Chaque mois, la revue indépendante Prescrire passe en revue les médicaments nouvellement commercialisés, ainsi que les nouvelles indications de médicaments déjà sur le marché. Elle en discute les mérites et démérites, par comparaison avec les autres traitements disponibles. Voici les médicaments qu'elle a examinés dans son numéro de janvier 2024.
POUR LES PROS :
L'article qui suit est complexe, et traite de maladies relativement rares. Il intéressera surtout les professionnels de santé, ainsi que les personnes atteintes par ces maladies et leurs proches.
En France comme dans de nombreux autres pays, pour commercialiser un médicament, il faut démontrer qu'il est plus efficace qu'un placebo (a). Ses bénéfices potentiels doivent aussi sembler supérieurs à ses effets indésirables.
La rédaction Prescrire compare les effets cliniques des médicaments à ceux des autres traitements disponibles et les classe en 6 catégories, en fonction de leur utilité. Voici les évaluations Prescrire des nouveaux médicaments dans le numéro de janvier 2024 (réf. 1).
Les médicaments sont nommés par leur dénomination commune internationale, autrement dit, par le nom que leur donne l'OMS (sans majuscule, en italiques). Le nom de marque est éventuellement indiqué entre parenthèses et marqué d'une majuscule et du signe °. Lire à ce sujet l'article "Le véritable nom des médicaments".
Bravo : Aucun - progrès thérapeutique majeur dans un domaine où nous étions démunis
Rien en janvier 2024
Intéressant : Aucun - progrès thérapeutique important, mais avec certaines limites
Rien en janvier 2024
Apporte quelque chose : Aucun - apport limité
Rien en janvier 2024
Éventuellement utile : 2 - intérêt thérapeutique supplémentaire minime
- efgartigimod alfa (Vygart°) dans la myasthénie auto-immune généralisée. Dans cette maladie rare, des anticorps s’attaquent à la jonction entre les nerfs et les muscles. À court terme, l’efgartigimod (un immunosuppresseur), en ajout aux traitements habituels, a amélioré les activités quotidiennes chez presque un malade sur deux, mais on n’a pas de données au-delà de deux mois.
- cémiplimab (Libtayo°) dans certains cancers du col de l’utérus. Lorsque ce cancer récidive après chirurgie et radiothérapie, ou qu’il a des métastases, une chimiothérapie est souvent proposée. En cas d’aggravation pendant ou après cette chimiothérapie, le cémiplimab semble allonger la durée de vie d’environ trois mois et demi, au prix d’effets indésirables parfois graves.
N'apporte rien de nouveau : 5 - sans plus d'intérêt clinique que les autres substances déjà disponibles
- tézépélumab (Tezspire°) dans l’asthme sévère des adultes et adolescents. Dans l’asthme grave, c’est-à-dire non contrôlé par des inhalations bien utilisées, une possibilité est de prendre un dérivé de la cortisone pendant une courte période. Les "mabs" ont un effet modeste : une crise de moins par an et par patient. Celui-ci n’a pas été comparé à la cortisone, ni aux autres mabs. Et comme les autres, il expose à de nombreux effets indésirables parfois graves (infections, troubles cardiaques, voire surmortalité...)
- dapaglifozine (Forxiga°) dans certaines insuffisances cardiaques. Lorsque le cœur n’arrive pas à pomper suffisamment bien le sang, on parle d’insuffisance cardiaque. Dans les insuffisances cardiaques où la "fraction d’éjection ventriculaire" est supérieure à 50 %, ajouter la dapaglifozine au traitement habituel a fait passer de 13 % à 10 % le risque d’hospitalisation au bout de 2 ans, mais n’a pas réduit la mortalité. Et ses effets indésirables sont parfois graves (infections diverses, insuffisances rénales, et peut-être fractures et cancers…)
- crizotinib (Xalkori°) dans certains cancers rares des enfants . Il s’agit des lymphomes anaplasiques à grandes cellules systémiques (en rechute ou ne répondant pas au traitement) et des tumeurs myofibroblastiques inflammatoires ALK positives en rechute. Dans le premier cas, on ne dispose que de données non comparatives sur 32 enfants, et dans l’autre, sur 16 enfants. Elles ne peuvent démontrer un progrès quelconque.
- ravulizumab (Ultomiris°) dans la myasthénie auto-immune généralisée. Dans cette maladie rare, le ravulizumab a un peu amélioré un score clinique, mais les conséquences concrètes de cette petite amélioration ne sont pas évidentes. Et ses effets indésirables, parfois graves, sont fréquents.
- vaccin pneumococcique conjugué à 15 valences (Vaxneuvance°) chez les enfants. Chez les enfants à partir de 6 semaines, il n’y a pas de preuve d’une meilleure protection qu’avec le vaccin à 13 valences (Prévenar 13°) déjà disponible en France.
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Pas d'accord : 0 - Aucun
Rien en janvier 2024
La rédaction ne peut se prononcer : - Aucun
Rien en janvier 2024
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Mauvaises nouvelles : 2
- Attention aux appareils de ventilation Philips. Dans certains appareils de ventilation Phillips, surtout utilisés dans les apnées du sommeil, la dégradation d’une mousse polyuréthane isolante provoque des effets indésirables : irritations respiratoires, oculaires et cutanées, et des maux de tête. La firme était supposée tous les rappeler avant la fin 2022… mais un an plus tard, tous n’étaient pas encore remplacés. On attend avec impatience que des études indépendantes soient faites sur ces effets indésirables et sur les conséquences de la lenteur de réaction de Philips.
- Éviter la rispéridone LP injectable dans la schizophrénie. Dans la schizophrénie, certains patients sont traités par une injection mensuelle, trimestrielle ou semestrielle de neuroleptique retard : halopéridol (Haldol décanoas°) ou palipéridone (Xéplion°, Trevicta°, Byannli°). Rien ne montre que la rispéridone retard injectable soit au moins aussi efficace. Mais elle doit être injectée toutes les deux semaines (au lieu d’un mois). Et comme elle n’agit pas immédiatement, pendant les trois premières semaines, il faut continuer le traitement par voie orale. En bref, pas de meilleure efficacité démontrée, et plus compliquée à utiliser, avec des risques d’erreur et d’échec thérapeutique : autant s’en passer.
Bonnes nouvelles : 1
- Nouveaux dosages de pegvisomant (Somavert°) pour l’acromégalie. Dans le traitement de cette maladie rare due à un excès d’hormone de croissance, des dosages à 25mg et 30mg peuvent aider au traitement.
Je recommande à tous les professionnels de santé de ne pas se contenter des informations limitées de ce blog et d’aller lire les arguments détaillés à la source.
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a- Un placebo est "une substance sans principe actif (= sans effet pharmacologique) mais dont la prise peut avoir un effet psychologique bénéfique pour le patient" ou encore (autre définition) "une préparation dépourvue de tout principe actif, utilisée à la place d'un médicament pour son effet psychologique, dit effet placebo" (réf. 2). À noter qu'un placebo ou un médicament peut aussi avoir des effets négatifs, et provoquer des effets indésirables : c'est l'effet nocebo.
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Lire aussi :
- Les objectifs des traitements et des diagnostics
- La médecine n'a pas pour but de guérir des maladies
- Traitements : les essais comparatifs sont indispensables
- Des médicaments à ne pas utiliser : 2023
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Sources
1- Prescrire Rédaction “Rubrique : Le rayon des nouveautés" Rev Prescrire 2024 ; 44 (483) : 5-25.
2- Prescrire Rédaction “Essais cliniques versus placebo : divers types de placebos, dits purs, impurs voire faux placebos" Rev Prescrire 2020 ; 40 (442) : 621-624.
Crédits photo :
Image n°1 : "Femme mettant sa main sur sa bouche" par Danilo Alvesd sur Unsplash (recadré).
Image n°2 : "Cambodia"
par World Bank Photo Collection sur Flickr (recadré)