La faible efficacité des antidépresseurs

Par le 31 août 2022, actualisé le 04 Sep 22.

Très utilisés, les médicaments antidépresseurs n'améliorent pourtant vraiment que 15 patients sur 100 : ils sont plus efficaces chez les adultes jeunes et ceux qui sont atteints de dépression sévère. Dans de nombreux cas, on peut s'appuyer sur des traitements non médicamenteux, notamment psychologiques.

Les médicaments antidépresseurs sont très utilisés. Aux USA, environ 13% des personnes âgées de 12 ans ou plus prennent un antidépresseur. Dans le reste des pays développés, environ 6% de la population en consomme (a).
Pourtant, l'augmentation de la consommation d'antidépresseur ne s'est pas accompagnée d'une diminution des suicides, au contraire.
Une grande étude sur l'efficacité des antidépresseurs est donc la bienvenue. Ses auteurs ont compilé les résultats de tous les essais d'un antidépresseur contre un placebo présentés à l'agence américaine du médicament (la FDA) de 1979 à 2016.

Une efficacité imaginaire ?

Des méta-analyses (compilations mathématiques de résultats d'essais) ont déjà été faites avec les antidépresseurs. Elles ont conclu qu'il y avait bien une différence moyenne de résultat entre les groupes prenant des antidépresseurs et les groupes prenant des placebos. Mais cette différence était si faible que le débat faisait rage : cette différence avait-elle un intérêt ?
Pour comprendre cette question, imaginez qu'en compilant tous les résultats des essais d'un traitement amaigrissant, on conclut que oui, il a une efficacité démontrée, puisqu'il permet de perdre en moyenne 4 grammes en un an. Vous penseriez que cette différence n'a aucun intérêt. Le traitement a une efficacité statistique, mais il n'a pas d'efficacité clinique, c'est-à-dire d'efficacité qui compte en pratique.

Une faible différence sur l'échelle de dépression

La nouvelle compilation réunit les résultats individuels de plus de 73 000 patients ayant pris, soit un antidépresseur, soit un placebo. Les auteurs ont unifié les résultats et les ont exprimé comme s'ils avaient été obtenus en utilisant l'échelle de dépression de Hamilton (b). En moyenne, les malades avaient un score de dépression de 23 avant traitement. Les malades traités par placebo se sont améliorés en moyenne de 8 points, passant donc à 15 ; les malades traités par antidépresseur se sont améliorés en moyenne de 9,8 points, passant donc à 13,2. La différence moyenne entre les antidépresseurs et le placebo a donc été de 1,75 points. Et la question se pose : cette différence reflète-t-elle vraiment une efficacité clinique. A-t-elle un intérêt ?

La dépression est une souffrance.
Elle guérit souvent sans médicament, avec une aide psychologique, familiale, sociale.

Des différences selon les groupes

Pour savoir si les antidépresseurs ont un intérêt clinique, les auteurs ont étudié les résultats individuels et les ont trié par groupes. On apprend ainsi que les antidépresseurs semblent plus efficaces lorsque la dépression est plus grave. La différence avec le placebo est de seulement 1 point sur l'échelle de Hamilton chez les malades atteints de dépression légère. Elle atteint 2,5 points chez les patients ayant au départ une dépression grave, avec un score de 29. Les antidépresseurs semblent plus efficaces chez les personnes jeunes et moins efficaces chez les personnes âgées.
D'autre part, les auteurs distinguent les personnes chez qui la dépression s'est nettement améliorée (diminution d'environ 16 points), faiblement améliorée (autour de 9 points) et pas améliorées (autour de 2 points).
Ce qui permet de faire le tableau suivant :

Sur 100 personnes.
Avec placebo (à gauche) : 10 améliorations nettes,
69 faibles améliorations, 21 absences d'amélioration.
Avec antidépresseur (à droite) : 25 améliorations nettes,
63 faibles améliorations, 12 absences d'amélioration.

Choisir de traiter avec discernement

Donc, dans les essais, sur 100 personnes traitées par antidépresseur, seulement 15 tirent un réel bénéfice de ce traitement. Ce sont surtout des personnes jeunes, atteintes de dépression grave. Et encore, ce résultat a été obtenu dans des populations soigneusement triées, avec des critères de diagnostic bien précis. Il est peut-être moins bon en médecine courante.
En pratique, il faut aussi tenir compte des effets indésirables des antidépresseurs, et notamment de leurs effets psychiques et de leur risque toxicomanogène (c). Il est imprudent d'utiliser ces médicaments chez des personnes âgées ayant des dépressions peu prononcées : ils sont alors peu efficaces et provoquent des effets indésirables plus fréquents et plus graves.
Chez les personnes déprimées jeunes, vu la faible efficacité de ces médicaments, il est logique d'éviter les antidépresseurs qui provoquent le plus d'effets indésirables.

Les patients sont ceux qui prennent les médicaments et en ressentent les effets. Ils sont tout à fait en droit d'accepter ou de refuser les traitements antidépresseurs, en fonction de l'efficacité qu'ils semblent avoir dans leur cas personnel (qu'ils sont seuls à connaître vraiment) et de leurs effets indésirables.  À eux de se faire entendre, et aux médecins de les écouter...

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
a- Autrement dit, sur 8 adolescents ou adultes américains, il y en a un qui utilise ce type de médicament. Les "pays développés" sont ici les 29 pays de l'OCDE. Dans ces pays, la consommation d'antidépresseurs a plus que doublé entre l'an 2000 et l'an 2015 et cette année-là, 6% de la population a pris un antidépresseur.
b- L'échelle de dépression de Hamilton est un questionnaire que remplit le médecin. Il y a 17 questions, et les réponses donnent des "points". Plus le résultat final est élevé, plus la dépression est grave.
     > Score de 10 à 13 : symptômes dépressifs légers.
     > Score de 14 à 17 : symptômes dépressifs légers à modérés.
     > Score supérieur à 18 : symptômes dépressifs modérés à sévères.
c- Le risque toxicomanogène est le risque de "rendre toxicomane". Beaucoup d'antidépresseurs provoquent un syndrome de manque lorsqu'on arrête d'en prendre. Surtout si on arrête brutalement. Ce syndrome de manque fait croire que la dépression n'est pas terminée. Et du coup, un certain nombre de personnes reprennent leur antidépresseur et continuent de le prendre pendant des années alors qu'elles n'en ont pas vraiment besoin. C'est l'effet "toxicomanogène" des antidépresseurs. La solution consiste à baisser très lentement la dose d'antidépresseur sur plusieurs semaines ou plusieurs mois avant d'arrêter.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Lire aussi :
- "Incertitude"
- "Les objectifs des traitements et des diagnostics"

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Sources
- OCDE (2021) "Consommation de produits pharmaceutiques, antidépresseurs" In "Panorama de la santé 2021, les indicateurs de l'OCDE", Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/fea50730-fr.
- Stone MB et coll. "Response to acute monotherapy for major depressive disorder in randomized, placebo controlled trials submitted to the US Food and Drug Administration: individual participant data analysis" BMJ 2022 ; 378 : e067606 (publié le 02 août 2022) https://doi.org/10.1136/bmj-2021-067606.

Crédits photo
- Image n°1 : "Wheels and leaves" par Sergei F sur Flickr
- Image n°2 : "Depression" par Bobby McKay sur Flickr
- Image n°3 : "Tableau de silhouettes / antidépresseurs et placebo" © Jean Doubovetzky

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "La faible efficacité des antidépresseurs" ; 31 Août 2022 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-medicaments/la-faible-efficacite-des-antidepresseurs/)
PARTAGER CET ARTICLE :