Recommandations médicales : choisir les meilleures

Par le 14 mars 2023, actualisé le 14 Mar 23.

Chaque année, des centaines de recommandations sont publiées pour dire "ce qu'il faut faire" dans le domaine de la santé. Impossible de les lire toutes, et de toutes les appliquer. D'autant plus qu'elles se contredisent.
Comment trier les recommandations pour choisir les plus utiles et les meilleures ? Cette question intéresse autant les patients que les professionnels de santé.

Sur ce blog anti-Dr Knock, vous avez peut-être remarqué que je vous propose parfois de ne pas suivre certaines recommandations. Par exemple, sauf dans de rares exceptions, je propose de ne pas doser la vitamine D chez les enfants et les adultes en bonne santé et de ne pas utiliser d'antibiotique pour soigner les angines. Je propose aussi de ne pas donner de lait artificiel aux nourrissons allaités, contrairement à ce que recommande la société française d'allergologie.

À l'inverse, je vous propose souvent de suivre les recommandations de la rédaction Prescrire - en particulier ses recommandations d'utiliser ou de ne pas utiliser des médicaments qui ont pourtant tous été approuvés par l'agence du médicament française ou européenne.
Ces propositions (suivre ou ne pas suivre telle ou telle recommandation), je ne les fais pas par hasard. Au contraire, elles découlent d'une démarche rigoureuse qui permet de trier les recommandations qui sont ou qui ne sont pas fiables.

Qu'est-ce qu'une recommandation de bonne qualité

Plusieurs critères permettent de déterminer la fiabilité et plus généralement la qualité d'une recommandation médicale. Ils ont été formalisés dans une grille d'évaluation adoptée au niveau international au début des années 2000 : la grille AGREE.
Ces critères concernent :

  • La définition des objectifs. On doit savoir pour qui et pourquoi les recommandations ont été élaborées. Et à quelle population elles s'appliquent.

  • L'indépendance de la rédaction. Le commanditaire des recommandations (société savante, organisme public, etc.) ne doit pas avoir influencé les recommandations. Les éventuels liens d'intérêt de tous ceux qui ont participé à l'élaboration des recommandations doivent être connus et publiés. Se méfier des liens d'intérêt avec les industriels du médicament, de l'alimentation ou de l'imagerie médicale (par exemple), mais aussi avec des groupes de pression professionnels (médecins ou autres professions de santé, hôpitaux, cliniques…)
    L'absence totale de liens d'intérêts est évidemment préférable !

  • La diversité du groupe de travail. Tous les professionnels concernés doivent avoir été représentés. En incluant des professions "transversales" comme des pharmacologues ou des méthodologistes. Les opinions et préférences des patients ou du public doivent avoir été identifiés et pris en compte. C'est encore mieux si des représentants des patients sont inclus.
    Par exemple, pour une recommandation concernant la contraception par pilule, on devrait trouver : des gynécologues, des sages-femmes, des généralistes, des personnes travaillant dans des services de type "planning familial" et s'occupant de contraception et d'interruption de grossesse, des pharmacologues, des méthodologistes des essais cliniques, des endocrinologues (spécialistes des glandes endocrines) et des représentantes des patientes. Et peut-être des psychologues et des sociologues.
    Lorsqu'un seul groupe professionnel est représenté (par exemple les cardiologues pour une recommandation sur un problème cardiaque), les effets indésirables sont souvent sous-évalués, ou même complètement oubliés. En effet, généralement, les effets indésirables sont souvent observés par d'autres professions : par exemple les généralistes ou les spécialistes du cerveau ou des reins.

  • La qualité de la méthode. C'est un vrai travail ! Il faut une bonne recherche documentaire, une bonne méthode de tri des documents (pertinents ou non, rigoureux ou non), une discussion scientifique prenant en compte les forces et les limites des divers éléments de preuve, la prise en compte des bénéfices potentiels et des risques de toutes les options possibles (y compris l'absence de traitement), un lien clair entre les données et les recommandations qui en découlent, des procédures de relecture et de contrôle

  • Des recommandations claires et … faisables. Le texte final doit être clair et précis, sans ambiguïté. Les points importants doivent être mis en valeur. Il doit être daté et c'est mieux si une mise à jour est prévue. Enfin, il faut s'assurer que les recommandations sont applicables en pratique.
    Par exemple, une recommandation qui exigerait que les médecins généralistes fassent un "examen complet" de tous leurs patients ne servirait à rien : concrètement, c'est tout simplement impossible.
La rédaction de recommandations médicales est un travail long et minutieux,
qui demande la collaboration de rédacteurs expérimentés
avec de nombreux professionnels de santé et non professionnels de santé
(en particulier documentalistes, patients, etc.)

Une démarche internationale

Des recherches sur "les meilleures recommandations médicales possibles" ont commencé dans de nombreux pays (USA, Québec, Pays-Bas, Suède, Danemark) à partir des années 1970. En France, l'Agence nationale pour le développement de l'évaluation médicale (ANDEM) a été créée à la fin des années 1980. C'est l'ancêtre de la Haute autorité de santé (HAS) actuelle.
Une concertation internationale a abouti en 2003 à une première grille d'évaluation des recommandations : la première Grille AGREE. Elle a été mise à jour en 2009 (voir en annexe). Elle permet d'évaluer de manière précise et rigoureuse la qualité de recommandations médicales.

Les recommandations françaises ne sont pas toujours les meilleures

D'après ce que me disent les étudiants en médecine en stage au cabinet, on leur apprend parfois à "suivre les recommandations" de la Haute autorité de santé (HAS) française, comme d'une sorte d'autorité suprême. Mais ces recommandations ne sont pas toutes de bonne qualité. Certaines recommandations de la HAS ont même été retirées en raison de gros défauts, comme des conflits d'intérêts.
Des recommandations étasuniennes, canadiennes, anglaises, belges, norvégiennes ou suédoises sont parfois plus intéressantes. La revue Prescrire publie régulièrement des évaluations des textes de la HAS. C'est un bon moyen de permettre aux professionnels de santé (et aux patients) d'économiser leur temps pour se concentrer sur les recommandations les plus utiles.
Quant à ce blog, il s'efforce de s'appuyer autant que possible sur des recommandations de bonne qualité, et le tri est sévère !


Lire aussi :
- La médecine rationnelle ou EBM
- La charte "non merci" de Prescrire
- Les objectifs des traitements et des diagnostics
- Traitements : les essais comparatifs sont indispensables

- Vitamine D : un dosage généralement inutile
- Mal de gorge et angines : les médicaments à éviter
- Le Dr Knock allergologue et l'allaitement maternel


À visiter :
- "Non merci" (aux influences et aux conflits d'intérêt) par la rédaction Prescrire
- Formindep, l'indépendance au service de la santé
- Site internet AGREE "Advancing the science of practice guidelines"


Annexe : la grille AGREE


Sources :
- Chabannes-Gurvil C "Andem/Anaes - Fonds de l'évaluation médicale (1987-2000), Répertoire numérique détaillé" cotation MAN HAS/2006/002/1-15, HAS 2005, 46 pages.
- Site internet AGREE "Advancing the science of practice guidelines" www.agreetrust.org/ visité pour la dernière fois le 14 mars 2023.
- Brouwers MC et coll. "AGREE II: advancing guideline development, reporting and evaluation in health care" CMAJ 2010 ; 182 (18) : E839-E842.
- Brouwers MC et coll. "The AGREE Reporting Checklist: a tool to improve reporting of clinical practice guidelines" BMJ 2016 ; 352 : i1152. Doi: 10.1136/bmj.i1152
- Prescrire rédaction "Recommandations pour la pratique clinique : viser la qualité", "Reconnaître les guides de qualité", "Quelques points clé pour une lecture critique efficace", "Trop de guides peu fiables", "Lecture critique des Guides de pratique clinique" et "Évaluer le progrès thérapeutique, avec méthode, au service des patients" Rev Prescrire 1994 ; 14 (141) : 360-362, 2008 ; 28 (298) : 589, 2008 ; 28 (298) : 589-591, 2013 ; 33 (353) : 215, 2015 ; 35 (376) : 155 et 2015 ; 35 (382) : 565-569.
- Prescrire rédaction "Trier les publications de la HAS pour se concentrer sur les guides de qualité", "Trier les publications de la HAS pour se concentrer sur les guides de qualité (suite)", "Force normative des recommandations : un concept à géométrie variable", "Affections de longue durée (ALD) : des guides HAS de qualité insuffisante", "Guides de pratique clinique : attention aux malfaçons", "Un cas d'école, la "décision Formindep"" et "Trier et savoir jeter : 10 ans l'analyse de guides de la HAS" Rev Prescrire 2007 ; 27 (283) : 388, 2007 ; 27 (284) : 468, 2008 ; 28 (299) : 689-692, 2011 ; 31 (338) : 943-947 et 2012 32 (339) : 63, 2017 37 (409) : 859 et 2018 38 (411) : 71.

Crédit photo :
n°1 - "Cocaine Toothache Drops" par Images from the History of Medicine (IHM) sur Flickr (recadrée)
n°2 - "Moine écrivant" par cm1mermoz sur Flickr (recadrée, sepia)


Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Recommandations médicales : choisir les meilleures" ; 14 Mar 2023 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-actualites/recommandations-medicales-choisir-les-meilleures/)
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