Octobre rose 2024 – épisode 1 : que conclure des essais comparatifs du dépistage du cancer du sein

Par le 12 octobre 2024, actualisé le 08 Nov 24.

Ce qu’on sait de l’efficacité des mammographies de dépistage repose en grande partie sur une dizaine d’essais comparatifs randomisésMais de nos jours, les résultats de ces essais ne s’appliquent plus vraiment.

Les essais comparatifs avec tirage au sort du dépistage par mammographies

Pour savoir si les mammographies de dépistage permettent de faire baisser le nombre de femmes qui meurent, on s'appuie sur des essais comparatifs avec tirage au sort, qu’on appelle aussi essais comparatifs randomisés.
On prend une population suffisamment grande, et on tire au sort : certaines femmes auront des mammographies de dépistage, et d’autres non. Puis on regarde combien de femmes dépistées ou non dépistées meurent dans chaque groupe, au cours du temps, par exemple sur 10 ans, ou 13 ans, ou 17 ans.
C’est la méthode considérée par les scientifiques comme la plus fiable, et c’est bien celle qui a été utilisée dans une dizaine d’essais, au cours des années 1963 à 1992.

Les conclusions de ces essais sont discutables

 Le premier de ces essais (l’essai de New York) semblait montrer que le dépistage permettait de faire baisser fortement la mortalité par cancer du sein. Partant de ces données, les essais suivants ont probablement inclus un nombre insuffisant de femmes, et ils n’ont pas toujours été menés de manière très rigoureuse. Du coup, leurs résultats ont été fortement critiqués.
Si on rejette les résultats des essais réalisés de manière peu rigoureuse, et si on ne garde que les résultats des essais les mieux réalisés, il est impossible de démontrer que le dépistage diminue le nombre de femmes qui meurent de cancer du sein. On n’arrive à cette conclusion que si on accepte de tenir compte des résultats d’essais de qualité (et donc de fiabilité) médiocre. Cette conclusion est donc logiquement controversée depuis près de 25 ans.

Les données des essais comparatifs sont en partie dépassées

De plus, les données de ces essais sont dépassées. En effet, ils se sont terminés voici plus de 30 ans. Et depuis cette époque, beaucoup de choses ont changé.
D’abord le comportement des femmes a changé. Dans l’essai de New York, la majorité des tumeurs détectées avaient un diamètre de plus de 2 centimètres. Elles étaient facilement palpables. De nos jours, les femmes porteuses de telles tumeurs auraient consulté au lieu d’attendre un dépistage.
Aucun des appareils à mammographie utilisés lors des essais ne serait actuellement agréé : les mammographes actuels sont bien plus performants. Et les traitements (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie) ont bien changé…
Les conséquences du dépistage actuel ne sont donc plus les mêmes qu’il y a 30 ou 40 ans.

Effets du dépistage, d'après les essais comparatifs avec tirage au sort,
en acceptant les résultats des essais de qualité médiocre,
après adaptation aux données épidémiologiques actuelles en France.

Le dépistage actuel est-il plus ou moins efficace que dans les essais ?

Spontanément, la plupart d’entre nous pensent « plus efficace ». Et bien sûr, avec des appareils plus performants, on détecte plus de tumeurs, et des tumeurs plus petites. De plus, dans tous les essais, il y a eu un « biais de contamination » qui a diminué l’efficacité apparente du dépistage (a).
Mais d’un autre côté, les femmes consultent plus rapidement qu’autrefois et les traitements sont plus performants. Ces deux évolutions diminuent l’efficacité du dépistage. En effet, à l’extrême, si les femmes consultaient dès l’apparition d’une tumeur débutante ou si les traitements étaient efficace à 100 % sur toutes les tumeurs, le dépistage ne servirait à rien.

Des études d’observation pour réduire l’incertitude ?

On a donc de très bons arguments pour penser que le dépistage est plus efficace que lors des essais comparatifs avec tirage au sort… et de très bons arguments pour penser le contraire. La vérité, c’est qu’on n’en sait rien du tout.
Alors les chercheurs se sont dit : bien sûr, les études d’observation sont moins rigoureuses et moins démonstratives que les essais comparatifs avec tirage au sort. Mais ils peuvent peut-être nous aider à sortir de l’impasse où nous sommes…
Dans le prochain épisode, nous verrons ce que ces études nous apportent.

-a Au cours des essais, certaines femmes ne devaient pas faire de mammographies, mais elles en ont eu quand même, sans que les chercheurs puissent le détecter. Par conséquent, la différence entre les deux groupes a été diminuée, et on ne peut pas savoir de combien. Ce phénomène porte le nom de « biais de contamination ».

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Lire aussi :   
– "Participer à Octobre Rose à notre manière"
– "Sous le radar : méfaits cachés du dépistage du cancer du sein"
 – "Cancer Rose
– "Dépistage mammographique en France, 2005-2022"
– "Dépistage du cancer du sein : bravo les Canadiens !"

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Sources :
- Site internet "Cancer Rose, l’information éclairée sur le dépistage du cancer du sein"
- Elmore JG et coll. "Screening for breast cancer: Evidence for effectiveness and harms" (mise à jour septembre 2024) In : UpToDate, Post TW (Ed), UpToDate, Waltham, MA, USA (sur abonnement).
- International Agency for Research on Cancer (IARC) (OMS) "4.1.5 - Use of observational studies in assessing efficacy" In "Breast Cancer Screening - IARC Handbooks of Cancer Prevention - volume 15" 2d edition, 2014, page 241. https://publications.iarc.fr/Book-And-Report-Series/Iarc-Handbooks-Of-Cancer-Prevention/Breast-Cancer-Screening- 2016
- Prescrire rédaction "Dépistage des cancers du sein par mammographie Première partie Essais randomisés : diminution de la mortalité par cancer du sein d’ampleur incertaine, au mieux modeste" et “Dépistage des cancers du sein par mammographie - 2 - Comparaisons non randomisées : résultats voisins de ceux des essais randomisés”  Prescrire 2014 ;34(373) 837-841 et 842-846.

Crédits photo :
- Image n°1 : "Jean Fouquet – Dyptique de Melun" par JL Mazières sur Flickr (recadré)
- Image n°2 : Infographie "Effets du dépistage" d'après l'aide à la décision de Cancer-rose (modifié)

Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "Octobre rose 2024 – épisode 1 : que conclure des essais comparatifs du dépistage du cancer du sein" ; 12 Oct 2024 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-medecine/octobre-rose-2024-episode-1-que-conclure-des-essais-comparatifs-du-depistage/)
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