pays d'Europe, de sorte que les premières intoxications mortelles de vautours des Pyrénées ont été observées.

Épidémie de rage

La diminution de la population des vautours a des conséquences humaines désastreuses. Ils sont remplacés par d'autres charognards dont la population se multiplie : en particulier les chiens errants et les rats. Les rats peuvent être à l'origine de nombreuses maladies. Quant aux chiens errants, leur population s'est multipliée et dans certaines études, plus de la moitié d'entre eux sont à présent porteurs de la rage, soit deux fois plus qu'il y a 5 ans. Dans plusieurs régions de l'Inde, ils sont à l'origine d'une augmentation des cas de morsure et des cas de rage. Un tiers de tous les cas de rage et la moitié des cas mortels dans le monde seraient concentrés en Inde.

Conséquences environnementales des pratiques de soin

En conclusion, l'histoire du diclofénac et de la quasi-disparition des vautours de la péninsule indienne nous montre combien il est difficile de prévoir les conséquences (notamment humaines) des déséquilibres écologiques liés à notre mode de vie.

Il est essentiel que les professions de santé se préoccupent de l'impact de leurs pratiques sur l'environnement, et pas seulement de l'impact des évolutions environnementales sur la santé.

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Lire aussi :
- Éviter le diclofénac, même en gel cutané
- Éviter les anti-inflammatoires en cas d'infection
- Choisir un anti-inflammatoire

Sources :
- "Extinction des vautours en Inde", 6 pages, mis à jour le 22 avril 2023, Wikipedia, l'encyclopédie libre.
- Saiak "Des scientifiques européens appellent à l’interdiction définitive du diclofénac® vétérinaire". Site saiak.com.
- “First evidence of a vulture killed by veterinary diclofenac in Spain will the Spanish government and the EU act after this smoking gun ?” . Site 4vultures.org consulté le 27 février 2023 : 5 pages .
- Kapil Goel et coll. "Emergence of rabies among vaccinated humans in India: a public health concern" The Lancet Regional Health - Southeast Asia 2023 ; 9 : 100109 - publié en ligne le 21 nov. 2022.
- Landrin S "Le fléau de la rage continue de progresser en Inde" Le Monde, 19 mai 2023.

Crédit Photo :
- IMG 01 : "Griffon Vulture" par Ignacio Ferre Pérez sur Flikr (recadré)
- MG 02 : "Vultures descending on a carcass" par Stuart Orford sur Flikr (recadré)

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Un anti-inflammatoire provoque une épidémie de rage" ; 11 Juil 2023 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-histoires-vraies/un-anti-inflammatoire-provoque-une-epidemie-de-rage/)
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