Prescrire publie chaque année une liste des "médicaments à écarter pour mieux soigner". La liste 2024 (publiée en décembre 2023) comporte 105 médicaments officiellement autorisés en Europe, dont 88 sont commercialisés en France. Pour la rédaction Prescrire, ces médicaments sont plus dangereux qu’utiles dans toutes les situations pour lesquelles ils sont autorisés. Autrement dit, leur balance bénéfices-risques est défavorable.
Ces médicaments sont parfois d'usage très courant. Certains sont par exemple officiellement autorisés pour traiter le cholestérol, le diabète, les inflammations, le rhume ou la dépression.
Refusant toute subvention et ressource publicitaire, la rédaction Prescrire suit des procédures transparentes et rigoureuses : recherche documentaire méthodique, examen critique des données disponibles, évaluation comparative des bénéfices potentiels et des risques, plusieurs étapes de vérification des textes, etc.
Des bénéfices mal établis ou insuffisants par rapport aux risques
Parfois, les médicaments que la rédaction Prescrire juge "à écarter" font courir des risques importants pour un bénéfice minime. Ou bien leur efficacité est mal démontrée. Ou bien ils sont moins efficaces ou font courir plus de risques que d'autres médicaments disponibles. Le plus souvent, il est possible d'utiliser d'autres traitements à leur place. Dans certains cas, la solution la plus sage est de se passer de tout médicament.
Les médicaments sont nommés par leur dénomination commune internationale, autrement dit, par le nom que leur donne l'OMS (sans majuscule, en italiques). Le nom de marque est éventuellement indiqué entre parenthèses et marqué d'une majuscule et du signe°. Lire à ce sujet l'article "Le véritable nom des médicaments".
Des médicaments d'usage parfois très courant
Je reviens ici sur certains de ces médicaments, commercialisés en France, et qui me semblent parmi les plus utilisés, d'après ce que j'ai pu observer depuis mon cabinet médical.
La liste complète est en accès libre sur le site Prescrire : www.prescrire.org. Elle comprend des médicaments autorisés en Europe, mais pas toujours en France.
Si vous prenez certains de ces médicaments, je vous suggère d'aller voir votre médecin traitant ou le médecin qui vous les a prescrit, et de rechercher avec lui une alternative.
1- Cœur et vaisseaux
Médicaments anti-cholestérol de la famille des fibrates
- Bézafibrate (Béfizal°), ciprofibrate (Lipanor°), fénofibrate (Lipanthyl°).
Ils font baisser le cholestérol mais il n'est pas démontré qu'ils diminuent le risque cardiaque. Et il provoquent de nombreux effets indésirables parfois graves concernant la peau, le sang, les reins. Alternative : le seul fibrate a avoir une certaine efficacité démontrée est le gemfibrozil (Lipur°).
Médicaments de l'hypertension artérielle dits "sartans" (ou antagonistes de l'angiotensine II)
- Olmésartan (Alteis°, Olmetec° ; et en association dans Alteisduo°, Coolmetec°, Axeler° et Sevikar°)
Il n'est pas plus efficace que les autres sartans, mais il peut provoquer des diarrhées chroniques parfois graves, des hépatites auto-immunes et peut-être une augmentation du risque de mort cardiovasculaire. Parmi les sartans, le losartan (Cozaar° ou autre) ou le valsartan (Tareg° ou autre) ne semblent pas faire courir ces risques. - Autres médicaments cardiovasculaires à écarter : dronédarone (Multaq°), ivabradine (Procoralan°), nicorandil (Ikorel°), trimétazidine(Vastarel°), vernakalant (Brinavess°).
2- Diabètes sucrés, nutrition
Médicaments anti-diabétiques de la famille des gliptines (encore appelés inhibuteurs de la DPP-4)
- alogliptine (Vipidia° ; et en association dans Vipdomet°), la linagliptine (Trajenta° ; et en association dans Jentadueto°), la saxagliptine (Onglyza° ; et en association dans Komboglyze°), la sitagliptine (Januvia°, Xelevia° ou autre ; et en association dans Janumet°, Velmetia° ou autre) et la vildagliptine (Galvus° ou autre ; en association dans Eucreas°).
Ils font baisser la glycémie mais il n'est pas démontré qu'ils diminuent les complications du diabète. Et ils provoquent des effets indésirables parfois graves qui peuvent être des infections, des allergies graves et des atteintes du pancréas ou de l'intestin.
Médicaments pour la perte de poids
- Aucun médicament ne permet actuellement de perdre du poids de manière durable. Leur action est au mieux modeste et temporaire, et ils provoquent de nombreux effets indésirables. C’est notamment le cas de l’orlistat (Xenical°) et de l’association bupropione + naltrexone (Mysimba°, non commercialisé en France).
3- Anti-inflammatoires, antidouleurs, muscles et articulations
Anti-inflammatoires coxibs
- Célécoxib (Celebrex° ou autre), étoricoxib (Arcoxia° ou autre), parécoxib (Dynastat°). Il ne sont pas plus efficaces que les autres anti-inflammatoires, et ils peuvent provoquer plus d'accidents cardiovasculaires comme des thromboses (caillots de sang dans les vaisseaux) et des infarctus du myocarde parfois mortels.
Autres anti-inflammatoires
- Acéclofénac (Cartrex° et autre), diclofénac (Voltarène° ou autre) par voie orale (en comprimés ou gélules).
Il ne sont pas plus efficaces que les autres anti-inflammatoires, et ils peuvent provoquer des effets indésirables cardiaques graves (infarctus du myocarde, insuffisances cardiaques) et parfois mortels. - Méloxicam (Mobic° ou autre), piroxicam (Feldène° ou autre) et ténoxicam (Tilcotil°) par voie générale
Ils ne sont pas plus efficaces que les autres anti-inflammatoires et peuvent provoquer plus d'effets indésirables digestifs et cutanés, dont des allergies extrêmement graves. - Kétoprofène en gel (Ketum° gel ou autre) provoque plus de réactions cutanées graves que les autres anti-inflammatoires en gel sans être plus efficace.
Médicaments dits "myorelaxants" (censés décontracter les muscles)
Ils n'ont pas plus d'efficacité démontrée qu'un placebo, mais ils peuvent provoquer des effets indésirables graves. Les médicaments recommandés sont d'abord le paracétamol (sans dépasser la dose maximum) et s'il ne suffit pas, les anti-inflammatoires ibuprofène ou naproxène.
- Méphénésine (Décontractyl°)
A avaler : provoque des somnolences, des nausées et vomissements, des toxicomanies. A avaler comme en pommade : provoquent des atteintes cutanées parfois graves. - Méthocarbamol (Lumirelax°)
Nombreux troubles digestifs et atteintes cutanées parfois graves (angio-oedèmes). - Thiocolchicoside (Miorel° ou autre)
Peut provoquer des diarrhées, des gastralgies, des photodermatoses, peut-être à des convulsions. Il est strictement interdit chez la femme enceinte ou désirant l'être (risque de malformations).
Arthrose
Aucun médicament n’a d’efficacité démontrée, ni pour ralentir l’évolution de l’arthrose, ni pour diminuer ses symptômes.
- Diacéréine (Art° 50) provoque des hémorragies digestives, des hépatites et des allergies graves.
- Glucosamine (Flexea°) provoque des hépatites et des réactions allergiques touchant parfois le rein.
Goutte
- Association colchicine + poudre d’opium + tiémonium (Colchimax°).
La présence de poudre d’opium et de tiémonium, peut masquer une diarrhée, qui est un des premiers signes de surdose parfois mortelle de la colchicine.
Crampes
- Quinine (Hexaquine°, Okimus°).
Lutter contre des crampes ne justifie pas de risquer ses effets indésirables graves, parfois mortels : allergies gravissimes, atteintes du sang, troubles du rythme cardiaque. Il n'existe pas de médicament vraiment utile dans les crampes. Des étirements musculaires réguliers aident parfois.
4- Système digestif
Argiles médicamenteuses
- Diosmectite (Smecta° ou autre), hydrotalcite (Rennieliquo°), montmorillonite beidellitique alias monmectite (Bedelix°, et en association dans Gelox°) et kaolin (en association dans Gastropax° et Neutroses°).
Parfois utilisés dans les diarrhées et divers troubles digestifs, ces argiles sont polluées par du plomb, qui a des effets toxiques sur le système nerveux, le sang, les reins, le coeur et les organes de la reproduction.
Anti-vomissements
- Dompéridone (Motilium° ou autre), dropéridol (Droleptan° ou autre) et métopimazine (Vogalène°, Vogalib°).
Ce sont des neuroleptiques, qui peuvent provoquer des troubles du rythme cardiaque, des accidents vasculaires cérébraux ischémiques (au moins avec la dompéridone et la métopimazine) et des morts subites.
Pour traiter des vomissements, ces risques sont disproportionnés. Dans les rares cas où un neuroleptique anti-vomissement est jugé nécessaire, mieux vaut choisir le métoclopramide (Primpéran° ou autre) à petite dose et sur une courte période, mais lui aussi peut provoquer des accidents cardiaques graves.
5- Système nerveux
Médicaments anti- maladie d'Alzheimer
Fin 2023, ils n'ont qu'une efficacité faible et transitoire. L’organisation du quotidien, le maintien d’activité, l’accompagnement et l’aide de l’entourage jouent un rôle bien plus important.
- Donépézil (Aricept° ou autre), galantamine (Reminyl° ou autre), rivastigmine (Exelon° ou autre).
Peuvent provoquer des troubles digestifs, neuropsychiques et cardiaques (dont des troubles du rythme, des ralentissements du coeur, des malaises et des syncopes). - Mémantine (Ebixa° ou autre)
Peut provoquer des hallucinations, confusions, sensations vertigineuses ou céphalées, des comportements violents, des convulsions, des troubles d’allure psychotique ; des insuffisances cardiaques, des ralentissements du coeur).
6- Système respiratoire
Médicaments de la toux et du mal de gorge
- Ambroxol (Muxol° et autre), bromhexine (Bisolvon°)
Ils ne sont pas d'efficacité meilleure qu'un placebo contre la toux ou le mal de gorge, et peuvent provoquer des maladies de peau ou des allergies graves, voire mortelles. - Oxomémazine (Toplexil° ou autre), anti-histaminique et neuroleptique
Contre la toux, lorsqu'un médicament est préféré au miel, l'hélicidine et le dextrométhorphane sont de meilleures options. - Pentoxyvérine (Pentoxyvérine Clarix 0,15 %°)
Peut provoquer à des troubles cardiaques et des réactions allergiques graves.
Médicaments du mal de gorge
- Alpha-amylase (Maxilase° ou autre) n'a pas d'efficacité démontrée contre le mal de gorge et provoque des troubles cutanés et des allergies parfois graves.
Médicaments du rhume
- Éphédrine, naphazoline, oxymétazoline, phényléphrine, pseudoéphédrine, tuaminoheptane : décongestionnants du nez par voie orale (comprimés ou gélules) ou par voie nasale. Ils peuvent provoquer des poussées d'hypertension, des accidents vasculaires cérébraux (attaques cérébrales), des troubles du rythme cardiaque, des atteintes de l'intestin ou des yeux par manque d'oxygène local. Ces accidents parfois graves, voire mortels, sont sans proportion avec leur bénéfice qui est simplement de déboucher temporairement le nez.
7- Psychiatrie
Médicaments antidépresseurs.
- Aglomélatine (Vladoxan° ou autre). Sans plus d'efficacité démontrée qu'un placebo, peut provoquer des hépatites, des pancréatites, des suicides, des accès d'agressivité, des troubles allergiques graves, voire mortels
- Citalopram (Séropram° ou autre), escitalopram (Séroplex° ou autre), peuvent provoquer des troubles du rythme cardiaque, des morts subites, et peuvent être dangereux en cas de surdose.
- Duloxétine (Cymbalta° ou autre), milnacipran (Milnacipran Arrow° ou autre), venlafaxine (Effexor LP° ou autre). Peuvent provoquer des hypertensions artérielles, des troubles du rythme cardiaque. Pour la duloxétine : risque d'allergies graves. Pour la venlafaxine, risque d'arrêt cardiaque en cas de surdose.
- Eskétamine(Spravato°) en spray nasal. Efficacité très incertaine dans les dépressions graves, avec un risque de symptômes psychotiques, un risque suicidaire et un risque de toxicomanie.
- Tianépine (Stablon°). N'a pas plus d'effet démontré qu'un placebo et expose à des hépatites, des atteintes allergiques cutanées parfois graves, parfois mortelles.
L'efficacité des médicaments antidépresseurs est généralement modeste et lente. Autant préférer ceux dont les effets indésirables sont les mieux connus du fait d'une utilisation plus ancienne.
Pour la liste complète des médicaments plus dangereux qu'utile selon la revue Prescrire, voir l'annexe un peu plus loin.
Je recommande à tous les professionnels de santé de ne pas se contenter des informations limitées de ce blog et d’aller lire les arguments détaillés à la source.
Lire aussi :
- Les objectifs des traitements et des diagnostics
- Traitements : les essais comparatifs sont indispensables
- Incertitude
Source :
- Prescrire rédaction "Pour mieux soigner, des médicaments à écarter : bilan 2024" Rev Prescrire 2023 ; 43 (482) : 934-945, et en accès libre sur www.prescrire.org
Crédit photo :
- Image 1 : "Ils avalent" Copyright Jean Doubovetzky sur https://app.leonardo.ai/
- Image 2 : "DNA repair factor may play a rôle in Alzheimer’s disease"
par NIH Image Gallery sur Flickr