Dr Knock. Épisode 2 : la pièce de théâtre

Par le 22 février 2022, actualisé le 18 Mar 24.

Même si vous avez oublié qui était le Dr Knock, vous connaissez sans doute sa phrase proverbiale : « Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent. » En réalité, c'est le personnage principal d’une pièce de théâtre ironique.

"Knock, ou le triomphe de la médecine", écrit par Jules Romains en 1923, a été mis en scène et interprété pour la première fois la même année par Louis Jouvet, à la Comédie des Champs-Élysées de Paris. On a tiré de cette pièce un film très fidèle ("Knock", de Guy Lefranc, 1951). Mais que raconte-t-elle ?

Un médecin formé par les industriels du médicament

Le Dr Knock vient de passer sa thèse sur « Les prétendus états de santé ». Mais il a déjà exercé la médecine sans diplôme pendant une vingtaine d'années, sur des bateaux où le titre de Docteur n'était pas exigé. Quant à sa formation :

« Depuis mon enfance, j’ai toujours lu avec passion les annonces médicales et pharmaceutiques des journaux, ainsi que les prospectus intitulés « mode d’emploi » que je trouvais enroulés autour des boîtes de pilules et des flacons de sirop qu’achetaient mes parents. Dès l’âge de neuf ans, je savais par cœur des tirades entières sur l’exonération imparfaite du constipé. »

Il vient reprendre la clientèle du Dr Parpalaid dans un petit village de montagne, et comprend assez vite que l'activité de son confrère était très faible : peut-être dix consultations par semaine.

Un véritable plan de communication

Le Dr Knock commence par prendre contact avec le tambour de ville, chargé de crier les petites annonces sur la place et dans les lieux publics. Il l’interroge sur son prédécesseur et recueille notamment ces critiques :

« Neuf fois sur dix, il vous renvoyait en vous disant : "Ce n’est rien du tout" » et « il vous indiquait des remèdes de quatre sous ; quelquefois une simple tisane. Vous pensez bien que les gens qui paient huit francs pour une consultation n’aiment pas trop qu’on leur indique des remèdes de quatre sous. »

Puis le Dr Knock lui demande d’annoncer deux heures de consultations gratuites « dans un esprit philanthropique », tous les lundis matin, jour de marché, afin « d’enrayer les progrès inquiétants des maladies de toutes sortes qui envahissent depuis quelques années nos régions si salubres autrefois. »

Le Dr Knock reçoit ensuite l’instituteur du village, qu’il a convoqué (il ne se déplace pas !) Il feint de découvrir avec horreur que le Dr Parpalaid n’avait pas organisé « l’enseignement populaire de l’hygiène, l’œuvre de propagande dans les familles ». Le Dr Knock parvient à charger l’instituteur de faire les premières conférences sur la fièvre typhoïde et les « porteurs de germes ». Il commente :

« Qu’ils n’en dorment plus ! Car leur tort, c’est de dormir, dans une sécurité trompeuse dont les réveille trop tard le coup de foudre de la maladie. »

Alliance avec le pharmacien

Le Dr Knock s’entretient aussi avec le pharmacien, et le pousse à se plaindre du faible volume des ordonnances du Dr Parpalaid. C’est l’occasion pour le Dr Knock de lui promettre la prospérité, s’il veut bien coopérer avec lui. Et aussi l’occasion d’un petit discours idéologique tout à fait visionnaire :

« "Tomber malade", vieille notion qui ne tient plus devant les données de la science actuelle. La santé n’est qu’un mot, qu’il n’y aurait aucun inconvénient à rayer de notre vocabulaire. Pour ma part, je ne connais que des gens plus ou moins atteints de maladies plus ou moins nombreuses à évolution plus ou moins rapide. Naturellement, si vous allez leur dire qu’ils se portent bien, ils ne demandent qu’à vous croire. Mais vous les trompez. »
Affiche de "Knock", Comédie des Champs Élysées (1923).
Le dessinateur montre bien comment le médecin plie la patiente effrayée à ses ordres, avec un petit air sournois.

La manipulation au service de la "religion médicale"

Les consultations gratuites commencent, et la pièce nous en fait vivre plusieurs. Certains patients viennent seulement parce que c’est gratuit, mais même ceux-là ont bien, forcément, quelque symptôme bénin. Le Dr Knock les convainc facilement qu’ils sont malades, ou au moins qu’il faut vérifier en se mettant sous sa surveillance. Il leur prescrit du repos et une diète complète qui ne peuvent que les affaiblir et les angoisser. Les symptômes qu'ils développent alors les convainquent du "bon diagnostic" du Dr Knock. Lui-même est pourtant effrayé de ses capacités de surdiagnostic. Il explique :

« cela se fait un peu malgré moi. Dès que je suis en présence de quelqu'un, je ne puis m'empêcher qu'un diagnostic s'ébauche en moi... même si c'est parfaitement inutile et hors de propos. À ce point que, depuis quelque temps, j'évite de me regarder dans la glace » et il se détourne du miroir à côté duquel il se trouve.

Quelques mois plus tard, le Dr Parpalaid revient pour que le Dr Knock lui paie l’achat de sa clientèle. Il découvre avec étonnement que le seul hôtel du village, aménagé en clinique, est plein. Le Dr Knock lui expose sa méthode avec fierté, montrant glorieusement une carte du canton où il a noté la « pénétration médicale ». Son discours montre bien que sa satisfaction de "meneur", autrement dit d'homme de pouvoir, de chef religieux, est une motivation bien supérieure à la motivation financière :

« Dans deux cent cinquante de ces maisons (...) il y a deux cent cinquante chambres où quelqu’un confesse la médecine, deux cent cinquante lits où un corps étendu témoigne que la vie a un sens, et grâce à moi un sens médical. La nuit, c’est encore plus beau, car il y a les lumières. Et presque toutes les lumières sont à moi. (...) les malades ont gardé leur veilleuse ou leur lampe. (...) Le canton fait place à une sorte de firmament dont je suis le créateur continuel. Et que je ne vous parle pas des cloches. Songez que, dans quelques instant, il va sonner dix-heures, c’est la deuxième prise de température rectale, et que, dans quelques instants, deux cent cinquante thermomètres vont pénétrer à la fois...»

À la fin de la pièce, il semble même que le Dr Knock est sur le point de convaincre le Dr Parpalaid qu’il doit être mis sous surveillance médicale. La dernière scène, muette, est terriblement ironique : les assistants du Dr Knock "paraissent, porteurs d’instruments rituels, et défilent, au sein de la Lumière Médicale".

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Crédit image : Dessin de Bécan, pseudonyme de Bernhard Cahn (francisé en Bernard Cahn).
Provenance : Bibliothèque en ligne Gallica, identifiant ARK : btv1b53145666w (Domaine public)

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Sources, lectures et visionnages

- Romains J "Knock ou le triomphe de la médecine", pièce de théâtre en trois actes représentée pour la première fois à Paris, à la Comédie des Champs-Élysées, le 15 décembre 1923. Multiples éditions, par exemple Gallimard, Paris, 2000. Multiples ebooks aussi, dont une copie pdf en accès libre sur Internet Archive.
- « Knock », film de Guy Lefranc, France, 1951, noir et blanc, 98 mn. Avec Louis Jouvet (Dr Knock), Jean Brochard (Dr Parpalaid), Pierre Renoir (le pharmacien Mousquet), Pierre Bertin (l’instituteur Bernard), Marguerite Pierry (Mme Pons, la dame en violet), Jean Carmet (Le premier gars), Yves Deniaud (le tambour de ville), Mireille Perrey (Mme Rémy), Jane Marken (Mme Parpalaid), Geneviève Morel (la dame en noir), etc. Édité sur DVD (René Château Vidéo).
- Deux autres films avaient auparavant été tirés de la pièce : "Knock" de René Herbil (1925) et "Knock ou le triomphe de la médecine" de Roger Goupillère et Louis Jouvet (1933). Fin 2023, ils ne sont pas disponible sur support vidéo ou DVD, et je n'ai pas pu les visionner.
- Un film couleur a été tourné en 2016 mais son scénario s'éloigne beaucoup de la pièce de théâtre initiale : "Knock" de Lorraine Lévy (2017) avec Omar Sy.

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Dr Knock. Épisode 2 : la pièce de théâtre" ; 22 Fév 2022 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/medias/dr-knock-episode-2-la-piece-de-theatre/)
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