Le scandale du distilbène (ou DES)

Par le 10 septembre 2024, actualisé le 10 Sep 24.

Alors que les essais ne montraient pas d’efficacité et que des effets indésirables de plus en plus graves apparaissaient, le distilbène (ou DES) a continué d’être commercialisé et prescrit en France pendant 20 ans de plus qu’aux USA. Résultat : des femmes atteintes d’effets indésirables graves, ainsi que leurs enfants et leurs petits-enfants.

Un médicament au succès mondial

Le distilbène ou DES (pour di-éthyl stilbestrol) est une hormone de synthèse (fabriquée artificiellement) de la famille des estrogènes. Inventée en 1938, il a d’abord été utilisé au Royaume Uni puis aux USA, et en France à partir de 1948, dans le but d’éviter les fausses couches et certaines complications de la grossesse.
De nombreuses firmes pharmaceutiques la commercialisent, car elle n’est pas protégée par brevet et son coût de production est faible.
En 1953 paraît un premier essai de bonne qualité. Il compare 840 femmes enceintes traitées par distilbène à 800 femmes non traitées : le médicament ne montre aucune efficacité. Les prescriptions chutent aux USA mais… les ventes se développent en France.

Des prescriptions fondées sur de fausses hypothèses

Peu après la seconde guerre mondiale, les médecins croient que les fausses couches (ou avortements spontanés) sont dus à un manque d’hormones estrogènes pendant la grossesse. Le DES, puissante hormone, les corrigerait. Des essais soutiennent alors cette idée mais… ce sont des essais de qualité médiocre : ils ne comparent pas le DES à l’absence de traitement ou à un traitement placebo (sans effet sur le corps humain) après tirage au sort.
Comme souvent en médecine, ce sont de nouvelles données qui ont montré d’où venait l’erreur. En 1953 paraît un premier essai de bonne qualité. Il compare 840 femmes enceintes traitées par distilbène à 800 femmes non traitées : le médicament ne montre aucune efficacité. Plus tard, on comprendra qu’en réalité, la diminution des estrogènes n’est pas la cause des fausses couches, mais leur conséquence.

Le DES provoque des cancers

Au moment de leur commercialisation, on sait déjà depuis au moins vingt ans que les hormones estrogènes provoquent des effets indésirables graves, en particulier des cancers. C’est même pour cette raison que l’agence du médicament des USA a retardé la commercialisation du DES, qui est un estrogène particulièrement puissant. Retardé, mais pas arrêté.
À partir de 1953, on ne peut plus affirmer que le médicament est efficace, et à partir de 1971, on a la preuve qu’il provoque des effets indésirables graves. Des cancers du vagin surviennent chez les filles de femmes qui ont été traitées par DES pendant leur grossesse. Aux USA, le retentissement est énorme. L’agence du médicament américaine interdit rapidement l’utilisation du DES chez les femmes enceintes. Et des études de surveillance des femmes ayant pris du DES sont organisées.

Sur la courbe, l'utilisation du DES aux USA est approchée par le nombre de comprimés vendus par an (en millions), tandis que l'utilisation en France est approchée par le nombre de femmes enceintes traitées par an (en milliers). Même si les unités sont différentes, on voit bien que les prescriptions en France ont augmenté alors qu'elles diminuaient aux USA, et qu'elles se sont éteintes avec environ 20 ans de retard.

Un véritable scandale sanitaire en France

En France, la catastrophe du DES passe étrangement inaperçue. L’agence du médicament semble ignorer le problème. Et les médecins continuent de prescrire du DES dans une multitude de situations : pour atténuer les symptômes de la ménopause, pour bloquer la lactation, comme « pilule du lendemain », en traitement des troubles des règles, et surtout pour limiter certains risques de complications de grossesse comme les accouchements prématurés ou fausses couches.
En 1972, une gynécologue française prend cependant le soin d’avertir ses patientes et découvre que leurs filles présentent parfois des cellules à haut risque de transformation vers un cancer. Elle propose alors d’informer systématiquement les femmes ayant pris du DES, mais on lui répond qu’il vaut mieux « ne pas affoler » des centaines de milliers de femmes.
Il faut attendre six ans (1977) pour que le DES soit officiellement interdit aux femmes enceintes. Mais les médecins ne sont « informés » que par une discrète ligne ajoutée à la notice du DES dans le dictionnaire Vidal des médicaments. La première étude française sur les conséquences du DES commence seulement en 1982.

Une cascade d’effets indésirables, de génération en génération

Les effets indésirables du DES touchent plusieurs générations. Les femmes qui ont reçu du DES ont un risque augmenté de cancer du sein (+35%).
Les filles dont la mère a reçu du DES pendant la grossesse ont un risque de malformation de l’utérus, de baisse de la fertilité, de complications de la grossesse, de lésions précancéreuses et de cancers du col de l’utérus et du vagin. Mais aussi d’infarctus du myocarde et de troubles psychiques (dépression, troubles du comportement alimentaire).
Les garçons dont la mère a reçu du DES pendant la grossesse ont un risque d’anomalies des organes génitaux : testicule non descendu, kyste de l’épididyme, orifice urinaire mal placé sous le pénis, atrophie testiculaire, cancer du testicule. Et aussi de troubles psychiques (dépression, troubles du comportement alimentaire).
Troisième génération. Les femmes ont une augmentation des troubles des règles, des grossesse extra-utérines, des fausses couches et des accouchements prématurés, mais moins que leurs mères. On trouve aussi des orifices urinaires mal placés (chez les garçons), des rétrécissements de l’œsophage, des troubles moteurs, et peut-être (à confirmer et à évaluer) des malformations cardiaques et des déficits de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).
Je recommande aux patient(e)s et aux praticiens concerné(e)s de télécharger et de lire la brochure du réseau distilbène : "Distilbène (DES) Trois générations – Guide pratique pour les professionnels de santé et les « familles DES »"

Une leçon générale

La terrible histoire du DES nous donne une leçon générale. Mieux vaut éviter les médicaments dont l’efficacité n’a pas été démontrée par des essais avec tirage au sort l’ayant comparé au minimum à un placebo, et de préférence au meilleur traitement disponible, afin de savoir s’il est plus efficace qu’eux. Les effets indésirables ne sont souvent découverts qu’après des années, voire des dizaines d’années. Lorsqu’ils sont observés, les agences du médicament mettent parfois très longtemps à retirer des médicaments dangereux du marché.
Dans l’intervalle, c’est aux prescripteurs et aux patients à être prudents, en se fondant sur les avis de revues ou de scientifiques indépendants et rigoureux.

Lire aussi :   
– "Traitements : les essais comparatifs sont indispensables"  
– "Comparer les médicaments : pas n’importe comment !"  
– "Recommandations médicales : choisir les meilleures"  
– "La médecine rationnelle ou EBM"

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Sources :
- Réseau D.E.S. France "Distilbène (DES) Trois générations – Guide pratique pour les professionnels de santé et les « familles DES »" Mise à jour février 2024, 38 pages.
- "Diéthylstilbestrol" Wikipedia, l’encyclopédie libre, mis à jour le 08 juillet 2024, 41 pages.
– Batias C "Sûreté des médicaments : les conséquences durables du scandale du diéthylstilbestrol" The Conversation, 27 janvier 2022, 7 pages.
- Fillion E, Torny D "Le Distilbène en France: un scandale au long cours" La Recherche 2013 (476) : 50-54.
- Fillion E, Torny D "Un précédent manqué : le Distilbène® et les perturbateurs endocriniens. Contribution à une sociologie de l’ignorance" Sciences sociales et santé2016 ; 34 (3) : 47-75. doi: 10.1684/sss.20160303.
- Dr Escoffier-Lambiotte "Trente ans après... les enfants du distilbène" Le Monde, 16 février 1983.

Crédits photo :
- Image n°1 : "Diethylstilbestrol by Lilly" par DES Daughter sur Flickr (recadré)
- Image n°2 : "Ventes de DES en France et aux USA" par Jean Doubovetzky, d’après DES Daughter.

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Le scandale du distilbène (ou DES)" ; 10 Sep 2024 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-actualites/le-scandale-du-distilbene-ou-des/)
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