Chaque mois, la revue indépendante Prescrire passe en revue les médicaments nouvellement commercialisés, ainsi que les nouvelles indications de médicaments déjà sur le marché. Elle en discute les mérites et démérites, par comparaison avec les autres traitements disponibles. Voici les médicaments qu'elle a examinés dans son numéro d'août 2023.
POUR LES PROS :
L'article qui suit est complexe, et traite de maladies relativement rares. Il intéressera surtout les professionnels de santé, ainsi que les personnes atteintes par ces maladies et leurs proches.
En France comme dans de nombreux autres pays, pour commercialiser un médicament, il faut démontrer qu'il est plus efficace qu'un placebo (a). Ses bénéfices potentiels doivent aussi sembler supérieurs à ses effets indésirables.
La rédaction Prescrire compare les effets cliniques des médicaments à ceux des autres traitements disponibles et les classe en 6 catégories, en fonction de leur utilité. Voici les évaluations Prescrire des nouveaux médicaments dans le numéro d'août 2023 (réf. 1). Les médicaments sont nommés par leur dénomination commune internationale, autrement dit, par le nom que leur donne l'OMS (sans majuscule, en italiques). Le nom de marque est éventuellement indiqué entre parenthèses et marqué d'une majuscule et du signe °. Lire à ce sujet l'article "Le véritable nom des médicaments".
Bravo : Aucun - progrès thérapeutique majeur dans un domaine où nous étions démunis
Rien en août 2023
Intéressant : Aucun - progrès thérapeutique important, mais avec certaines limites
Rien en août 2023
Apporte quelque chose : Aucun - apport limité
Rien en août 2023
Éventuellement utile : 2 - intérêt thérapeutique supplémentaire minime
- évinacumab(Evkeeza°) dans les hypercholestérolémies familiales homozygotes. Cette maladie génétique rare entraîne un risque élevé de complications cardiovasculaires graves dès l'enfance. Aucun traitement n'a d'effet démontré sur la durée de vie. L'évinacumab est un anticorps qui diminue la production de LDL (de moitié environ), mais dont les effets à long terme ne sont pas connus.
- trastuzumab déruxtécan(Enhertu°) dans certains cancers du sein. Dans les cancers du sein avec faible surexpression HER-2 métastasés et en rechute, un essai non aveugle suggère une prolongation de la durée de vie d'environ 6 mois, au prix d'une toxicité importante (insuffisances cardiaques, pneumonies, etc.). Dans les cancers du sein HER-2 positifs métastasés, après un premier médicament anti-HER-2, ce médicament semble diminuer la mortalité un peu plus que le trastuzumab emtaseine (28% au lieu de 37% au bout de 2 ans). Mais il est plus toxique.
N'apporte rien de nouveau : 4 - substance sans plus d'intérêt clinique que les autres substances déjà disponibles
- extrait sec de racine de gentiane, de fleur de primevère, d'oseille crépue, de fleur de sureau et de verveine (Sinuphyl°) dans la rhinosinusite virale simple. Dans cette maladie qui guérit sans traitement, ce médicament en comprimés diminue un tout petit peu les symptômes au bout de 14 jours, au prix d'un risque de troubles digestifs, d'allergies et de sensations de vertiges.
- nifédipine + lidocaïne (Nifexine°) en crème dans la fissure anale. C'est une fente superficielle de l'anus qui provoque des douleurs intenses et prolongées au passage des selles. Elle qui dure parfois des semaines. La lidocaïne est un anesthésique local qui soulage la douleur. L'intérêt de lui ajouter de la nifédipine n'est pas démontré, alors qu'elle peut provoquer des effets indésirables. Restons-en à la lidocaïne seule et si besoin, à la chirurgie ou aux injections de toxine botulique.
- remdésivir (Veklury°) dans le covid-19 des enfants. Dans un essai chez des enfants non vaccinés atteints de covid ne nécessitant pas d'oxygène, mais à risque d'évolution grave (diabète, obésité, hypertension, maladie pulmonaire, immunodépression), le remdésivir a diminué le risque d'hospitalisation. Ces conclusions ne sont peut-être pas valables chez des enfants vaccinés, ou avec les variants actuels. Chez les enfants sous oxygène, un seul essai non comparatif sur moins de 40 enfants ne permet pas de conclure.
- toxine botulique de type A (Dysport°) en première ligne dans l'incontinence urinaire due à une maladie neurologique. Certaines maladies (sclérose en plaques, lésion de la moelle épinière, etc.) provoquent des contractions de la vessie qui entraînent des fuites urinaires. On peut passer par les voies naturelles pour aller jusque dans la vessie injecter la toxine botulique lorsque les médicaments habituels ne sont pas assez efficaces. Mais elle a aussi été autorisée en première ligne, à la place de ces traitements, sans aucune étude comparative : impossible de parler de progrès démontré.
Pas d'accord : 1 - aucun avantage évident, mais des inconvénients possibles ou certains
- upadacitinib (Rinvoq°) dans la rectocolite hémorragique. En cas d'effet insuffisant des dérivés de la cortisone et des immunosuppresseurs classiques, les immunodépresseurs dits inhibiteurs de Janus kinase ont des effets incertains et font courir des risques élevés. Comme les autres anti-Janus, l'upadacitinib n'a été évalué que contre des placebos. Il expose à des effets indésirables trop graves pour qu'on en prenne le risque sans preuve d'une efficacité supérieure aux autres traitements.
La rédaction ne peut se prononcer : 2
- burosumab (Crysvita°) dans l'ostéomalacie oncogénique. Certains cancers rares provoquent une déminéralisation osseuse (ostéomalacie) avec des fractures et des déformations squelettiques. Un essai non comparatif sur 27 patients semble montrer une amélioration mais ne permet pas un jugement. À suivre...
- pembrolizumab (Keytruda°) dans certains mélanomes. Dans un essai, il a diminué le risque de récidive, mais pas la mortalité, au prix d'effets indésirables graves. Attendons d'en savoir plus.
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Mauvaises nouvelles : 1
- Attention à la biotine en cas d'analyses sanguines. La biotine est la vitamine B8 ou vitamine H. Les carences en biotine sont exceptionnelles. Des médicaments à base de biotine sont utilisés dans les chutes de cheveux ou en cas d'alimentation artificielle. De nombreux compléments alimentaires qui prétendent traiter les cheveux ou les ongles en contiennent des doses parfois très élevées. La biotine peut perturber les résultats des analyses sanguines des hormones thyroïdiennes, mais aussi de l'inflammation, des maladies cardiovasculaires, des causes d'anémie, etc. En clair, pour avoir des analyses fiables, mieux vaut ne pas avaler de biotine à forte dose.
Bonnes nouvelles : 1
- Lidocaïne + prilocaïne en solution (Fortacin°) dans l'éjaculation précoce : sans ordonnance. Cette solution doit être pulvérisée sur l'extrémité du pénis pour ralentir l'éjaculation et améliorer les vie sexuelle des couples avec éjaculation jugée trop précoce. Elle n'est pas remboursable par l'assurance maladie française et auparavant, elle ne pouvait être obtenue que sur ordonnance. Elle est maintenant disponible sans ordonnance. Attention cependant : elle n'est pas compatible avec tous les préservatifs, et elle peut provoquer des irritations ou des allergies chez l'utilisateur ou chez ses partenaires.
Je recommande à tous les professionnels de santé de ne pas se contenter des informations limitées de ce blog et d’aller lire les arguments détaillés à la source.
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a- Un placebo est "une substance sans principe actif (= sans effet pharmacologique) mais dont la prise peut avoir un effet psychologique bénéfique pour le patient" ou encore (autre définition) "une préparation dépourvue de tout principe actif, utilisée à la place d'un médicament pour son effet psychologique, dit effet placebo" (réf. 2). À noter qu'un placebo ou un médicament peut aussi avoir des effets négatifs, et provoquer des effets indésirables : c'est l'effet nocebo.
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Lire aussi :
- Les objectifs des traitements et des diagnostics
- Traitements : les essais comparatifs sont indispensables
- Des médicaments à ne pas utiliser : 2023
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Sources
1- Prescrire Rédaction “Rubrique : Le rayon des nouveautés" Rev Prescrire 2023 ; 43 (478) : 564-582.
2- Prescrire Rédaction “Essais cliniques versus placebo : divers types de placebos, dits purs, impurs voire faux placebos" Rev Prescrire 2020 ; 40 (442) : 621-624.
Crédits photo :
- Image n°1 : "Pharmacy medication shop market stall Yangon" par Insights Unspoken sur Flickr (recadré)
- Image n°2 : "Woman with problematic hair. Female hair loss" par Marco Verch Professionnal Soul sur Flickr (recadré)