Les résultats des essais comparatifs randomisés sont controversés, et ne s'appliquent plus vraiment de nos jours. Les études d'observation (où l'on n'intervient pas) ne sont pas non plus concluantes.
Les essais comparatifs avec tirage au sort du dépistage par mammographie
Les essais comparatifs avec tirage au sort sont en principe les essais les plus démonstratifs. Ils ont comparé des populations à qui on proposait un dépistage du cancer du sein et des populations à qui on n’en proposait pas. Malheureusement, ces essais ont rencontré de nombreux problèmes, et certains experts en considèrent les résultats comme peu fiables.
Si on ne garde que les résultats des essais les mieux réalisés, il est impossible de démontrer que le dépistage diminue le nombre de femmes qui meurent de cancer du sein. On n’arrive à cette conclusion que si on accepte de tenir compte des résultats d’essais de qualité (et donc de fiabilité) médiocre. Lire à ce sujet "Octobre rose 2024 – épisode 1 : que conclure des essais comparatifs du dépistage du cancer du sein".
De plus, ces essais ont été réalisés dans les années 1960 à 1980. Depuis lors, beaucoup de choses ont changé. Certaines évolutions ont sans doute augmenté l’efficacité du dépistage, mais aussi ses effets indésirables. D’autres évolutions ont diminué son efficacité. Quel est le résultat global, bien malin qui pourrait le dire…
Des études d’observation pour réduire l’incertitude ?
Puisqu’il est impossible d’avoir des certitudes à partir des essais comparatifs avec tirage au sort, on a cherché à utiliser des études d’observation (encore appelées études épidémiologiques). Autrement dit, des études où on examine ce qui se passe sans intervenir.
On examine, et on compare. Par exemple, on compare une région où le dépistage n’a pas été mis en place avec une autre région où il l’a été. Ou bien, dans la même zone géographique, ce qui s’est passé avant et après la mise en place du dépistage. Ou encore les données des femmes qui ont accepté le dépistage et de celles qui l’ont refusé.
Par rapport aux essais comparatifs randomisés, ces études peuvent être mises en place plus vite et plus facilement, ce qui permet d’obtenir des données récentes. Elles sont aussi moins coûteuses et posent moins de problèmes éthiques. Mais elles sont plus difficiles à interpréter et elles sont moins fiables.
Des études difficiles à interpréter
Par exemple, une étude a fait grand bruit en 2023. Elle a étudié plus d’un demi-million de femmes atteintes d’un cancer du sein dit « invasif précoce » en Angleterre, entre 1993 et 2015. Elle a examiné la mortalité par cancer du sein au bout de 5 ans après le diagnostic. Cette mortalité a baissé au fil du temps, passant de 14,4% pour les femmes ayant été diagnostiquées entre 1993 et 1999 à 4,9 % pour les femmes ayant été diagnostiquées entre 2010 et 2015.
Certains commentateurs ont aussitôt attribué cette diminution à la pratique du dépistage. Mais cette conclusion était imprudente, et pour tout dire injustifiée. Les auteurs de l’étude eux-mêmes ont expliqué qu’on ne pouvait pas faire cette déduction. Pour deux raisons.
D’abord si une personne doit mourir en 2020 (par exemple) et si elle attend les symptômes pour être diagnostiquée en 2015, elle vit 5 ans après le diagnostic. Mais supposons qu’elle fasse un dépistage et qu’elle soit diagnostiquée en 2010. Si elle meurt à la même date en 2020, elle vit 10 ans après le diagnostic, ce qui donne l’impression fausse que sa vie a été prolongée. Il s’agit d’un biais connu depuis longtemps (a).
Ensuite, même si l'augmentation de la durée de vie après diagnostic correspond en partie à un allongement de la vie, diverses études montrent que cet allongement est surtout dû à une meilleure efficacité des traitements.
Les femmes dépistées meurent moins de cancer du sein
En 2024, une nouvelle étude d’observation fait douter encore plus de l’efficacité du dépistage du cancer du sein. Cette étude a combiné les données de toutes les études ayant étudié la mortalité des femmes dépistées et non dépistées. La mortalité, c’est-à-dire, soit la mortalité par cancer du sein (le nombre de femmes de chaque groupe décédées d’un cancer du sein), soit la mortalité toutes causes (le nombre de femmes de chaque groupe décédées, quelle qu’en soit la raison).
Le premier résultat est que les femmes qui se font dépister par mammographie meurent moins de cancer du sein que les femmes non dépistées (diminution d’environ 15 % de la mortalité par cancer du sein). Ce résultat est assez banal. Il conduit de nombreux commentateurs à conclure (imprudemment) que les mammographies permettent un allongement de la vie.
Mais elles meurent moins de cancers d’autres origines, de maladie cardiaque et d’attaque cérébrale
Ce second résultat jette le trouble. En effet, les femmes qui se font dépister ont une diminution d’environ 15 % de la mortalité totale. Autrement dit, la pratique de la mammographie est liée à une diminution des morts par cancers d’autres origines que le sein, par maladie cardiaque et par accident vasculaire cérébral.
Cela ne peut pas être dû à un lien de cause à effet. Ce n’est pas parce que les femmes font des mammographies qu’elles meurent moins. C’est plutôt que les femmes qui acceptent les mammographies ne sont pas les mêmes que les autres, et qu’elles meurent moins, par exemple parce qu’elles sont de catégorie socio-professionnelle plus favorisée.
Pour l’essentiel, la diminution de la mortalité par cancer du sein n’est donc pas due au dépistage.
L’efficacité du dépistage pour diminuer la mortalité n’est toujours pas démontrée
L’efficacité du dépistage pour diminuer le nombre de femmes qui meurent de cancer du sein n’est donc toujours pas démontrée. Et son efficacité pour allonger la vie l’est encore moins. Ce qui ne veut pas nécessairement dire que le dépistage n’a aucun effet. Simplement cet effet est trop faible pour que les essais et études réalisés jusqu’ici aient pu le démontrer de manière solide. On peut en déduire, au moins, que cet effet – s’il existe – est très faible.
Certaines femmes peuvent penser que le pari du dépistage en vaut la peine. D’autres femmes peuvent penser que le faible bénéfice potentiel, mal démontré, ne compense pas les risques et effets indésirables du dépistage. Ce sont deux positions tout aussi honorables. À chaque femme sa vérité et sa décision pour elle-même, après qu'elle a été correctement informée. Mais ce n’est ni aux professionnels de santé, ni aux administratifs, ni aux politiques de décider à leur place.
-a Il s’agit du « biais d’avance au diagnostic » : « lead time bias » en langue anglaise.
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Lire aussi :
– "Octobre rose 2024 – épisode 1 : que conclure des essais comparatifs du dépistage du cancer du sein"
– "Sous le radar : méfaits cachés du dépistage du cancer du sein"
– "Participer à Octobre Rose à notre manière"
– "Cancer Rose"
Sources :
- Site internet "Cancer Rose, l’information éclairée sur le dépistage du cancer du sein"
- Elmore JG et coll. "Screening for breast cancer: Evidence for effectiveness and harms" (mise à jour septembre 2024) In : UpToDate, Post TW (Ed), UpToDate, Waltham, MA, USA (sur abonnement).
- International Agency for Research on Cancer (IARC) (OMS) "4.1.5 - Use of observational studies in assessing efficacy" In "Breast Cancer Screening - IARC Handbooks of Cancer Prevention - volume 15" 2d edition, 2014, page 241.
- Prescrire rédaction "Dépistage des cancers du sein par mammographie Première partie Essais randomisés : diminution de la mortalité par cancer du sein d’ampleur incertaine, au mieux modeste" et “Dépistage des cancers du sein par mammographie - 2 - Comparaisons non randomisées : résultats voisins de ceux des essais randomisés” Prescrire 2014 ;34(373) 837-841 et 842-846.
- Taylor C etg coll. "Breast cancer mortality in 500 000 women with early invasive breast cancer diagnosed in England, 1993-2015: population based observational cohort study" BMJ 2023 ; 381:e074684.
- Autier Ph et coll. "https://doi.org/10.1016/j.jclinepi.2024.111426" J Clin Epidemiol 2024 ;172 : 111426
Crédits photo :
- Image n°1 : "P. Rubens – Bethsabée à la fontaine " par JL Mazières sur Flickr (recadré)-
Image n°2 : "Cranach : copie de l’autel de Hieronymus Bosch" par Henk Bekker sur Flickr (recadré)