L’Agence française du médicament déconseille les vasoconstricteurs pour le nez… avec 20 ans de retard

Fin octobre 2023, l'agence nationale du médicament française (ANSM) a déconseillé l'utilisation des vasoconstricteurs par voie orale pour le traitement du rhume, qui sont pourtant toujours en vente libre dans les pharmacies. Un "déconseil" porté par la revue Prescrire depuis l'an 2002...

Réactions de plus ou moins bonne foi

Le texte de l'ANSM se contente de déconseiller l’utilisation des médicaments par voie orale contenant des vasoconstricteurs (en pratique : de la pseudoéphédrine). Mais l’agence n’a pas suspendu l’autorisation de ces médicaments. Elle attendrait les conclusions d’une réévaluation qu’elle a demandé à l’agence européenne du médicament. Le texte a été cosigné par plusieurs organisations professionnelles représentant des médecins généralistes ou ORL,et des pharmaciens (a). Il a été largement repris dans la presse. Sans grande surprise, un organisme représentant certains industriels du médicament a protesté en prétendant que la communication de l’ANSM était « prématurée » et « alarmiste ».
Pourtant, on sait depuis au moins 20 ans que certains médicaments du rhume sont à l'origine d'effets indésirables graves : il s'agit des médicaments vasoconstricteurs par voie orale (à avaler) qui contiennent de la pseudoéphédrine et de vasoconstricteurs en spray ou en gouttes à mettre dans le nez.

L'effet vasoconstricteur

La pseudoéphédrine est une molécule proche de l'amphétamine, qui porte d'ailleurs aussi le nom de désoxynoréphédrine. Elle provoque une vasoconstriction, c'est à dire qu'elle fait se rétrécir le diamètre des artères. Le sang arrive moins dans le nez, et on a la sensation agréable qu'il se débouche. Du moins lorsqu'on a de la chance. En effet, l’analyse des essais indique que les vasoconstricteurs ferait diminuer l’intensité des symptômes de… 4 % à 6 %. Ce qui est loin d’être miraculeux.
Surtout, sous l'effet du médicament, les vaisseaux sanguins peuvent aussi se contracter dans d'autres endroits du corps . Même quand un médicament vasoconstricteur est administré par voie nasale, une partie est absorbée a fait se contracter des vaisseaux dans d'autres parties du corps. C'est évidemment encore plus vrai lorsqu'un vasoconstricteur est administré par voie orale.

Médicaments par voie orale qui contiennent de la pseudoéphrédrine (liste mise à jour en février 2024) : 
Actifed rhume°, Actifed rhume jour et nuit°, Dolirhume°, Dolirhumepro°, Humex rhume°, Nurofen rhume°, Rhinadvil rhume° 
Malheureusement, tous ces médicaments sont disponibles en France sans ordonnance.

**Le rhume guérit sans traitement**, généralement en une semaine, rarement deux.
Les **vasoconstricteurs** "débouchent un petit peu le nez" mais peuvent provoquer des **accidents vasculaires cérébraux (AVC)**, des **troubles cardiovasculaires** parfois mortels, des maladies par manque d'oxygène du gros intestin ou du nerf optique, des **troubles psychiques**...
Le **maigre bénéfice** parfois obtenu ne vaut pas les **risques** encourus !

Médicaments par voie nasale qui contiennent :
- des vasoconstricteurs seuls : Aturgyl° (oxymétazoline), Pernazène° (oxymétazoline), Rhino Sulfuryl° (Éphédrine) ;
- des vasoconstricteurs associés à un antiseptique (d'ailleurs inutile) : Rhinofluimucil° (tuaminoheptane) ;
- des vasoconstricteurs associés à un dérivé de la cortisone : Dérinox° (naphtazoline), Déturgylone° (oxymétazoline).
Malheureusement, tous ces médicaments sont disponibles en France sans ordonnance.

Des effets indésirables rares mais parfois très graves

Si on pense que le but du traitement est simplement de déboucher (un tout petit peu) un nez qui se serait débouché tout seul en 7 à 10 jours, les effets indésirables, même graves, sont évidemment disproportionnés.
En effet, ce sont des troubles cardio-vasculaires parfois mortels : poussées d’hypertension, accidents vasculaires cérébraux (AVC), troubles du rythme cardiaque (dont fibrillations auriculaires). Mais aussi des colites ischémiques (maladies du gros intestin dû au manque d’oxygène), des neuropathies optiques ischémiques (maladie du nerf de la rétine, indispensable à la vision), des troubles neuropsychiques (dont des troubles psychotiques et des convulsions). Depuis des années, la revue Prescrire mentionne les vasoconstricteurs dans les médicaments à écarter pour mieux soigner.

Un peu de sagesse dans ce monde de brutes

Évidemment, on peut regretter que l’agence française du médicament n’ait pas eu l’énergie d’affronter les industriels du médicaments, et qu’elle ait préféré attendre la décision (hypothétique) de l’agence européenne. Car les données sur les effets indésirables des vasoconstricteurs (par voie orale ou par voie nasale) ne datent pas d’hier…
En attendant, soyons un peu sages : ne prenons pas de médicaments qui peuvent nous tuer simplement pour déboucher un peu notre nez.

Mise à jour février 2024
Dans une lettre aux professionnels de santé, l'ANSM (agence française du médicament), signale que la pseudo-éphédrine peut provoquer de rares cas d’encéphalopathie postérieure réversible (PRES) et de syndromes de vasoconstriction cérébrale réversible (RCVS). En conséquence, tous les médicaments contenant de la pseudo-éphédrine sont contre-indiqués chez les patients qui présentent une hypertension sévère ou non contrôlée, ou une maladie rénale et/ou une insuffisance rénale sévère aiguë ou chronique, car ces maladies augmentent les risques. 
Chez les personnes prenant de la pseudo-éphédrine, les symptômes suivants pourraient annoncer une encéphalopathie ou une vasoconstriction cérébrale : des maux de tête soudains et sévères ou "en coup de tonnerre", des nausées, des vomissements, de la confusion, des convulsions et/ou des troubles visuels. 
Les personnes concernées doivent arrêter immédiatement d’utiliser la pseudo-éphédrine et consulter un médecin si des signes ou des symptômes listés ci-dessus apparaissent.

a- Les organisations qui se sont associées à la recommandation de l'ANSM sont le Collège de la médecine générale (CMG), le Conseil national professionnel d’oto-rhino-laryngologie (ORL), l’ordre national des pharmaciens et deux syndicats de pharmaciens d’officine (l'Union de syndicats de pharmaciens d'officine et la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France).

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Sources :
- ANSM "En cas de rhume, évitez les médicaments vasoconstricteurs par voie orale" Publié le 22 octobre 2023.
- Nères "Une communication de l’ANSM sur la pseudoéphédrine prématurée et alarmiste au regard des conclusions du PRAC attendues d’ici fin 2023" Communiqué du 23 octobre 2023.
- Haroche Q "Les médicaments anti-rhume fortement déconseillés… faute de pouvoir être interdits !" JIM 29 octobre 2023.
- Prescrire rédaction "Vasoconstricteurs : effets indésirables neurologiques et cardiovasculaires", "Éphédrine et apparentés : vasoconstriction et hypertension artérielle", "Paracétamol + pseudoéphédrine ou doxylamine promu directement auprès des patients (DolirhumePro°) Non à la pseudoéphédrine dans le rhume", "Le sort de la pseudoéphédrine entre les mains de l’Agence européenne du médicament", "Dans l’actualité", "internet Cancer-rose.fr", . Prescrire 2002 ; 22 (232) : 675, 2003 ; 23 (244) : 758-759, 2006 ; 26 (277) : 734, 2023 ; 43 (475) : 350, 2002 ; "Dans l’actualité" du 24 octobre 2023.
- Sexton DJ, McClain MT et coll. "The common cold in adults: Treatment and prevention" In: UpToDate, Post TW (Ed), UpToDate, Waltham, MA, USA. (Mis à jour en août 2023).

Mise à jour février 2024 :
- ANSM "Pseudoéphédrine : risques de syndrome d’encéphalopathie postérieure réversible (PRES) et de syndrome de vasoconstriction cérébrale réversible (RCVS)" Lettre aux professionnels de santé du 12 février 2024.

Crédits photo :
- Image 01 : "L'amour mouché (Musée Félicien Rops, Namur)" par Franz Vandervalle sur Flickr (recadré).
- Image 02 : "Running nose" par XoMEoX sur Flickr (recadré).

Rédigé par Jean Doubovetzky sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.