Avant le Mediator° (2) : la sombre histoire de l'Isoméride°

Par le 27 juillet 2023, actualisé le 27 Juil 23.

La molécule de base du Mediator°, le benfluorex, appartient à la famille des amphétamines. Ces médicaments, découverts au début du 20e siècle, ont notamment été utilisés en grandes quantités par les militaires, en raison de leurs propriétés stimulantes, au prix de milliers de toxicomanies et de maladies cardiaques.

La commercialisation et le maintien sur le marché du Mediator° ont été un scandale. Parce que ses promoteurs savaient parfaitement que sa molécule, le benfluorex, était une amphétamine. Et que les responsables de la sécurité du médicament n'ont pas vérifié. Or les dangers cardiaques des amphétamines étaient bien connus.

Des années auparavant, la firme Servier avait commercialisé une autre amphétamine, la fenfluramine, pour la perte de poids chez les personnes obèses. Elle avait été contrainte de la retirer du marché en raison de ses effets indésirables cardiaques. L'histoire est d'ailleurs assez rocambolesque...

Un équilibre bénéfices-risques pour le moins douteux

Le laboratoire Servier a d'abord commercialisé la fenfluramine sous le nom de Pondéral° (ou Pondéral° Retard) puis quelques années plus tard, la d-fenfluramine ou dexfenfluramine (un de ses isomères) sous le nom d'Isoméride° (lire l'article consacré aux isomères sur le site). Un grand battage commercial montait alors en épingle de petites différences dans de minuscules études. Certainement pas de quoi diminuer sérieusement les risques très réels liés à l'obésité. Mais comme le soulignait la revue Prescrire, les preuves d'efficacité et les preuves d'innocuité (d'absence d'effet indésirable grave) étaient peu convaincantes. En effet les études publiées portaient sur très peu de patient(e)s - par exemple, une étude sur 20 patientes, une autre sur 96 patientes. Elles n'avaient duré que quelques mois, le suivi après la fin de ces études avait été très court (par exemple, 3 jours), et surtout une très grande proportion des patientes ayant commencé les études les avaient abandonnées avant la fin (souvent plus d'une sur trois).
En somme, prendre ce médicament faisait courir des risques mal connus pour un bénéfice faible et incertain.

Des effets indésirables contre lobbying

La fenfluramine, mise sur le marché français en 1985, fait un carton commercial. Pourtant, depuis 1987, on observe un nombre croissant d'une maladie à la fois pulmonaire et cardiaque (l'hypertension artérielle pulmonaire ou HTAP). Les morts commencent à s'accumuler et des cas sont signalés en France, puis en Belgique. Mais ni le laboratoire Servier ni les agences du médicament ne bougent. On accuse des "herbes chinoises" qui sont parfois associées à la fenfluramine (et qui sont en effet dangereuses, mais pour le rein). En 1994, un rapport de la pharmacovigilance belge conclut qu'il n'y a "aucune mesure à prendre".
Aux USA, le Pr Abenhaïm présente des résultats défavorables. L'agence américaine rejette la commercialisation de la fenfluramine (sous le nom de Redux°). Mais les efforts de lobbying du laboratoire Servier aboutissent à un revirement étonnant : en 1996, la commission de mise sur le marché américaine vote une seconde fois, et autorise le Redux° par 6 voix contre 5. Le succès commercial est immédiat.

Les amphétamines (dont la fenfluramine) continuent d'être fabriquées et incorporées aux "traitements" non officiels destinés à la perte de poids, comme ces pilules "Bangkok Slim" ("Minceur de Bangkok") saisies par la FDA américaine. Attention aux prétendus médicaments miracles en vente sur internet !

Des barbouzeries qu'on croirait tirées d'un roman noir

L'étude du Pr Abenhaïm, défavorable à la fenfluramine, parait finalement dans une des revues médicales les plus en vues : le New England Journal of Medicine. Mais elle est étrangement commentée dans un éditorial signé... de consultants payés par Servier et le laboratoire américain qui commercialisent le Redux°. Dans les suites de ce scandale, le Pr Abenhaïm lance une nouvelle étude de surveillance de la fenfluramine. Les barbouzeries commencent. Son bureau est cambriolé et on lui vole un seul ordinateur : celui qui renferme les données de la quarantaine de premiers cas inclus dans son étude. Par la suite, des couronnes mortuaires sont déposées devant sa porte, et des inconnus le surveillent, se relayant dans une voiture, devant chez lui, pendant des semaines. On lui propose de fortes sommes d'argent...
En France, alors que la prescription de l'Isoméride° a été restreinte à certains spécialistes, le directeur de l'agence du médicament reçoit des appels téléphoniques menaçants.

La fin (provisoire ?) de la fenfluramine

En 1997, l'accumulation des cas d'atteinte cardiaque et pulmonaire dues à la fenfluramine aboutit à son retrait des marchés américain et français "à titre d'extrême précaution", déclare le laboratoire. Aux USA, 300 000 victimes du Redux° lancent une action collective en justice. Le laboratoire préfère lâcher 13 milliards de dollars pour les indemniser plutôt que de risquer un procès. Même chose au Canada. Par comparaison, en France, il faudra pratiquement 10 ans pour que les victimes reçoivent quelques centaines de milliers d'euros.

Retour comme anticonvulsivant chez les enfants

Mais attention : au début des années 2020, la fenfluramine a de nouveau été autorisée en Europe sous le nom de Fintepla°. Il s'agit de traiter certaines crises convulsives graves chez les enfants : les syndromes de Dravet et de Lennox-Gastaud. Le texte de l'autorisation de mise sur le marché ne mentionne nulle part qu'il s'agit d'une amphétamine et il la décrit uniquement comme un "anticonvulsivant". Quant aux risques cardiovasculaires, ils sont décrits de la manière suivante : "Des cas de cardiopathie valvulaire observés lors d’une utilisation de fenfluramine à des doses plus élevées dans le traitement de l’obésité chez l’adulte ont été rapportés. (...) Aucune cardiopathie valvulaire n’a été observée au cours de ces études [il s'agit des études sur le traitement des convulsions chez les enfants]". On ne peut pas faire plus rassurant...
Après l'Isoméride° et le Redux°, puis le Mediator°, on attend donc avec une certaine angoisse les effets de la commercialisation imprudente du Fintepla°.

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Lire aussi :
- "Isomères : de vrais-faux nouveaux médicaments"
- "Avant le Mediator° (1) : les amphétamines et la guerre"
- "Pros : Prescrire, octobre 2021, médicaments utiles et inutiles"

Sources :
- Giacometti E, Frachon I et Duprat F "Mediator, un crime chimiquement pur", bande dessinée, Delcourt 2023.
- Prescrire rédaction "Isoméride (dextrofenfluramine)" et "Anorexigènes et "comportement alimentaire" - À propos de "l'effet isoméride°" Prescrire 1986 ; 6 (53) : 2-3 et 14-16, "Battage médiatique" Prescrire 1990 ; 10 (98) : III, "Contre-battage médiatique" Prescrire 1990 ; 10 (101) : 494-495 et "Valvulopathies graves sous anorexigènes" Prescrire 1997 ; 17 (178) : 750-751.
- "Fenfluramine" In Brunton LL, Knollmann BC et coll. "Goodman and Gilman’s The Pharmacological Basis of Therapeutics, 14th Edition" McGrawHill, New York (USA), 2023, pages 146, 291-292 et 399.
- Meyer TE et coll. "Valvular heart disease induced by drugs" In : UpToDate, Post TW (Ed), UpToDate, Waltham, MA, USA. (Mise à jour en mai 2023).
- "Obesity (stimulants and anorectics)", "Fenfluramine" et "Dexfenfluramine" In Martindale: The Complete Drug Reference. (Mis à jour le 19 juin 2023).
- "Dexfenfluramine" mis à jour le 15 mai 2023, Wikipédia, l’encyclopédie libre.
Agence européenne du médicament "Fintepla 2,2 mg/mL, solution buvable, Résumé des caractéristiques du produit", 49 pages.

Crédits photo :
- Image 01 : "Spiral tribe" par New illuminati sur Flickr
- Image 02 : "Seized dietary supplements (FDA 088)" par la U.S. Food and Drug Administration sur Flickr

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Avant le Mediator° (2) : la sombre histoire de l'Isoméride°" ; 27 Juil 2023 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-medicaments/avant-le-mediator-2-la-sombre-histoire-de-lisomeride/)
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