Accélérer l’effondrement du système de santé

Par le 10 novembre 2023, actualisé le 10 Nov 23.

Je me permets d’émettre ici quelques suggestions sur les méthodes les plus efficaces pour accélérer l’effondrement du système de santé. Toutes ces propositions sont imaginaires. Elles ne pourraient venir à l'idée d'aucun responsable politique ou administratif. Et elles ne pourraient être mises en œuvre nulle part. C'est pourquoi, très exceptionnellement, cet article d'imagination pure n'est pas référencé.

Mettre l’accent sur les dépenses et fausser les comparaisons

Le premier point est de faire passer l'économie avant la santé publique. On mettra en avant le coût, en le présentant toujours comme trop élevé, et en augmentation. En France, on pimentera la sauce en expliquant qu’il s’agit de « dépenses publiques » et qu’elles sont « les plus élevées au monde. » Il est bien connu, pourtant, que les dépenses des américains du Nord pour leur santé sont bien plus élevées, mais on se gardera bien d’en parler. Ça ne compte pas, puisqu’il s’agit de dépenses privées…

Ne surtout pas s’intéresser aux bénéfices

Idéalement, on évitera de souligner qu’un système d’assurance maladie étendu permet de protéger une grande partie de la population. Cette protection est particulièrement utile, notamment pour lutter contre les épidémies, comme on l’a bien constaté pendant la période covid. Mais chut ! N’en parlons plus…

Fermer le plus de lits d’hôpitaux possible

Une fois qu’on a dit que pour sauver le système de santé, il faut diminuer les coûts, on peut ajouter que le mieux est de regrouper les services. Officiellement, il s’agit de dépenser moins en concentrant les compétences. En pratique, on fermera tous les petits services, c’est-à-dire les services de proximité et les services non spécialisés : les petites maternités, les petits services de soins non programmés (qu’on n’a plus le droit d’appeler services d’urgence), les services de médecine générale, etc.

En France, l'effondrement du système de santé a été annoncé
par les professionnels de santé (notamment les syndicalistes)
depuis plus de 20 ans.
Mais que ce soit avant ou après la crise Covid,
peu de choses ont changé, et la situation continue de s'aggraver.

Remplacer l’hôpital par la rue ou par la prison

Pour vider les hôpitaux psychiatriques, on oubliera systématiquement l’idée que les malades sont en danger, et on insistera sur l’idée que les malades sont dangereux. Rien de bien difficile : il suffira d’utiliser habilement quelques rares faits divers. Il est bien évident que parmi les personnes qui ont besoin d’une protection hospitalière, bon nombre vont se retrouver à la rue. Et que certains d’entre eux commettront alors des actes interdits par la loi. On veillera à être particulièrement sévères avec eux et, le cas échéant, à souligner que ce sont des étrangers, des descendants d’étrangers ou des marginaux. On essaiera bien entendu d’étouffer au maximum les enquêtes qui montreraient qu’un grand nombre de condamnés sont en réalité des malades mentaux. Et l'augmentation du nombre de personnes incarcérées sera systématiquement attribuée, non pas au défaut de soins de certains malades psychiatriques hors l'hôpital ou à la plus grande sévérité du système judiciaire, mais à "l'ensauvagement" de la population.

Réduire le nombre d’étudiants dans les professions de soins

On commencera par expliquer que, quand il y a « trop de médecins », forcément, ils fabriquent des malades pour survivre. Et ni une ni deux, on en déduira qu’en diminuant le nombre de médecins, on améliorera la santé de la population (a). On ne se contentera pas de diminuer le nombre de médecins formés dans les facultés. On contrôlera également le nombre d’infirmiers, par exemple.

Optimiser la pénurie humaine

On s’appliquera aussi à décourager les professionnels et les futurs professionnels. Comme ceux qui restent sont indispensables, on les obligera à travailler de manière déraisonnable. Un certain nombre quitteront le métier, victimes de surmenage (soyons modernes : de « burn out »!) D’autres changeront sagement d’activité avant de tomber malades. Et bon nombre d’étudiant.e.s se décourageront avant même de commencer le métier.
Selon les bruits qui courent, en France, les infirmier.e.s n’exerceraient en moyenne que 8 ans, et seulement 4 médecins généralistes diplômés sur 10 s’installeraient comme médecin généraliste.

Mettre au pas les récalcitrants

Quant aux imbéciles qui continuent à exercer et à défendre leur métier, on s’appliquera à les monter les uns contre les autres (les urgentistes contre les médecins généralistes, les libéraux contre les hospitaliers, etc.) On veillera aussi à mettre les fortes têtes « sous tutelle » comme disait récemment un sous-directeur de caisse d’assurance maladie. Par exemple, on fera vérifier à l’avance tous leurs arrêts de travail par des gens qui n’exercent plus la médecine générale depuis longtemps ou qui ne l’ont jamais exercé. Ce sera complètement inefficace pour diminuer les arrêts de travail, qui sont surtout liés à l'aggravation des conditions de travail et à l'âge croissant des salariés. Mais ce sera excellent pour humilier et dégoûter les professionnels de santé. Et aussi pour les convaincre que les politiques et les administratifs sont leurs ennemis jurés.

Réguler le moins possible les risques sanitaires

Par contraste, on évitera au maximum de froisser les industriels en général, et toutes les professions qui aggravent les conditions de vie en répandant des toxiques dans l’environnement et dans l’alimentation ou l’eau de boisson. On ne s’attaquera pas non plus à la commercialisation des médicaments plus dangereux qu’utiles. On laissera les grands groupes financiers ouvrir des hôpitaux privés et acheter du matériel de pointe (IRM, PetScan, etc.) qu’il devront ensuite rentabiliser. En même temps, on évitera absolument de compenser l’inflation dans les prétendues augmentations de rémunération des professionnels de santé de base (aide-soignants, infirmier.e.s, médecins).

S’attaquer aux droits des populations les plus fragiles

Les populations les plus fragiles sont aussi les plus pauvres et les plus marginales. Ce sont les gens à la rue (dont l’espérance de vie dépasse à peine 40 ans), les malades et retardés mentaux, les étrangers sans ressources (dont les sans papiers). Idéalement, on les empêcherait au maximum de se soigner, par exemple en prétendant qu’il suffit d’assurer les urgences. Et s’ils déclenchent des épidémies dans la population générale, tant pis…

En combinant toutes ces méthodes, si on n’arrive pas à obtenir des déserts médicaux, des services d’urgence débordés, des professionnels épuisés, des services hospitaliers et médicaux inefficaces, et au bout du compte, une diminution de la durée de vie de la population, c’est à désespérer !

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a- On notera que l’idée n’est pas complètement fausse. Elle est assez pertinente pour des spécialités « facultatives » comme les soins esthétiques. Mais diminuer le nombre de chirurgiens orthopédistes risque d’être assez inefficace pour réduire le nombre de fractures…

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Lire aussi :
- "Des médicaments à ne pas utiliser : 2023"
- "La médecine n’a pas pour but de guérir des maladies"
- "La médecine rationnelle ou EBM"

Crédits photo :
- Image 01 : "HIV in Asia" par Zoriah sur Flickr (recadré).
- Image 02 : "Antwerp - Place Head Here" par Justus Hayes sur Flickr (recadré).

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Accélérer l’effondrement du système de santé" ; 10 Nov 2023 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-societe/accelerer-leffondrement-du-systeme-de-sante/)
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