Biais et erreurs de raisonnement : l’effet tunnel

Par le 10 novembre 2024, actualisé le 10 Nov 24.

Dans le domaine de la santé, l’effet tunnel est un biais cognitif, c’est-à-dire un schéma de pensée trompeur. C’est une focalisation de la pensée sur un ou quelques éléments, qui empêche de tenir compte d’autres éléments importants, ce qui conduit à une erreur d’appréciation et éventuellement à une mauvaise prise de décision (a).

Un biais cognitif bien décrit

Les biais cognitifs sont une des causes des erreurs médicales. Parmi eux, l’effet tunnel est le fait de rester concentré sur un diagnostic ou un traitement et de poursuivre dans une direction en négligeant des éléments qui devraient faire douter et remettre en question les décisions prises.

Un exemple en chirurgie

Des auteurs de la Haute autorité de santé rapportent le cas suivant : au cours de la pandémie de covid, une femme ayant été opérée de l’épaule deux mois auparavant est hospitalisée pour fièvre, douleurs, difficultés respiratoires et troubles cognitifs. Obnubilés par la pandémie, les médecins la traitent pour infection pulmonaire, malgré des examens non concluants. Et ils négligent la cause réelle des troubles : le développement d’une infection de l’épaule.
Il s’agit bien d’un effet tunnel : l’antécédent d’opération de l’épaule, les douleurs et les examens pulmonaires normaux auraient dû faire douter du diagnostic d’infection pulmonaire.

L’effet tunnel est fréquent

Dans deux enquêtes menées en France en 2020 et 2021, sur 100 chirurgiens et anesthésistes, 60 à 80 ont déclaré avoir été eux-mêmes victimes d’un effet tunnel ou en avoir observé un. Les conséquences en étaient des erreurs au bloc opératoire : erreur de côté d’intervention, complications chirurgicales, infections, etc.
Selon certaines études américaines, sur 100 patients, 5 seraient confrontés à une erreur diagnostique au cours de leur vie. Et à l’hôpital, les erreurs diagnostiques contribueraient à la moitié des effets indésirables conduisant à une escalade thérapeutique. Or beaucoup de ces erreurs sont dues à l’effet tunnel.

L’effet tunnel enferme la réflexion en focalisant l’attention
sur un seul aspect des choses, ou un seul but.
Par exemple, on pense au but de guérir la maladie en oubliant le but d’éviter les effets indésirables graves. Ou on se focalise sur les éléments en faveur d’un diagnostic, en oubliant ceux qui suggèrent un autre diagnostic.
Ou bien on n'envisage que les bénéfices ou
que les risques d’une décision médicale.

Certains facteurs augmentent le risque d’effet tunnel

Selon les enquêtes menées, divers éléments favorisent l’effet tunnel : l’inexpérience, le manque de concentration, une charge de travail élevée, la fatigue, une trop grande confiance en soi, des conflits au sein de l’équipe, des facteurs perturbants comme de mauvaises nouvelles personnelles...
Souvent, l’effet tunnel s’arrête sous l’effet d’un regard extérieur, par exemple l’avis d’un autre soignant. C’est un des intérêts du travail de groupe entre soignants.

L’effet tunnel touche les médecins et… les patients

L’effet tunnel touche évidemment les médecins en dehors de l’hôpital. Et aussi les patients. Dans mon expérience personnelle, certains effets tunnel sont particulièrement fréquents. Par exemple, le fait pour un médecin ou pour un patient de s’accrocher à un diagnostic, alors que l’évolution des symptômes suggère d’autres hypothèses.
Ou encore le fait de voir seulement le bon ou que le mauvais côté d’une thérapeutique, au lieu de peser le pour et le contre. Par exemple, certaines personnes sont si convaincues de l’importance de leur traitement somnifère qu’il est très difficile de les convaincre de le diminuer et de l’arrêter, malgré une efficacité réelle tout à fait discutable. Ou bien à l’inverse, d’autres sont si convaincus des risques des vaccinations qu’elles n’en voient plus les avantages. Et bien sûr, il y a les enthousiastes des dépistages, qui ont même du mal à croire qu’il existe des effets indésirables, bien que ceux-ci soient démontrés depuis plusieurs dizaines d’années.

Petits trucs pour lutter contre l’effet tunnel

- Se méfier des décisions prises à la hâte, en période de fatigue ou de stress, par exemple le vendredi soir à la fin d’une semaine de travail. Essayer de reporter les décisions non urgentes à un moment de calme - tout particulièrement les décisions irréversibles (comme de pratiquer une intervention chirurgicale).
- Se poser systématiquement la question de la balance entre les bénéfices et les risques, les bons et les mauvais côtés. Toujours se demander : y a-t-il un autre diagnostic ? Peut-on envisager de ne pas traiter ou de traiter autrement ? Quels sont les avantages et les inconvénients de telle ou telle décision ?
- Faire intervenir d’autres personnes dans la décision. Par exemple des collègues (pour les professionnels de santé) ou des amis, des membres de la famille (pour les patients). Et bien évidemment, un des meilleurs moyens de lutter contre l'effet tunnel est de partager la décision entre soignant et patient, après une information suffisamment complète et honnête.

-a Hors du domaine des biais cognitifs, l’effet tunnel peut aussi désigner, en physique, une propriété très particulière des objects quantiques (propriété que je n’ai pas comprise, d’ailleurs) ou, en gestion de projet, la situation d’un projet en retard par rapport à son plan de départ, pour des raisons de mauvaise communication. Dans le domaine des biais cognitifs, l’effet tunnel porte aussi le nom de « fascination par la cible » ou de ‘tunnellisation attentionnelle ».

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Sources :
Haute autorité de santé (HAS) "L’effet tunnel en santé : comment faire pour en voir le bout ?" 25 Mai 2023
– Morgand C et coll. "Analyse exploratoire des biais cognitifs dans les événements indésirables associés aux soins" Rev Épidemiol Santé Publique, 2022 ; 70 (Supp i) : S45.
– Raynal P "L’effet tunnel" Facteurs humains en santé / Les cahiers du facteur, décembre 2020.
– Bertaux A et coll. "L’effet tunnel en contexte d’épidémie" Rev Med Suisse 2020 ; 16 : 2392-6
– Raffet K et coll "Diagnostic errors" (mise à jour octobre 2024) In : UpToDate, Post TW (Ed), UpToDate, Waltham, MA, USA (sur abonnement).

Crédits photo :
- Image n°1 : "Tunnel" par F Sergei sur Flickr (recadré)
- Image n°2 : "Im Tunnel" par Schnitzel Bank sur Flickr (recadré)

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Biais et erreurs de raisonnement : l’effet tunnel" ; 10 Nov 2024 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-comprendre/biais-et-erreurs-de-raisonnement-leffet-tunnel/)
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