Lutter contre les pénuries de médicament est un véritable enjeu de santé publique. À défaut de faire respecter leurs obligations aux industriels du médicament, le gouvernement a publié une liste de "médicaments essentiels". Hélàs, les choix de cette liste ont de quoi étonner, la méthode est obscure et les conflits d'intérêt ne sont pas publics. Un exemple de quasi-amateurisme.
Pénuries de médicaments : de graves conséquences
Les pénuries de médicaments sont véritablement une plaie. Certains malades n'arrivent pas à obtenir le traitement dont ils ont besoin. Les soignants, déjà débordés, perdent du temps à chercher des médicaments de remplacement...
Mais surtout, les pénuries sont à l'origine d'aggravation des maladies traitées, d'erreurs et de surdoses, et dans certains cas, des conséquences mortelles ont été observées.
L'agence française du médicament (ANSM) entretient une page internet hypocritement intitulée "Disponibilité des produits de santé" qui recense les "tensions d'approvisionnement", les "ruptures de stock" et les "remises à disposition". Ce n'est pas inutile, mais cela ne règle évidemment pas le problème.
Les firmes pharmaceutiques sont censées avoir une obligation de mise à disposition des médicaments ayant une autorisation de mise sur le marché, mais l'administration et les politiques ne semblent pas agir avec beaucoup d'efficacité pour leur faire respecter cette obligation.
Une bonne idée
Dans ce contexte, établir une liste de médicaments essentiels afin de disposer d'une certaine quantité en avance et d'éviter les ruptures de stock n'est pas forcément une mauvaise idée. Certes, cela signifie aussi qu'on accepte les pénuries de médicaments "non essentiels". Mais c'est mieux que de les accepter toutes passivement. Une action limitée, donc, mais une action quand même. À condition d'être réalisée de manière rationnelle et transparente.
Une liste très critiquée
Le 13 juin 2023, le ministère de la Santé publie une liste de 450 médicaments qui suscite de nombreuses interrogations. Par exemple, cette liste comporte 4 médicaments anti-cholestérol de la famille des statines. Y figurent 2 médicaments dont l'utilité clinique n'a pas été démontrée. À l'inverse, la pravastatine n'y figure pas, alors qu'elle est un de ceux dont l'utilité clinique est la mieux démontrée. Autre exemple : la liste comprend 5 inhibiteurs de la pompe à proton à peu près équivalents pour le traitement des ulcères de l'estomac et des reflux œsophagien. Mais l'essence d'une liste de médicaments essentiels, c'est justement de choisir !
On pourrait multiplier les exemples. La liste comporte trois médicaments non remboursables pour le traitement des insuffisance érectiles. Inversement, elle ne comporte aucune pilule contraceptive (sauf contraception d'urgence) ni aucun dispositif intra-utérin (DIU encore appelés stérilets). Les femmes apprécieront : pour le ministère de la Santé, il est indispensable que les hommes aient une érection, mais pas que les femmes soient protégées d'une grossesse non désirée.
La liste oublie des médicaments d'usage courant, comme les deux anti-inflammatoires de premier recours : l'ibuprofène et le naproxène.
Par contre, elle inclut des traitements plus dangereux qu'utiles, et dont Prescrire réclame le retrait du marché, comme certaines gliptines et certains antidépresseurs.
Il n'y a pas de recommandation ni de travail de synthèse sérieux en médecine
si les conflits d'intérêt ne sont pas réduits au minimum et publiés.
Une méthode obscure et inacceptable
Il faut sans doute rechercher l'origine de ces incohérences, oublis et excès dans la méthode employée pour l'élaboration de la liste. Qui l'a établie ? En utilisant quels critères ? À partir de quelle méthode documentaire ? Avec quelle indépendance ? L'association Formindep (pour une formation indépendante des soignants) souligne que plusieurs sociétés "savantes" ont été sollicitées et qu'elles ont désigné un comité de pilotage et un groupe d'experts pour proposer des médicaments dans leur spécialité... sans qu'on sache quels en sont les membres, et si des déclarations d'intérêt ont été signées (alors qu'elles devraient logiquement être publiques).
On peut avoir des doutes : en effet, selon le Canard Enchaîné, la plupart des membres de la mission interministérielle mise en place pour lutter contre les pénuries de médicaments ont des liens directs ou indirects avec les industriels du médicament, et à un haut niveau (Direction de laboratoire pharmaceutique, Président du Leem, membres de cabinets de lobbying...)
Il serait temps que le ministère de la santé fasse preuve de plus d'éthique et de professionnalisme.
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Lire aussi :
- Pénuries de médicaments : depuis plus de 20 ans
- La charte "non merci" de Prescrire
- Non merci : l'autre monologue de Cyrano
- Conflits d'intérêt et mentions légales (du site anti Dr. Knock)
Sources :
- Prescrire rédaction "Pénuries de médicaments : pertes de chances pour les patients et pertes de temps pour les soignants" Prescrire 2023 ; 43 (476) : 436-437, “Liste française de médicaments essentiels : non argumentée et établie sans méthode rigoureuse" Prescrire, Dans l'actualité, 26 juin 2023.
- ANSM "Disponibilité des produits de santé" ANSM, non daté, consulté le 12 juillet 2023.
- Ministère de la Santé et de la Prévention "Gestion des pénuries : publication de la liste des médicaments essentiels pour répondre aux besoins prioritaires des Français" 13 juin 2023.
- Formindep "La liste des médicaments essentiels… pour qui ?" Formindep, 26 juin 2023.
- Barré I "Matignon ou l'industrie sans Borne" Le Canard Enchaïné, n°5334 , 1er février 2023.
Crédit photos :
- IMG 01 : "Prices of essential COVID-19 medicines have increased" par Marco Verch sur Flikr (recadré)
- IMG 02 : "Conflict of Interest" par Thomas Hawk sur Flikr (recadré)