Pros : Prescrire, mai 2024 : médicaments utiles et inutiles

Par le 21 juillet 2024, actualisé le 21 Juil 24.

Chaque mois, la revue indépendante Prescrire passe en revue les médicaments nouvellement commercialisés, ainsi que les nouvelles indications de médicaments déjà sur le marché. Elle en discute les mérites et démérites, par comparaison avec les autres traitements disponibles. Voici les médicaments qu'elle a examinés dans son numéro de mai 2024. 

En France comme dans de nombreux autres pays, pour commercialiser un médicament, il faut démontrer qu'il est plus efficace qu'un placebo (a). Ses bénéfices potentiels doivent aussi sembler supérieurs à ses effets indésirables.
La rédaction Prescrire compare les effets cliniques des médicaments à ceux des autres traitements disponibles et les classe en 6 catégories, en fonction de leur utilité.Voici les évaluations Prescrire des nouveaux médicaments dans le numéro de mai 2024 (réf. 1).

Les médicaments sont nommés par leur dénomination commune internationale, autrement dit, par le nom que leur donne l'OMS (sans majuscule, en italiques). Le nom de marque est éventuellement indiqué entre parenthèses et marqué d'une majuscule et du signe °. Lire à ce sujet l'article "Le véritable nom des médicaments". Les prix indiqués proviennent de Prescrire et sont arrondis à l’euro le plus proche.

Bravo : Aucun - progrès thérapeutique majeur dans un domaine où nous étions démunis

 Rien en mai 2024

Intéressant : Aucun - progrès thérapeutique important, mais avec certaines limites 

Rien en mai2024

Apporte quelque chose : 1 - apport limité 

bicarbonate de sodium en comprimés gastrorésistants (Bicafres°) dans l’acidose de l’insuffisance rénale chronique. Ces comprimés apportent de meilleures garanties de fabrication que les préparations faites jusqu’ici en pharmacie. Les effets du bicarbonate sont toujours à surveiller attentivement (prix 27,39 € les 100). 

Éventuellement utile : Aucun - intérêt thérapeutique supplémentaire minime 

Rien en mai 2024

N'apporte rien de nouveau : 7 - substance sans plus d'intérêt clinique que les autres substances déjà disponibles

- vérapamil oral (Isoptine°) en prévention de l’algie vasculaire de la face. Ces douleurs touchent le plus souvent le tour d’une orbite. Elles durent quelques minutes à quelques heures et peuvent être très violentes. Elles sont généralement soulagées par l’oxygène au masque. Aucun médicament n’a d’effet préventif démontré, et avec un essai de courte durée sur seulement 30 patients, le vérapamil ne fait malheureusement pas mieux… 
durvalumab (Imfinzi°) + trémélimumab (Imjudo°) + sel de platine dans certains cancers des bronches avec métastases. En l’absence de comparaison avec le traitement immunostimulant de référence (le pembrolizumab), impossible de savoir si l’augmentation du risque d’effet indésirables graves (voire mortels) associé à ce traitement en vaut la peine.
durvalumab (Imfinzi°) + trémélimumab (Imjudo°) dans certains cancers du foie. En l’absence de comparaison avec l’atézolizumab + bévacizumab, impossible de savoir si ce traitement aux nombreux effets indésirables graves est un progrès ou pas.
durvalumab (Imfinzi°) dans certains cancers des voies biliaires. L’ajout de durvalumab semble augmenter la durée de vie d’environ 5 semaines, mais au prix d’infections graves dus à son effet dépresseur de l’immunité. 
daltéparine (Fragmine°) dans les thromboses veineuses chez les enfants de 1 mois ou plus. Étrange autorisation, car la présentation qui existe, en seringues non graduées, ne permet pas d’adapter le traitement au poids des enfants ! Restons-en à des héparines mieux adaptées à cette situation rare.
setmélanotide (Imcivree°) dans de syndrome de Bardet-Biedl. Cette maladie génétique associe une obésité du thorax dès l’enfance et des troubles neuropsychiques, rénaux, oculaires, génitaux, cardiaques, etc. Ce médicament est censé réguler l’appétit, mais un essai de quelques semaines n’a pas montré de diminution de la sensation de faim chez ces patients.
- norfloxacine (Norfloxacine Zentiva°) en prévention des infections de l’ascite. Certaines maladies (en particulier la cirrhose du foie) s’accompagnent d’un épanchement de liquide dans la cavité abdominale : c’est l’ascite, qui peut s’infecter. Rien ne prouve que la norfloxacine fasse mieux, dans ce domaine, que la ciprofloxacine. Ces deux antibiotiques partagent des effets indésirables graves : troubles du rythme cardiaque, troubles musculo-squelettiques persistants, troubles neuropsychiques, etc.

La fenfluramine, une amphétamine proche du Mediator°, commercialisée pour la perte de poids, a été retirée du marché français en 1997 en raison d'effets indésirables graves, notamment des déformations parfois mortelles des valves cardiaques. La voici malheureusement de retour dans le traitement de certaines épilepsies de l'enfant, malgré une démonstration d'efficacité médiocre et de redoutables risques pour les enfants traités.
Dans le domaine de la perte de poids, plusieurs "dispositifs médicaux" (comprimés, sachets) sont commercialisés. Leur composition est en partie secrète, leur efficacité mal établie et leurs effets indésirables mal connus : à éviter !

Pas d’accord : 2

sélinexor (Nexpovio°) dans certains myélomes. En cas de myélome multiple (un des cancers du sang) en rechute ou après traitement inefficace, il n’y a pas de traitement de référence. Il n’est malheureusement pas démontré que le sélinexor augmente la durée de vie, alors que ses effets indésirables sont fréquents et graves : troubles sanguins, digestifs, oculaires, neuropsychiques, cardiaques, etc.
fenfluramine (Fintepla°) dans certaines crises d’épilepsie de l’enfant (syndrome de Lennox-Gastaut). Dans un petit essai, le nombre de crises d’épilepsie a diminué, mais le risque de crise grave pourrait augmenter. Et surtout les effets indésirables sont redoutables : en particulier des déformations des valves cardiaques, des hypertensions artérielles pulmonaires et des troubles neuropsychiques. Il s’agit en fait du même médicament que l’Isoméride°, retiré du marché en 1997 à cause de ces effets indésirables. Sa molécule est proche … du Médiator°, de sinistre mémoire. 

La rédaction ne peut se prononcer : 1 

lonafarnib (Zokinvy°)et progéria. Dans cette maladie génétique très rare, essayé chez quelques dizaines d’enfants et d’adolescents, le médicament aurait peut-être allongé un peu la durée de vie (sans certitude), mais on ne connaît pas ses effets sur les complications de la maladie (en particulier sur le coeur). Attendons d’en savoir plus. 

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Mauvaises nouvelles : 2 

- Le dispositif médical contenant du Policaptil gel retard (Libramed°) commercialisé dans le surpoids ou l’obésité. En 2024, aucun médicament ne permet de perdre du poids sans risque et de manière durable. La perte de poids repose sur une alimentation équilibrée, une augmentation de l’activité physique et un suivi personnalisé. Le Policaptil° est un extrait de diverses plantes riches en fibres. Sa composition exacte n’est pas publique. Chez les adultes, il a été comparé à la metformine dans un essai mais… le but principal de l’essai n’est pas connu (!) et de plus, la metformine n’est pas un traitement de l’obésité (!) Chez les enfants et adolescents, une faible diminution du poids a été montrée dans un seul (petit) essai de durée limitée, mais on ne sait pas comment évolue de poids après l’arrêt du traitement. Ses effet indésirables sont mal connus, et semblent proches de ceux de certains laxatifs. En bref, les exigences réduites de l’administration ont permis la mise sur le marché d’un prétendu « non médicament » à l’efficacité mal démontrée et aux effets indésirables mal étudiés (32,89 € les 138 comprimés, prix constaté sur internet).
- Le dispositif médical contenant du Néopolicaptil gel retard (Metarecod°) commercialisé dans plusieurs indications floues : « traitement du syndrome métabolique », des « taux altérés de cholestérol, de triglycérides et de glucose » et de « la valeur de la circonférence abdominale ». En fait, il semble s’agir d’une copie du policaptil, mais comme la composition exacte de ces deux produits n’est pas publicque, aucune certitude absolue n’est possible. Les indications recouvrent des anomalies observées sur des analyses sanguines et le surpoids (figuré par la circonférence abdominale). Le fabriquant met en avant les résultats d’une méta-analyse de qualité médiocre, et de petits essais qui ne permettent nullement d’affirmer, ni que le risque cardio-vasculaire a diminué, ni que la qualité de vie des personnes traitées s’est améliorée. Les effets indésirables sont les mêmes que pour le Policaptil°, mais le fabriquant mentionne aussi la nécessité de séparer de plusieurs heures la prise de ce gel et celle des médicaments, pour éviter d’interférer avec leur absorption (26,90 € les 40 sachets – prix constaté sur internet).

Bonnes nouvelles : 1 

Publicité grand public interdite pour l’ibuprofène. Dans l’immense majorité des douleurs, le paracétamol est aussi efficace et présente moins de risques que les anti-inflammatoires, notamment l’ibuprofène. Les signalements d’effets indésirables graves comme les hémorragies gastriques ou intestinales et les maladies rénales ont augmenté parallèlement aux publicités grand public pour l’ibuprofène. Leur interdiction est donc bienvenue. Dans les cas où un anti-inflammatoire est jugé utile, le choix de l’ibuprofène est bon, et il vaut mieux commencer par une dose de 200mg, souvent suffisante, par exemple en cas de migraine ou de douleur des règles.

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a- Un placebo est "une substance sans principe actif (= sans effet pharmacologique) mais dont la prise peut avoir un effet psychologique bénéfique pour le patient" ou encore (autre définition) "une préparation dépourvue de tout principe actif, utilisée à la place d'un médicament pour son effet psychologique, dit effet placebo" (réf. 2). À noter qu'un placebo ou un médicament peut aussi avoir des effets négatifs, et provoquer des effets indésirables : c'est l'effet nocebo. 
b- Selon l’article L.5311-1 du Code de la santé publique (article L.5211-1), un dispositif médical est « destiné par le fabricant à être utilisé chez l’homme à des fins médicales » mais son action principale « n’est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme ». En réalité, certains produits sont commercialisés à la fois comme médicaments et comme dispositifs médicaux (par exemple, des vitamines). La frontière est entre les deux donc assez floue. 

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Lire aussi : 
- "Avant le Mediator° (1) : les amphétamines et la guerre
- "Avant le Mediator° (2) : la sombre histoire de l’Isoméride°
Les objectifs des traitements et des diagnostics 
La médecine n'a pas pour but de guérir des maladies 
Médicaments à ne pas utiliser : 2024

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Sources
1- Prescrire Rédaction “Rubrique : Le rayon des nouveautés" Rev Prescrire 2024 ; 44 (487) :325-346. 
2-Prescrire Rédaction “Essais cliniques versus placebo : divers types de placebos, dits purs, impurs voire faux placebos" Rev Prescrire 2020 ; 40 (442) : 621-624.

Crédits photo :
Image n°1 : "Prescrire mai 2024" par Jean Doubovetzky. 
Image n°2 : "Lose weight now" par Alan Cleaver sur Flickr (recadré, montage)

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Pros : Prescrire, mai 2024 : médicaments utiles et inutiles" ; 21 Juil 2024 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-medicaments/pros-prescrire-mai-2024-medicaments-utiles-et-inutiles/)
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