La charte de Cantepau 

Par le 12 juin 2024, actualisé le 13 Juin 24.

Le Centre médical de Cantepau a été fondé en 1994 dans le quartier du même nom : un des plus pauvres et déshérités d’Occitanie et même de France. 
Les médecins qui l’ont créé se sont choisis, notamment parce qu’ils partageaient des valeurs et une vision du rôle qu’ils voulaient jouer en tant que médecins généralistes. Voici ces choix fondamentaux, qui animent toujours l’actuelle maison médicale pluridisciplinaire de Cantepau. 

Un accueil inconditionnel 

La médecine générale est une médecine de premier recours. Elle est une porte d’entrée fondamentale vers les soins. Cette porte doit être grande ouverte, et c’est pourquoi nous avons fait le choix d’un accueil inconditionnel. 
Accueil inconditionnel, cela signifie accueil de tous, quelle que soit la situation sociale, la couleur de peau, la langue, le genre, l’âge, la ou les maladies, la ou les demandes… Cela signifie que personne n’est rejeté, que tout le monde peut entrer dans nos cabinets et exprimer sa demande. Quelle que soit cette demande, elle doit être entendue sans jugement et avec empathie - ce qui ne signifie pas que nous allons forcément dire oui. 
Concrètement, l’accueil inconditionnel signifie qu’on doit soigner toute personne qui se présente et s’inquiéter seulement ensuite de la manière dont on pourra (ou non) être rémunéré. Les personne vivant à la rue, les étrangers, ceux qui ne parlent pas français, les personnes handicapées (quel que soit le handicap), les personnes qui demandent de l’aide pour leur toxicomanie ou pour toute autre raison : tous doivent être accueillis. 
En ce qui concerne par exemple les toxicomanes, certains praticiens ou certains services de soins ne lestraitent qu’à certaines conditions, parfois très restrictives (accueil à « haut seuil »), parfois moins restrictives (accueil à « bas seuil »). Nous pratiquons délibérément l’accueil à seuil zéro. Personne ne sera étonné que cela nous vaille la suspicion, l’incompréhension ou même la vindicte de certaines institutions (a).

Indépendance de pensée et liberté d’action

La médecine ne doit être guidée que par l’objectif de donner les meilleurs soins possibles aux patients. Les meilleurs soins, c’est-à-dire ceux qui leur font le plus de bien. Les influences extérieures, notamment celles des puissances d’argent et des puissances idéologiques, doivent être laissées à la porte. Ce qui implique de refuser la visite des représentants de commerce des firmes pharmaceutiques (« délégués médicaux »). Et qui oblige à un réel effort de formation continue et d’amélioration des compétences.
De la même manière, les avantages proposés par l’assurance maladie en échange de certaines attitudes ou de certains résultats (examens réalisés chez des patients diabétiques par exemple, ou mammographies de dépistage) ne doivent être acceptés qu’à condition … d’être totalement oubliés au moment des rencontres avec les patients. Ces sommes d’argent (relativement modestes) ne sont admissibles que si elles ne changent rien aux pratiques médicales.
L’assurance maladie française envoie chaque trimestre aux généralistes français des relevés où sont indiqués les coûts de leurs prescriptions, par comparaison avec la moyenne de leur région. Ces relevés montrent que les médecins du Centre prescrivent moins de médicaments que la moyenne. Nous avons élaboré un « formulaire », c’est-à-dire un choix de médicaments préférentiels à utiliser pour les prescriptions courantes. Ce choix repose sur ce qu’on sait des bénéfices et des risques à attendre des médicaments, selon des sources indépendantes comme Prescrire. Ainsi, parmi les anti-inflammatoires, l’ibuprofène et le naproxène sont préférés et le diclofénac est écarté (b).

Respect des patients 

Le respect signifie que les patients doivent être considérés comme des personnes adultes, responsables de leur propre santé. Ils viennent consulter les soignants – c’est-à-dire demander leur avis, et non pas prendre des ordres auprès d’eux. Une fois qu’ils ont quitté les cabinets médicaux, nous savons très bien qu’ils peuvent décider de suivre ou non les avis reçus, en totalité ou en partie, et parfois en les modifiant. C’est leur droit le plus absolu, et personne ne peut le leur reprocher. Bien sûr, si les praticiens pensent qu’ils ont tort, ils doivent leur expliquer pourquoi, mais en cherchant à comprendre leurs raisons et en respectant leur liberté de choix. 
En échange, Il est important de demander la sincérité. Si les patients font des choix différents de ce qui leur a été proposé, il faut qu’ils puissent le dire, sans quoi les soignants vont raisonner à partir de données fausses, ce qui est tout à fait préjudiciable. Les patients sont plus facilement sincères s’ils savent que tout ce qu’ils peuvent dire est accueilli sans jugement.
Les questions de la liberté, du respect et de la sincérité des échanges doivent donc faire l’objet d’une discussion explicite, de préférence avant la signature d’un choix de médecin traitant.

Implanté dans un des quartiers les plus déshérités d’Occitanie, le Centre médical de Cantepau se veut le laboratoire d’une médecine générale ambitieuse.
En 2024, outre les médecins et les secrétaires, le Centre héberge deux infirmières déléguées à la santé publique et une psychothérapeute, ainsi qu’une microstructure dédiée au soutien psychologique et social des toxicomanes.
On y pratique notamment les échographies, les audiométries, les interruptions volontaires de grossesse (IVG), le dépistage et l’orientation des troubles du développement mental des enfants, les traitements de substitution aux opiacés à « seuil zéro », le dépistage des troubles de la mémoire, les examens fonctionnels respiratoires (EFR), les traitements préventifs de la contamination par le VIH (PreP), le conseil diététique aux diabétiques, et on y anime des ateliers consacrés à la sexualités pour les adolescents et jeunes adultes. 
Et nous avons évidemment besoin de plus de médecins généralistes, d'infirmièr(e)s de santé publique et d'assistant(e)s médical(e)s !

À la poursuite de l’égalité

L’idée est de tenter de traiter tous les patients de la même manière. Ce qui conduit à pratiquer le tiers payant pour toutes les personnes, quelle que soit leur couverture maladie. Ainsi, la plupart des patients ne paient rien du tout : les professionnels de santé se font régler directement par l’assurance maladie et les assurances complémentaires. Cette manière de faire réduit les différences entre les maléficiaires de la Couverture santé solidaire (ex-Couverture maladie universelle ou CMU) ou de l’aide médicale de l’État (AME) et les bénéficiaires d’une assurance complémentaire ou d’une mutuelle (c).
L’expérience des praticiens qui appliquent cette règle et leurs relevés de prescription confirment les études qui montrent que contrairement à des légendes tenaces, le tiers payant n’augmente nullement les exigences des patients et n’induit ni prescriptions anormales ni arrêts de travail inconsidérés. D’autre part, les erreurs ou refus de paiement sont rares et n’imposent pas une charge de travail importante aux secrétaires. 

Des règles faciles à suivre 

On notera que l’adoption de ces règles de conduite ne complique pas vraiment le travail quotidien. Il n’est pas vrai que les populations de patients pauvres sont « à problèmes ». Il n’est pas vrai que le tiers payant généralisé est difficile à mettre en œuvre, ni qu’il induit des dépenses inconsidérées. Il est en revanche vrai que respecter les patients permet aux soignants d’en être plus proche, de mieux les rencontrer et les comprendre et, espérons-nous, de mieux les servir. 

Petit historique
Le Centre médical de Cantepau a été fondé en 1994 par trois médecins : Francis Blanc, Colette Mignot et moi-même, Jean Doubovetzky. Nous étions tous trois déjà installés chacun de notre côté, et nous nous étions rencontrés lors de réunions syndicales ou de séances de formation continue. Nous nous connaissions donc assez bien, et nous partagions bon nombre d’options professionnelles. Le choix de travailler ensemble a été fort heureux : nous avons bien entendu eu des désaccords, mais ne nous sommes jamais disputés, ni pour des questions de patients, ni pour des questions d’argent, ni pour des questions d’organisation.
Nous avons aussi choisi le quartier où nous installer. Ce n’était pas un hasard, mais la conséquence durôle social nous voulions jouer en tant que médecins généralistes.
Une des raisons fondamentales pour lesquelles cette association a été aussi heureuse, c’est que nous partageons des valeurs et une vision de la médecine. Nous n’avons jamais éprouvé le besoin de l’écrire, sans doute parce qu’à trois, elle s’exprimait facilement lors de nos nombreuses discussions. 
En 2024, au bout de 30 ans, au moment où deux d’entre nous prennent ou vont prendre leur retraite, il nous a semblé intéressant d’en fixer les grandes lignes.

a- Il y a cependant deux limites à cet accueil inconditionnel. Une limite évidente est la protection des membres du cabinet. Les personnes qui agressent, menacent, rendent la vie infernale aux membres du centre ne peuvent plus être accueillies. C’est notamment le cas des personnes qui élèvent la voix contre les secrétaires ou qui les insultent. 
L’autre limite est imposée depuis quelques années par l’évolution de la démographie médicale. Il n’est tout simplement matériellement plus possible d’accueillir tout le monde, parce qu’il y a trop de personnes à la recherche d’un médecin traitant. 
Puisque les praticiens sont obligés d’établir des limites, on peut proposer de donner la priorité aux personnes déjà suivies au Centre médical lorsque leur médecin part en retraite, aux personnes de sa zone géographique et au personnes qui sont rejetées par ailleurs (par exemple toxicomanes, bénéficiaires de l’aide médicale de l’État, étrangers, etc.). 

b- Lire les articles suivants, qui expliquent pourquoi : Choisir un anti-inflammatoire et Un anti-inflammatoire provoque une épidémie de rage

c- À notre avis, être obligé d’avoir recours à la couverture santé solidaire ou à l’aide médicale de l’État n’est pas un bénéfice, mais un maléfice, puisque les personnes concernées ont une espérance de vie et une espérance de vie sans handicap plus faibles que la population générale.
À ces propos, lire aussi Inégalités de santéAide médicale d’État : de quoi il s’agit exactementAide médicale d’État (AME) : pas si chère et Aide médicale d'État (AME) : la course d'obstacles.

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Lire aussi : 
La médecine n’a pas pour but de guérir les maladies
Recommandations médicales : choisir les meilleures
Les objectifs des traitements et des diagnostics
La médecine rationnelle ou EBM.
Inégalités de santé.

Crédits images :  
- n°1 – "Accueil inconditionnel" © Jean Doubovetzky. 
n°2 – Photos "Centre médical de Cantepau" © Francis Blanc (recadrée)

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Rédigé par sans lien d'intérêt, notamment avec les firmes pharmaceutiques, leurs officines de communication, l'assurance maladie et les compagnies d'assurance ou mutuelles.

CITER: Jean Doubovetzky "La charte de Cantepau " ; 12 Juin 2024 ; site internet Anti Dr Knock (https://anti-knock.fr/blog-societe/la-charte-de-cantepau/)
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