Lutter contre les cascades médicamenteuses

Par le 13 octobre 2023, actualisé le 13 Oct 23.

Lorsqu'un médicament provoque un effet indésirable, le bon réflexe, c'est d'essayer de l'arrêter ou de le remplacer, ce qui est le plus souvent possible. Utiliser un deuxième médicament pour traiter l'effet indésirable du premier est souvent peu efficace. Et conduit à augmenter considérablement les risques d'effets indésirables.

Cascade intentionnelle et cascade involontaire

Il arrive que le médecin prescrive volontairement un médicament pour corriger l'effet indésirable d'un autre médicament. Par exemple, les médicaments neuroleptiques peuvent provoquer des tremblements qui imitent les troubles de la maladie de Parkinson. Dans ce cas, les psychiatres prescrivent souvent un médicament antiparkinsonien "correcteur". C'est parfois une bonne idée, mais dans certains cas, il vaudrait mieux diminuer la dose de neuroleptique

Mais il arrive aussi qu'un médecin ne fasse pas le lien entre le premier médicament et l'effet indésirable. Il pense alors qu'il s'agit d'une nouvelle maladie, et au lieu d'essayer de diminuer ou d'arrêter le médicament responsable, il prescrit "involontairement" une cascade médicamenteuse. Par exemple, certains médicaments destinés à faire baisser la pression artérielle (des anti-hypertenseurs), de la famille des inhibiteurs calciques provoquent souvent un gonflement (œdème) des jambes. Et on a démontré que les patients qui prennent ses médicaments reçoivent souvent des diurétiques (médicaments qui font uriner plus) pour traiter ces œdèmes. Pourtant, les anti-hypertenseurs sont nombreux, et il est généralement possible d'en utiliser un autre. Mais beaucoup de médecins ne font pas le lien entre l'anti-hypertenseur et l’œdème des jambes.

Certaines cascades médicamenteuses sont utiles

Les dérivés de l'opium, utilisés pour traiter la douleur ou pour traiter certaines toxicomanies, provoquent souvent une constipation. C'est une bonne idée de la traiter par des laxatifs qui hydratent les selles et les rendent plus molles et plus volumineuses.
Certains médicaments "fluidifiants du sang" (antiplaquettaires) augmentent le risque de saignement de l'estomac. Des médicaments inhibiteurs de la pompe à proton (IPP) diminuent ce risque. Chez les personnes à haut risque (qui ont déjà saigné, qui fument ou qui boivent des quantités importantes d'alcool) prendre ces médicaments est une bonne idée (sauf si le médicament antiplaquettaire est le clopidogrel, car dans ce cas l'IPP augmente le risque de mourir).
Mais les "bonnes cascades médicamenteuses" sont très probablement une minorité.

Ordonnance à dresser les cheveux sur la tête...
Bien entendu, plus les médicaments prescrits sont nombreux,
et plus le risque de cascade médicamenteuse involontaire est grand.

Cascades de cascades

La gabapentine est un médicament anti-épileptique, qui est aussi utilisé pour lutter contre certaines douleurs dites "neuropathiques" (dues à une maladie ou des lésions des nerfs qui conduisent la douleur). Elle provoque parfois des troubles du rythme cardiaque (une fibrillation auriculaire) qu'il est généralement nécessaire de traiter (par exemple avec un médicament bêta-bloquant et/ou un anti-plaquettaire).

On voit bien que les cascades peuvent s'enchaîner, par exemple gabapentine > fibrillation auriculaire traitée (notamment) par anti-plaquettaire chez un gros fumeur > inhibiteur de la pompe à proton (IPP) (pour éviter un saignement digestif). Les inhibiteurs de la pompe à proton peuvent eux-même diminuer l'absorption du calcium et provoquer une fragilisation des os... qu'on peut traiter par d'autres médicaments.

Cascades problématiques

Certaines cascades posent problème parce qu'il aurait été possible de diminuer, d'arrêter ou de changer le médicament à l'origine de l'effet indésirable. Ou parce que le médicament ajouté au traitement est peu efficace ou fait courir des risques importants.

Par exemple, les médicaments anti-inflammatoires (AINS) peuvent faire monter la pression artérielle ("tension"). Il vaut généralement mieux diminuer les AINS ou les remplacer par d'autres antidouleurs plutôt que d'ajouter un traitement anti-hypertenseur.

Les tranquillisants et les somnifères de la grande famille des benzodiazépines, et d'autres médicaments psychotropes (antidépresseurs, neuroleptiques...) provoquent des confusions mentales et des troubles de la mémoire, surtout chez les personnes âgées. Ajouter un traitement "anti-Alzheimer" est inefficace et... ne change rien au risque de chute (également augmenté par ces médicaments).

Les médicaments diurétiques (qui font uriner), souvent utilisés pour traiter l'hypertension artérielle, peuvent provoquer ou aggraver une incontinence urinaire (des fuites d'urines). Il vaut généralement mieux diminuer ou changer le traitement plutôt que d'ajouter un médicament contre l'incontinence urinaire (avec une efficacité médiocre).

Le rôle des patients est essentiel

Pour lutter contre les cascades médicamenteuses, il faut d'abord détecter les effets indésirables des médicaments. Les patients peuvent souvent repérer les troubles qui sont survenus dans les jours ou les semaines qui ont suivi l'introduction d'un nouveau médicament. Ils sont même les mieux placés pour le faire ! Il est important qu'ils signalent à leur médecin les "coïncidences" qu'ils ont observées, que les médecins ne remarquent pas toujours (moi le premier). Et il est important que les médecins les écoutent !

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Lire aussi :
- "Les objectifs des traitements et des diagnostics"
- "La médecine rationnelle ou EBM"
- "Recommandations médicales : choisir les meilleures"
- "Des médicaments à ne pas prescrire : 2023"

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Sources :
- Prescrire Rédaction “Cascades médicamenteuses, les reconnaître et les désamorcer" Rev Prescrire 2023 ; 43(479) : 671-672.
- Dreischulte T, Shahid F et coll. "Prescribing Cascades: How to Detect Them, Prevent Them, and Use Them Appropriately" Deutsches Arzteblatt Int 2022 ; 119 (44) : 745–752.
- Sternberg SA et coll. "Cascade médicamenteuse chez la personne âgée" CMAJ 2021 February 8 ; 193 : E215.
- Mallet L "La cascade médicamenteuse : comment la prévenir, la détecter et résoudre les problèmes qu’elle engendre" Pharmactuel 2016 ; 49 (2) : 136-139.

Crédits photo :
- Image 01 : "Cascade du hérisson" par Werner Willemsen sur Flickr (recadré)
- Image 02 : "Ordonnance" Cliché privé, reproduction interdite (recadré)

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Lutter contre les cascades médicamenteuses" ; 13 Oct 2023 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-actualites/lutter-contre-les-cascades-medicamenteuses/)
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