Le Code pénal prévoit que la personne malade mentale est irresponsable si, au moment des faits, son trouble mental a aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. Le Parlement a étrangement exclu de l'irresponsabilité pénale les cas où la personne s'est volontairement intoxiquée en vue de commettre une infraction. Et le décret qui l'interprète étend cette exclusion aux cas où la personne a arrêté un traitement médical. Les psychiatres protestent unanimement. Explications.
Une coutume qui remonte au Moyen-Âge
Depuis plus d'un siècle, le code pénal prévoit que les malades mentaux ne peuvent pas être poursuivis si, au moment où ils ont accompli le délit qu'on leur reproche, leur trouble mental les avait empêché de comprendre ce qu'ils faisaient ou de contrôler leurs actes : c'est l'irresponsabilité pénale des malades mentaux. Cette irresponsabilité peut d'ailleurs être partielle, si le discernement a seulement été "altéré" (et non aboli) ou si le contrôle des actes a seulement été "entravé".
C’est la traduction contemporaine d’une tradition qui remonte (au moins) à l'époque médiévale. Au XIIIe siècle, selon les coutumes de Beauvaisis recueillies par Philippe de Beaumanoir, les "fous" « ne sont pas jugés comme les autres, car ils ne savent pas ce qu’ils font ».
Une réforme sans grand intérêt
À la suite d'un double meurtre commis en 2004 dans un hôpital psychiatrique, l'auteur des faits, diagnostiqué comme atteint de schizophrénie paranoïde, avait été définitivement considéré comme pénalement irresponsable en 2021. Il est depuis hospitalisé sans consentement dans une unité dite "pour malades difficiles". Sa consommation de cannabis avait été au moins partiellement mise en cause, et l'affaire dite "de Pau" avait fait grand bruit.
C'est à la suite de ce battage médiatique que le parlement a réformé l'irresponsabilité pénale des malades mentaux. Elle a en particulier exclu de l'irresponsabilité les cas où, « dans un temps très voisin de l’action, la personne a volontairement consommé des substances psychoactives dans le dessein de commettre l’infraction ou une infraction de même nature ou d’en faciliter la commission ».
On voit bien qu'il s'agit là d'une situation absolument exceptionnelle, où une personne qui a déjà décidé de commettre un délit choisit d'absorber des substances pour... Pourquoi, d'ailleurs ? Pour se donner du courage ? Pour se désinhiber ? Pour avoir un sentiment de toute-puissance ? Des situations de ce genre ne se rencontrent pas tous les jours. Peut-être dans des cas de terrorisme ou d'attentat suicide ?
Un décret largement contesté
- Le projet de loi a fait l'objet d'un avis du Conseil d'État qui l'a approuvé avec des réserves. Après modifications, il a été adopté en décembre 2021. Le Conseil avait rappelé un principe ancien et constant en droit français : « Il ne peut y avoir de responsabilité sans libre arbitre. » Il a estimé que la réforme « a une portée plus que limitée, la réunion des conditions de l’exclusion de l’irresponsabilité pénale paraissant très théorique et la preuve de l’élément intentionnel extrêmement difficile à apporter en pratique ». En clair, il a souligné que le Parlement s'était intéressé à des cas exceptionnels.
- Le Conseil d'État s'est aussi appliqué à clarifier les cas où la nouvelle loi ne pourra pas s'appliquer. Il a notamment écrit : « L’arrêt d’un traitement psychoactif ne pourra pas davantage être incriminé. »
- La loi est finalement promulguée en janvier 2022 et un décret d'application est publié en avril 2022. Et là, surprise : en préambule, dans sa "notice", le texte du Décret rajoute une situation non prévue par la loi, et explicitement exclue par l'avis du Conseil d'État. Il stipule en effet que l'exclusion s'applique lorsque le trouble mental « résulte, par exemple, de l’arrêt par celle-ci d’un traitement médical »
- Ce petit morceau de phrase déclenche une levée de bouclier. La quasi-totalité des organisations et associations de psychiatres, du secteur public comme du secteur privé, jugent ce texte inacceptable. À la fois dans sa méthode de rédaction : l'absence de toute concertation avec les professionnels du secteur. Et dans ses conséquences. En effet, une des caractéristiques des maladies psychiatriques les plus graves (les psychoses), c'est que le malade ne se rend pas nécessairement compte de son état. En conséquence, il ne comprend pas pourquoi il devrait suivre un traitement dont l'efficacité est d'ailleurs limitée et qui, de plus, provoque souvent des effets indésirables pénibles.
- Et surtout, comme le disent les associations de psychiatres réunies : « Cet ajout constitue une atteinte grave aux droits du patient ». Elles espèrent encore un retour en arrière du gouvernement...
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Lire aussi :
- La schizophrène confinée
Crédits image : n°1 "Cell Block" par Angie Bartlett sur Flickr
n°2 "Prison" par SpongeBob sur Flickr
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Sources :
1- Code pénal, article 122-1. Légifrance. www.legifrance.gouv.fr
2- Cyril Hazif-Thomas. "La liberté de choix des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques" Droit. Université Rennes 1, 2016. Français. NNT : 2016REN1G013 . tel-01538687, page 50.
3- LOI n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, JORF du 25 janvier 2022, texte 1. www.legifrance.gouv.fr
4- Véron P "Le droit en pratique - Irresponsabilité pénale pour trouble mental : que prévoit la réforme ?" Santé mentale n° 264, janvier 2022 https://www.santementale.fr/
5- Conseil d'État, assemblée générale. N° 402975. Séance du jeudi 8 juillet 2021. "Avis sur un projet de Loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure" NOR : JUSX2116059L/Verte-1 - www.legifrance.gouv.fr
6- Décret n° 2022-657 du 25 avril 2022 précisant les dispositions de procédure pénale résultant de la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure applicables en cas de trouble mental. JORF du 26 avril 2022, texte 31. www.legifrance.gouv.fr
7- Véron P "Irresponsabilité pénale : un décret "inacceptable" pour de nombreux acteurs" Santé mentale n° 264, 16 mai 2022 https://www.santementale.fr/